Pénible découverte dans Le Monde ce jour que la tribune – Point de vue, dans la rubrique Savoirs (ça ne s’invente pas) – de Valérie Pécresse, intitulée Cinq conditions pour désendetter le pays. L’appellation Point de vue est bien généreuse, ou pudique, pour ce qui s’apparente plus à un tract de propagande gouvernementale, et qui déchaîne d’ailleurs les commentaires furieux des lecteurs du quotidien.
Je ne développerai pas ici ce qui a été largement expliqué cette semaine, chez plusieurs confrères blogueurs et au sein de l’opposition par François Hollande en particulier – ce qu’il y a d’éminemment comique à voir une majorité prêcher l’abstinence budgétaire, après avoir généreusement plombé les comptes publics. Le papier de Valérie Pécresse tombe bien évidemment sous le coup de la même critique. Mais l’intérêt de cette opération de communication, pour moi, est ailleurs : elle présente, par le menu, les grands traits de la campagne et du discours de Nicolas Sarkozy dans les mois à venir.
Prendre de la hauteur. On a beaucoup glosé sur la représidentialisation d’un Nicolas Sarkozy qui s’attacherait à rompre avec les « casse toi pov’ con », les « avec Carla, c’est du sérieux » et autres accès d’hyperactivisme qui ont fini par lasser ceux qui l’avaient élu. Dans ce papier, Valérie Pécresse, ministre débutant sur son poste, n’hésite pourtant pas à prendre la pose professorale, voire arbitrale, et à dicter des « conditions » pour cadrer le débat sur la dette. Ou comment passer du statut d’acteur à celui de juge au-dessus de la mêlée – et donc mécaniquement au-dessus du lot. Responsable pour deux, face à la démagogie de l’opposition.
Noyer les responsabilités. La crise, divine surprise pour les sarkozystes ? Elle leur permet en tout cas d’une part d’échapper au bilan de leur seule action – tout est la faute de la crise – et d’autre part de se mettre en valeur comme défenseurs du pays dans une conjoncture mondiale difficile. Devant l’urgence, il n’y a plus vraiment de responsabilité individuelle, ni de divergences idéologiques : « En France comme partout en Europe et aux Etats-Unis, la réduction de la dette publique s’impose comme une priorité absolue […] [pour] les responsables politiques, de droite comme de gauche ». La situation française n’est plus qu’une déclinaison locale d’une problématique générale, bien plus grave que les futiles divergences partisanes et politiciennes.
La page blanche. « Notre dette […] est le fruit de 25 années de facilité, durant lesquelles les déficits ont été considérés comme un mal nécessaire, quand ils n’étaient pas purement et simplement ignorés ». Mais le RPR-UMP, et Nicolas Sarkozy, n’ont-ils jamais été au pouvoir, n’ont-ils jamais exercé de responsabilités budgétaires ? Il faut lire très attentivement ce texte pour y trouver des indices de l’identité des occupants actuels de Matignon et de l’Elysée : François Fillon n’apparaît que comme adversaire des « hausses d’impôts », Nicolas Sarkozy n’est évoqué que pour le « plan de relance » qu’il a mis en place contre la crise, et pour la fameuse « règle d’or » qu’il appelle à voter. Insister le moins possible sur le bilan de 2007-2012, essayer de prendre l’initiative politique pour éviter le débat sur ce dernier : refaire du candidat Sarkozy un homme neuf.
L’amnésie sélective. Le corollaire de la page blanche. Dans l’exposé des sources de la dette – la crise d’une part, l’Etat trop dispendieux d’autre part – la question des recettes (et de leur baisse) n’est jamais évoquée. Quid du bouclier fiscal, des heures supplémentaires défiscalisées, du cadeau fait aux restaurateurs avec la TVA ? Pourquoi ne plus défendre ou mettre en avant ces mesures jadis emblématiques du sarkozysme triomphant, millésime 2007 ?
Le protecteur. « Soutenir le pouvoir d’achat des foyers les moins favorisés […] protéger les Français et les entreprises de la brutalité de la crise ». Qu’il est loin le temps de la rupture ! Protéger les Français, également, de l’impôt, qui reste le grand mal socialiste : « L’impôt ne peut résoudre » l’équation réduction du déficit + augmentations budgétaires, « sauf à atteindre des montants que les ménages et les entreprises ne pourront pas absorber ».
