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Texte d’orientation politique 2008-2011 : tout ça pour ça ! – TAG 139

Mon éditorial pour le n°139 de la Tête A Gauche, lettre d’information de la Gauche Socialiste.

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Le conseil national de samedi dernier a mis un terme au congrès de Reims. Pour que ce terme soit positif et permette de relancer une dynamique de travail collective, il fallait que l’expression qui en découle – le texte d’orientation de la nouvelle direction – soit lui-même un modèle, et de la méthode, et de l’orientation politique, à suivre pour les prochaines années. Force est de constater qu’il échoue sur les deux tableaux. Pire encore : il constitue une régression notable par rapport à ce que le parti avait produit ces dernières années. Et un démenti flagrant à la volonté proclamée de rassemblement de Martine Aubry et des camarades qui la soutiennent.

Passe la forme, la graphie – les nombreux coquilles, fautes d’orthographe et autres anglicismes, que certains camarades ont sévèrement pointés, et qui sont sans doute à mettre sur le compte de la précipitation qui a présidé à l’élaboration de ce manifeste. Même si il aura fallu attendre l’ouverture du conseil national, samedi matin, pour qu’il soit diffusé aux membres des instances nationales du PS !

Passent encore les facilités oratoires nombreuses, les satisfécits vagues, les exhortations velléitaires, les condamnations morales, qui donnent l’impression, à tort ou à raison, de témoigner de l’impuissance de ceux qui les profèrent, ou de leur incapacité à formuler clairement une position sur un sujet donné. A ce titre, on aurait sans doute pu se passer de l’évocation de « défis sans précédents dans l’histoire de l’Humanité », de l’appel à une « transformation réelle et profonde » de la République, à une « politique de l’immigration humaine et digne », sans beaucoup plus de précisions. On aurait pu s’abstenir aussi de proclamer solennellement, et non sans un certain ridicule, que « le moment est venu que se lève une nouvelle génération d’hommes et de femmes de gauche », ou d’asserter doctement que « la rénovation doit être profonde » – surtout pour conclure quelques lignes plus loin sur les bénéfices d’un « parti campé sur ses valeurs de toujours » ! On aimerait quand même savoir ce que sont « des réformes audacieuses », même si on apprécie l’audace. On espère qu’on ne peut pas « combattre la droite » autrement que « vigoureusement ». Pour tout dire, si on aime bien la « nouveauté », on persiste à penser qu’elle ne constitue pas un qualificatif si définitif qu’il suffise de le placer plusieurs dizaines de fois dans un texte pour en garantir la qualité.

Passent donc ces défauts de forme, même si, à force de s’accumuler, ils finissent par grever le fond. En particulier, il est difficile de ne pas être préoccupé par l’incapacité de ce texte à définir autrement sa vision du socialisme du XXIème siècle que par une formule au contenu pour le moins imprécis : « un socialisme de gouvernement clairement ancré à gauche ». Ou par des slogans dans l’air du temps, laborieuse tentative de calquer les tics de langage de l’UMP – le « socialisme décomplexé ».

On aurait pu faire l’impasse sur tout cela, si la vision développée dans ce manifeste avait été prometteuse, « ambitieuse », pour reprendre un adjectif qui y est souvent utilisé. Mais ce ne sont pas précisément ces qualités qui frappent d’abord le lecteur. C’est l’impression désagréable de lire une compilation, plate et atténuée, de tout ce que le parti socialiste a pu faire de convenu ces dernières années. L’impression, pour être précis, de tourner en rond, de ne pas échapper à une pensée sans doute pleine de bonnes intentions, mais déjà dépassée – et pour cause, puisqu’elle a accompagné nos derniers échecs aux élections nationales. Soyons honnêtes, cette impression de doux ronronnement quelque peu soporifique est parfois démentie – mais non pas pour de bonnes raisons.

L’attention du lecteur est soudain alertée quand, parvenu au chapitre, quand même cardinal, des relations internationales, il lit une longue envolée sur la nécessité pour l’Europe de « faire entendre une voix forte contre l’unilatéralisme américain et son discours de choc des civilisations », autrement dit de s’opposer au bushisme … plus d’un mois après l’élection d’un certain Barack Obama à la Maison Blanche. Ce président des Etats-Unis qui est prêt à entamer des discussions avec l’Iran. On sait gré à la nouvelle direction du PS de ne pas céder à l’emballement parfois irrationnel de l’obamania. Mais avouons qu’à ce degré de sang-froid, on n’est pas loin de l’autisme pur et simple … L’attention du lecteur est à nouveau sollicitée quand il se rend soudain compte de grands absents, expédiés en une ou deux phrases : la culture, uniquement évoquée comme « dimension essentielle de notre projet », ou encore l’enseignement supérieur et la recherche, convoqués de manière périphérique sur leur apport à la croissance et la seule question de leur démocratisation.

