Celles et ceux qui ont un jour travaillé avec ou milité pour Ségolène Royal vous le diront : sa principale caractéristique, c’est l’imprévisibilité. Une imprévisibilité au sens radical du terme : être capable d’alterner sans raison apparente le pire et le meilleur, de sentir des bons coups comme de les faire tourner au vinaigre, de faire, sans connotation négative, n’importe quoi – c’est-à-dire d’agir en dépit des convenances, des ça ne se fait pas et des attendus. Comme par exemple : se battre à mort pour la tête du parti socialiste ; puis retisser bout par bout une relation « apaisée » avec son actuelle direction, au point de s’inviter dans un pacte/pack grand-guignolesque ; donner tous les gages de loyauté possibles à la première secrétaire ; tout cela pour, enfin, la désavouer brutalement, alors que cette dernière vient de réaffirmer l’accord des « grands candidats » pour la primaire socialiste, en annonçant sa propre candidature.
C’est ce qu’on appelle faire événement. Y a-t-il eu beaucoup d’épisodes récents de la vie du parti socialiste qui ont donné lieu à une « alerte info SFR », reçue par les abonnés de l’opérateur téléphonique ? Détail parmi d’autres qui en dit long sur la capacité d’impact médiatique de la présidente du Poitou-Charentes. Dans la dramaturgie des (pré)primaires socialistes, Ségolène Royal apporte sa contribution toute particulière. Ce n’est pas une simple candidature de plus ; c’est, en vrac, l’acte 2 et la revanche de 2007 ; la suite du sanglant congrès de Reims ; tout un cortège d’histoires et de souvenirs, depuis le pas de deux avec Bayrou jusqu’aux excuses envers l’Afrique, en passant par le frigidaire et les menaces de poursuites en justice contre le parti socialiste. Un cortège bigarré, alternant épisodes scabreux, rocambolesques et historiques, qui stimule forcément plus la machine politico-médiatique que les affrontements d’appareil autour de textes programmatiques sur l’égalité réelle. Ségolène Royal, en bien comme en mal, est un des quelques responsables politiques, avec Nicolas Sarkozy, dont la vie et les actes trouvent un écho dans tout le spectre de la presse et des médias, des titres people aux revues savantes ; son entrée dans la danse, après le remaniement ministériel, marque tacitement le début des choses sérieuses pour 2012.
Mais la nature événementielle de cette déclaration de candidature ne se résume ni ne se réduit à des questions d’audimat et d’impact médiatique, dont on jugera plus précisément dans les prochaines semaines. Elle tient aussi et d’abord au sens qu’elle a, et aux effets qu’on peut prévoir, à gauche et dans le camp socialiste en particulier. Quelles étaient la situation et les dynamiques à l’œuvre jusqu’à présent ? Premièrement, une opposition entre gauche de gouvernement (PS, Europe Écologie–Les Verts) et gauche populiste, « fromage qui pue », incarnée par un Mélenchon mettant même mal à l’aise ses alliés communistes. Deuxièmement, un différentiel entre nouvelles formations jeunes et/ou rénovées (Europe Écologie–Les Verts, voire Parti de Gauche) et partis plus anciens (dont le PS). Troisièmement, un clivage, plus interne au PS, entre Cassandre rigoristes – Hollande, Valls, Moscovici, Collomb – et néokeynésiens rétifs à la contrainte – Hamon et les défenseurs du texte Égalité réelle. Quatrièmement, et toujours au sein du PS, un hiatus commode entre « grands candidats » putatifs, s’efforçant de calmer le jeu et de garder le contrôle sur les primaires, et outsiders plus pressés d’en découdre. De ces lignes de partage découlait la situation incertaine que l’on connaît, avec une gauche hésitant sur l’attitude à adopter face à la droite dure, et un PS s’endormant dans un faux rythme et des débats sans issue (calendrier électoral, dispute transformateurs vs. réalistes, nécessité ou non d’attendre l’homme providentiel du FMI).
