L’affaire DSK et ses répliques sismiques – podologie essonnienne, colportage de rumeurs sur des ministres pédophiles – offrent un intéressant cas d’étude sur le fonctionnement du monde médiatique ou plutôt du monde des commentateurs, des émissions télévisées les plus regardées jusqu’à la blogosphère. Pour commenter, encore faut-il avoir quelque chose à commenter. Or sur l’affaire DSK on ne sait rien. Que savoir d’une situation au sujet de laquelle deux versions radicalement différentes s’affrontent, dans un pays étranger et dans un contexte complexe ? Une situation dont ne nous reviennent que des éléments lacunaires fuités au compte-goutte par la police locale ? Le « mystère » de la chambre du Sofitel aurait dû être, en toute logique, une occasion d’ascèse pour les commentateurs et autres éditocrates, suivant la maxime de Wittgenstein : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence ». Comportement bien entendu quasiment impensable pour une corporation ne vivant et n’existant qu’à travers la pratique du commentaire, et reniflant le fumet ô combien vendeur du sexe et du sordide.
Chacun y alla donc de son petit commentaire, plaquant sur des faits pour l’heure non élucidés toutes sortes d’interprétations sociologiques, politiques, économiques, philosophiques. En ce sens l’affaire DSK est vite devenue un révélateur des obsessions de son époque, et une occasion pour chaque chapelle de faire valoir ce qu’elle avait à dire. Les inévitables Hefez et Tisseron pratiquent l’analyse psychopathologique de la bête de foire DSK. Les féministes pointent du doigt l’animal à terre, et en font le symbole du machisme politique. Certains à gauche veulent voir dans le couple directeur du FMI – femme de chambre noire la métaphore de la domination de classe et de la mondialisation aliénante. D’autres encore, plus moralistes, ressortent leurs pénibles prêches sur la « démesure » et « l’avidité », qui avaient déjà servi à l’époque de la crise financière, et qui essaient à grand peine de peindre l’appétit sexuel de DSK en partie émergée de l’iceberg de la gloutonnerie capitaliste. Le lecteur complètera cette liste bien entendue infinie et en perpétuelle augmentation.
Des échafaudages de mots, de réflexions, d’hypothèses, bâtis sur du vide – pour le coup, ces constructions vertigineuses rappellent furieusement les montages financiers qui menèrent au crash de 2008. DSK, Tron, Ferry : autant de bulles de commentaires, de bulles verbales, qui font vivre le peuple des commentateurs comme l’argent de la finance nourrit Madoff et ses semblables. A ce petit jeu, Luc Ferry est bien entendu celui qui se rapproche le plus de l’aigrefin new-yorkais. Emblématique des demi-intellectuels (comme on parle de demi-mondaines) qui hantent la télévision et la presse, il incarne à lui seul (même si d’autres ont déjà sévi, à moindre échelle) la trahison de la fonction du philosophe, abandonnant son rôle de critique rationnel pour embrasser celui de propagateur de rumeurs. Comment exister, faire parler de soi, dans une actualité déjà sordide et grotesque au dernier degré ? Comment faire parler après DSK et Tron, sinon en criant encore plus fort que le bruit déjà là ? Pire que le viol, pire que le fétichisme, la partouze pédophile, dont on n’a aucune preuve mais qui est attestée par des personnes dignes de foi et bien renseignées.
Comment une personnalité que l’on ne peut accuser d’être complètement stupide et inconsciente a-t-elle pu se laisser glisser sur la pente d’un crash aussi significatif ? Si ce n’est parce qu’elle s’est retrouvée prise dans une double contrainte parfaitement ingérable – d’un côté, n’avoir aucun élément concret et nouveau à apporter à la polémique, de l’autre, devoir ajouter un commentaire à la bulle pour ne pas disparaître ? D’où les tentatives désespérées (et riches d’enseignement) pour justifier son propos – c’est vrai, car on me l’a dit. La répétition d’un mensonge ou d’une rumeur vaut vérité. Faire exister la bulle finit par être la seule raison d’être de la bulle.
Cette inflation du commentaire rencontre une autre tendance forte de notre époque, celle de la transparence. Dans sa chronique du jour, Daniel Schneidermann, s’efforçant pour sa part de justifier le fait d’avoir jeté le nom de Jack Lang en pâture au sujet de la rumeur Ferry, a une étrange explication : « Je pense que nous sommes malades, nous journalistes, et moi le premier, d’avoir trop tû ». Tout doit être dit, que cela soit signifiant ou non. D’un côté, commenter même quand il n’y a rien à commenter ; de l’autre tout révéler sans se soucier des conséquences, car l’idée même d’une connaissance non publicisée est insupportable. Dans cette frénésie gloutonne de paroles, la bulle a encore de beaux jours devant elle.
Romain Pigenel
13 Comments
Pas complètement mais presque… Le bruit médiatique censure d’autres informations. Ceci dit, ASI est vraiment intéressant sur ce sujet.
J’ai toujours le souvenir de l’excellent “Enfin Pris” de Pierre Carles sur le camarade Schneidermann … http://video.google.com/videoplay?docid=6416231002784308618#
Il y a aussi la peur panique des médias et autres internautes branchés à passer à côté de la dernière info. Ca pousse peu à la réflexion.
Tout à fait. Il est frappant de voir combien depuis deux ou trois ans, les sites des grands journaux comme Le Monde se sont “twitterisés”, donnant de plus en plus de place à des dépêches d’agence vaguement maquillées en articles.