Admettons, enfin, que l’on tolère les coquilles, le style alternativement emphatique et technocratique, les insuffisances sur l’éducation et la culture, les bourdes sur l’international. Admettons. On n’en serait pas moins en droit d’attendre une grande pertinence, une puissance de proposition inattaquables dans le domaine économique et social. Cette direction ne se revendique-t-elle pas de la « vraie gauche » du parti ? Le lecteur indulgent se concentre donc sur ces volets du texte. Mais il n’est pas certain que son indulgence résiste longtemps à cette dernière épreuve. Car il devra s’infliger la douteuse opposition entre « économie réelle » (le bien) et finance (le mal), comme si le patron de « PME », parangon (dans ce texte) de la première, était toujours un apôtre de la question sociale, comme si par ailleurs on pouvait imaginer une économie de marché sans capitaux ! Il se confrontera, surtout, à la régression politique majeure que constitue le retour à une vision misérabiliste d’un monde coupé en deux, entre les inclus, et les exclus – dont le PS doit exclusivement s’occuper. C’est ainsi que l’on parle de politique salariale sans proposer autre chose que l’augmentation du SMIC ou la « revalorisation des petites retraites ». C’est ainsi, surtout, que l’on tombe dans le piège grossier qui nous est tendu par la droite, en délaissant totalement les classes moyennes, sans chercher à créer une vision de la société qui rétablisse leur alliance objective avec les classes les plus démunies.

Mais ce n’est pas tout. Ce qui décourage définitivement le lecteur le mieux attentionné, le plus ouvert, de valider ce texte, c’est sa destination véritable, qui apparaît progressivement au fil de la lecture, et qui explique peut-être d’ailleurs pourquoi tant de thématiques sont bâclées. Cette destination est limpide : c’est l’empêchement. Ce texte a été écrit pour empêcher une certaine catégorie de socialistes de le voter. D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, il ne devient précis et anguleux que quand il s’attache à des positions inverses de celles de la motion E. Tout y passe : les critiques voilées contre la supposée présidentialisation du parti (« le débat argumenté plutôt que la démarche personnelle ») ; la réactivation de l’opposition stérile entre parti de militants et parti de supporters (« nous n’admettrons pas de voir notre parti [...] au service d’une candidature ») ; le refus de l’allègement du prix de la cotisation ; le refus proclamé de toute alliance avec le MoDem (tout en précisant de manière ambiguë que ce parti prône « aujourd’hui » une politique économique et sociale opposée à la nôtre, sans aller jusqu’au bout de ce qu’implique cet aujourd’hui). On ne reviendra pas sur ce qu’a de comique cette vertueuse interdiction, au regard des alliances pratiqués ça et là par ses propres promoteurs.

Au bout du compte, ce texte en vient même à défendre des orientations inquiétantes, dont on se demande si les auteurs mesurent toutes les conséquences. Quel est le sens profond de ces deux paragraphes à la conclusion du texte, qui demandent une réflexion « sereine » sur les modalités de la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle, et qui soulignent une opposition entre le scrutin sur les motions – proportionnel – et le scrutin sur le premier secrétaire du parti – majoritaire ? Difficile de ne pas voir là une volonté de revenir sur la désignation du premier secrétaire, et de notre candidat à la présidentielle, par l’ensemble des militants.

Comment ressentir autre chose que de la déception, de la consternation, voire de l’inquiétude, à la lecture de ce « texte d’orientation » ? De cet écrit qui est censé constituer les fondements de l’activité socialiste pour les trois prochaines années ? Curieux objet que ce texte qui fait le choix formel de l’inventaire, plutôt que de se concentrer sur quelques points nodaux d’un projet d’ensemble, et qui échoue en définitive à être détonnant, conquérant, ou même simplement un tant soit peu précis et convainquant, sur la grande majorité des sujets abordés.

Soyons très clair. Nous ne reprochons pas à ce texte de ne pas reprendre les positions des uns ou des autres. Nous constatons simplement qu’il échoue à satisfaire les deux exigences fondamentales de la rénovation : le rassemblement de tous les socialistes, et la volonté de poser les vraies questions, et de refuser les faux débats.

Romain Pigenel

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