La sortie du bois de Ségolène Royal vient chambouler ce paysage ronronnant pour une raison très simple : la proposition et le positionnement politiques qu’elle représente ne se laissent pas contenir dans les clivages mentionnés ci-dessus. Issue du cœur de l’establishment politique – l’ENA et la mitterrandie – elle a cependant régulièrement été taxée de populisme depuis 2006, pour des idées que reniait même alors Mélenchon – les jurys populaires – ou des formulations douteuses récurrentes dans son discours, comme l’opposition entre peuple et « sachants ». Hiérarque socialiste de longue date, elle n’en a pas moins incarné la possible rénovation du PS lors de son dernier congrès, et a même mis en œuvre le dépassement de ce dernier avec le mouvement Désirs d’Avenir. Prudente dans ses positions budgétaires et économiques lors de la dernière présidentielle – l’idée d’un redéploiement de l’appareil d’État comme condition de toute politique de réforme, la prise en compte de la dette, la défense du marché comme milieu naturel – elle est également capable de parler avec une crédibilité certaine pour « les petites gens » et contre le « système ». Quant au quatrième clivage, entre types de candidatures, elle le fait voler en éclat par sa déclaration ; ni actuelle patronne du PS, ni ex-premier secrétaire peinant à refaire surface ; ni sauveur d’outre-Atlantique, ni « Obama de la Bresse » ; pas vraiment en position de force au sein de l’appareil socialiste, mais néanmoins dernière candidate à la présidentielle. Autant d’ambigüités qui singularisent cette entrée en lice, qui pourrait bien sérieusement rebattre les cartes, quelle que soit son issue finale.
Car on ne voit pas comment la lente hâte avec laquelle se dessinaient les événements au sein du PS pourrait ne pas s’en trouver perturbée. Les primaires ne se limitent plus à un tour de chauffe entre candidatures de témoignage ; les appels à l’unité et au travail de fond tombent à plat ; le pacte qui avait fait tant jaser n’est plus la saine entente de tous les poids lourds socialistes, mais se trouve rabaissé à la continuation de l’accord « carpes et lapins » du congrès de Reims ; enfin et surtout, les postures d’attente et de temporisation deviennent fort complexes à tenir, au risque de perdre rapidement beaucoup de terrain. En mal comme en bien, en somme, Royal vient avec ce coup de poker de donner un brutal coup d’accélérateur à la partie de 2012. Faites vos jeux !
Romain Pigenel
9 Comments
C’est sûr que sa candidature n’est pas anodine. C’est un poids lourd qui revient dans le jeu socialiste. Je dirais même que c’est la seule capable de faire bouger le PS et la France. A condition d’incarner le socialisme républicain comme elle a su si bien le faire en 2007.
http://www.fraternite-royal.com/article-segolene-royal-candidate-super-mais-pour-quoi-faire-62004205.html
J’ai bien peur qu’à ce jeu là, si nous n’y prenons pas garde, le PS et la gauche toute entière perde la possibilité de revenir au pouvoir en 2012. Ségolène l’imprévisible prévisible ne saura décidément jamais “jouer” collectif.
Candidature qui n’est qu’une demi surprise – qui d’autre au ps a cette détermination absolue à devenir président(e) ? – et qui de plus n’est pas si irrationnelle ni si anachronique que ça. Si SR veut s’inscrire dans le jeu des primaires, elle ne peut laisser le tempo de sa sortie du bois lui être imposée de l’extérieure ou par quelqu’un d’autre. Or nous avons tous bien sentis, avec les charges contre le texte de Hamon, que l’équilibre de la direction actuelle de Solferino était en péril, et que le risque d’une division dogmatique refaisait surface. Dans ces conditions et pour ne pas risquer de devoir se mouiller dans la guerre d’appareil qui s’annonce une nouvelle fois, ni subire une accélération du calendrier des primaires qui du coup deviendra ineluctable, SR n’avait pas bcp d’autres options que reprendre sa posture de candidate legitime. Chose faite, et bien faite, puisqu”elle réussit à y adjoindre la surprise. Les animaux politiques de sa trempe ont ceci de surprenant, qu’ils créent l’événement en faisant ce à quoi la situation du moment les acculent. Tout comme Sarkozy a fait croire qu’il reprenait la main en faisant toutes les concessions nécessaires lors du remaniement (et ce faisant il a effectivement repris la main), SR reprend effectivement la main parce qu’elle n’a d’autres choix qu’anticiper le mouvement qui s’annonce.
Bien vu Romain, tu m’as coupé l’herbe sous le pied !
oui, très bien vu, Romain.
je partage aussi entièrement, le commentaire d’Emmanuel.
@ Marcelline
Faudra expliciter en quoi Royal divise et d’autres candidats à la candidature, quant à eux rassemblent forcément.
Ce qui est dit pour l’une, et exclusivement une, ne l’est pas pour les autres.
Il y aurait donc des socialistes moins égaux que d’autres ? bigre !
Votre analyse sur l’actualité est toujours bienvenue et bien vue,et non neutre aussi.
@ Emmanuel: votre point de vue est extrêmement pertinent.
@Asse42 : je pense aussi que la capacité à vaincre, ou non, l’abstention dans cette élection sera un atout fondamental.