Luc Ferry est un homme rigoureux, la preuve:
http://vanessa-schlouma.blogspot.com/2011/06/la-memoire-inventive-de-luc-ferry.html
Cette affaire rend évident le fonctionnement pavlovien des médias et particulièrement de la télé, mais il me semble qu’il en est ainsi depuis… Que la télé existe, peut-être !
@Karine : comment ne pas faire confiance à un homme aussi rigoureux ?
@Le Coucou : je me méfie aussi des “maintenant c’est pire que jamais”, mais je pense quand même que l’on assiste avec Internet, les réseaux sociaux les chaînes d’info en continu, etc. (enfonçons les portes ouvertes !) à une intensification et une accélération du phénomène, qui prend une tout autre ampleur.
Comme le disais et le démontrait Daniel schnerdermann dans son livre, dire je ne sais pas pour un journaliste est une obscénité. Il y a tout ce que l’on peut imaginer pour faire avancer ces affaires, justice, juges, enquêtes, police, analystes legaux etc.
Malheureusement le temps journalistique ne correspond pas au temps juridique.il est même la denrée la plus critique.
Et quand on a rien à dire et que l’on veut tout de même parler, on dit forcemment beaucoup de conneries.
Un proverbe Soufi dit:
Si ce que tu as à dire est monis beau que le silence, alors tais toi…
Bizarre qu’un amateur de Kant soit un philosophe dogmatique et ignore l’épistémologie. Il est temps qu’il se réveille de son sommeil comme son maître.
@ Romain
Vous avez oublié le seul exemple d’homme politique comdamné pour harcelement sexuel, avec le silence assourdissant des médias.
http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/06/06/le-ps-va-t-il-exclure-le-senateur-jacques-maheas-condamne-pour-harcelement-sexuel_1532686_823448.html
Bonjour ,
Entendu ce matin à FI que des milliers de gens touchent des revenus de l’E.N de 4 ou 5000 euros sans effectuer un poil d’enseignement au titre de “chercheur” comme notre L.F qui lui en plus a bénéficié de grade supplémentaire .
Ca en fait des sous qui manquent sur le terrain !
Cdt.
Pc.
Je partage entièrement votre opinion .
Le plus choquant de mon point de vue est l’attitude des JT à la télévision qui nous ont bassiné pendant des semaines , en permanence , sur cette histoire et participant à la chasse à l’homme .
Et sachant comme ils sont prompts à faire silence sur d’autres affaires autrement plus épineuses et importantes ,je pense qu’ils se sont totalement déconsidérés vis à vis des téléspectateurs .
Naturellement , je ne sais pas comment ils ont vécu cette période et s’ils ont ressenti la même chose que moi .
Mais il s’est passé chez ces médias que l’on sait aux ordres quelque chose de scandaleux .
Cdt.
Pc
@Eric : très beau proverbe, je me le mets de côté
@Nguyen : Kant et la surmédiatisation font mauvais ménage, je pense.
@Fiorino : non je ne l’ai pas oublié, mais quel rapport avec ce dont je parle ici ?
@Pol Ignac : on peut se demander quelle est, chez les médias, la part de la manipulation et la part du suivisme. Sans doute un mélange à proportions variables des deux.
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[Variae] Talkin’ loud and sayin’ nothing – DSK, Tron, Ferry et les bulles de commentaires http://tinyurl.com/3s3bxgh
Parler pour ne rien dire – #DSK, #Tron, #Ferry et les bulles de commentaires http://t.co/8bfQT0m sur #variae
[...] quatre minutes d’audience, c’est déjà une overdose de commentaires journalistiques creux et vides alors que le procès n’aura pas lieu avant six mois (sauf [...]
RT @Romain_Pigenel: Talkin' loud and sayin' nothing – DSK, Tron, Ferry et les bulles de commentaires #variae http://t.co/GvAAMZB
[...] quatre minutes d’audience, c’est déjà une overdose de commentaires journalistiques creux et vides alors que le procès n’aura pas lieu avant six mois (sauf « deal » [...]
DSK, Tron, Ferry: la bulle des commentaires enfle, enfle… http://t.co/7lEaCyu / http://t.co/8bfQT0m #variae sur Marianne2
[...] et inacceptables. Des emballements informationnels et des lynchages-express rappellent les bulles et mouvements d’affolement financiers. La constitution de sites de fuites échappant à tout [...]
[...] sera redigéré en un tweet qui, on l’espère, sera repris à son tour. Et ainsi tourne la grande chaîne de l’info low cost. Boulimie informationnelle du aussitôt lu, aussitôt jeté, sur un écran [...]
[...] Bulles de commentaires et Extension du domaine de la dérégulation (sur le rôle des médias et la transparence) [...]
[...] Banon », les rumeurs lancées contre Martine Aubry … Ces informations de caniveau remplissent l’actualité et permettent à Nicolas Sarkozy de retarder au maximum le moment du bilan de son [...]
[...] Banon », les rumeurs lancées contre Martine Aubry … Ces informations de caniveau remplissent l’actualité et permettent à Nicolas Sarkozy de retarder au maximum le moment du bilan de son [...]
[...] ferai la démonstration à chaque fois que j’ouvrirai la bouche. Assez de croissance, d’inflation (verbale), de gaspillage ! Assez ! Pendant qu’une petite partie de privilégiés se goinfrent de mots [...]
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