@Marceline : en même temps, on exige toujours d’elle d’être plus “collective” que les autres, non ? Personne n’a porté de telles accusations contre Valls et Montebourg quand ils se sont déclarés … Peut-être aussi parce que personne ne les prend au sérieux – pour le moment.
@Emmanuel : il y a de mémoire quelques beaux passages chez Machiavel sur la chance qui est l’art de saisir les opportunités quand elles se présentent …
@La Fourmi Rouge : pas mieux
@Alain et PA : merci !
Flop Royal !
Deux exemples à se mettre sous la langue :
Qu’est-ce qui a pu pousser Fadella Amara qui n’est ni pute ni soumise à faire partie du gouvernement Fillon ?
L’opportunisme ? Non… l’arrivisme ? Peut-être.
Ce serait plutôt un défaut de composition… très haut niveau de prostitution qui consiste à ne pas vendre son corps mais à sous louer son âme…
La voilà Kaput et casse-croute, avec ses contradictions dans ses valises, il ne lui reste plus qu’à prendre l’avion du Royal air baroque pour se remettre en état de navigation.
Parce que Ségolène elle, est plus réelle que Royale… elle vient de faire un pied de nez à la rose schizo-parano en s’autoproclamant scélérate…. Je veux dire candidate à sa propre récession.
Elle a perdu une fois… pourquoi pas deux ?
http://www.tueursnet.com/index.php?journal=Royal
Pas de dabta sur les idées, le socialisme en berne… rien que des querelles de chefs et cheftaines. Marre des politiciens et de la politique politicienne, assujettie de toute manière à l’Economie (et non l’inverse), avec le libéralisme comme modèle indépassable, malgré les dégâts enregistrés et les faillites étatiques.
15 Trackbacks/Pingbacks
[Variae] Royal Flush http://tinyurl.com/28j6eyy
(Variae) Royal Flush : http://wik.io/t5sXR
RT @pierrechappaz: (Variae) Royal Flush : http://wik.io/t5sXR
"Royal Flush" par @Romain_Pigenel http://bit.ly/dTbzul
Bonne analyse de l'annonce de Ségolène Royal chez @romain_pigenel http://bit.ly/fRCPMn
[...] 90 avec Christophe Dechavanne et son ineffable coucou c’est nous. Sinon, Variae nous parle du coup de poker de Royal. Tags: dominique strauss-kahn, martine aubry, mensonge, parti socialiste, primaires, ségolène [...]
Quand #Royal abat ses cartes http://bit.ly/gayhDy #primaires #2012 #ps #candidat #dsk #aubry
RT @Romain_Pigenel: [Variae] Royal Flush http://tinyurl.com/28j6eyy
[...] n’y a rien d’étonnant à cela. En effet, cette candidature met subitement un terme au ronron socialiste composé à la fois d’hésitations sur l’attitude à adopter à l’égard du [...]
[...] Nous avons aussi des problèmes de réception. Nous n’entravons rien aux transmissions du centre de commande. Le dernier message reçu ne correspond pas du tout à l’image radar. [...]
http://is.gd/i2CBl royal flush chez @Romain_Pigenel
Variae › Royal Flush http://bit.ly/fqp12Y
[...] « sauvages » ont déjà eu lieu, à commencer par celle, particulièrement significative, de Ségolène Royal. Que se passe-t-il entre ce coup d’envoi officieux et juin prochain ? Peut-on empêcher les [...]
[...] sondagier ShareLa présidentielle était partie sur les chapeaux de roue au PS – lancement surprise par Ségolène Royal, coup de semonce de nouvel an par Valls, entrées en campagne de Montebourg [...]
[...] Royal Flush Celles et ceux qui ont un jour travaillé avec ou milité pour Ségolène Royal vous le diront : sa principale caractéristique, c’est l’imprévisibilité. Une imprévisibilité au sens radical du terme : être capable d’ alterner sans raison apparente le pire et le meilleur, de sentir des bons coups comme de les faire tourner au vinaigre, de faire, sans connotation négative, n’importe quoi – c’est-à-dire d’agir en dépit des convenances, des ça ne se fait pas et des attendus. Comme par exemple : se battre à mort pour la tête du parti socialiste ; puis retisser bout par bout une relation « apaisée » avec son actuelle direction, au point de s’inviter dans un pacte/pack grand-guignolesque ; donner tous les gages de loyauté possibles à la première secrétaire ; tout cela pour, enfin, la désavouer brutalement, alors que cette dernière vient de réaffirmer l’accord des « grands candidats » pour la primaire socialiste, en annonçant sa propre candidature . [...]
Post a Comment