TINA. Il n’y a pas d’alternative, c’est le message tout entier de cette tribune, qui multiplie les expressions de l’obligation et de l’impossibilité : « s’impose », « devront » / « devra », « passe nécessairement par », « impérativement », « nous ne pouvons pas » … On liste une série de contraintes substantialisées qui conduisent à une conclusion simple : pour qui d’autre voter que pour celui – quels que soient les griefs que l’on a à son encontre – qui mène le navire national par gros temps, et par le seule chemin possible ? La grande peur de la dette sert le TINA libéral, qui sert à son tour le TINA sarkozyste : il n’y a pas d’alternative politique sérieuse au sortant.
Romain Pigenel
18 Comments
Je n’ai pas lu cette tribune de Pécresse, mais à constater à quel point le découverte vous en a été pénible, ainsi qu’à lire l’analyse que vous en faites, on ne peut que se dire que de son point de vue et de celui de son parti, elle a fait du bon boulot.
Les socialistes devront se faire à l’idée que leurs adversaires seront coriaces et qu’il leur faudra d’autres arguments que les sempiternels rappels aux “casse toi pov’ con” et autres, pour gagner.
C’est une belle opération de lavage de cerveau, bien menée en effet.
Je ne comprends pas. Il me semble que l’UMP ne peut que sortir très mal en point de la prochaine séquence électorale et que le vrai problème de la gauche européiste est l’échec de son grand projet. En 2012 ou 2017, son adversaire sera Marine Le Pen.
Personnellement je n’ai rien trouvé de nouveau dans cette tribune et j’y ai vu un point majeur confirmant les dires de Xavier Bertrand ,les impots constitueront un point d’attaque majeur.
La droite proposera aussi des augmentations d’impot mais de manière masquée et très selective,suppression de niches fiscales,TVA sociale…(voir rapport de CHRIQUI patron du CAS qui a travaillé sur le sujet).
Si nous proposons des augmentations d’impôts inconsidérées,we are dead!
Refrain:la seule idée des socialistes,c’est l’augmentation des impôts!
@Jardidi : je trouve que Marine le Pen stagne, après sa percée du début d’année. Fera-t-elle vraiment un bon score à l’élection ? Je me demande.
@Claude :
“Si nous proposons des augmentations d’impôts inconsidérées,we are dead!
Refrain:la seule idée des socialistes,c’est l’augmentation des impôts!”
Absolument d’accord ! Raison de plus pour éviter les discours du genre “je m’engage à doubler tel ou tel budger”
Les sondages d’aujourd’hui ne signifient pas grand chose pour les présidentielles.
Je croyais que le rôle du Ministre du Budget était de vendre des champs de courses ou de collecter des fonds de campagne .
Même si quelques commissions sur les ventes d’armes semblent relever désormais du Ministère de l’Intérieur…
A la Défense ,on doit trouver que tout ça est un peu Longuet .
Bonjour;
Beaucoup de choses ont été dites dans des extraits lus dans Libé il y a quelque temps dans l’Après la démocratie d’Emmanuel Todd : le titre déjà si pertinent et “sarkozy n’a pas été élu malgré ses lacunes intellectuelles et morales mais A CAUSE D’ELLES”.
A partir delà, tout est permis “démocratiquement” ou apparemment.
Il y a aussi le principe du réverbère : “ce n’est pas là que nous avons perdu la république mais là au moins on y voit clair” !!!???.
Ou l’aberration alcoolique” c’est à dire que ce sont eux, les “alcooliques” (pas du tout anonymes puisque élus) qui vont nous libérer du problème de l’alcool : “ils savent” !.
Quelque part – dans la vraie république – tout cela n’a aucun sens, une réduction, une pantomime.
Ou de croire que les français ont comme personnalités qui comptent pour eux “les 50 personnalités préférées des français” : ça va nous retomber dessus bientôt.
La question est donc autre que tout cela, ailleurs et surtout plus haut mais là comme Diogène “on cherche un homme” et l’astuce est que le système n’est pas fait pour le trouver (voir plus haut).
@Jardidi : bien sûr. Mais je parlais plutôt de stagnation en termes de discours, d’idées: elle a moins la main.
@Gérard : je pense de toute façon que l’on fait une grosse erreur quand on se focalise sur les prétendues “lacunes intellectuelles” de NS. Il est exceptionnellement intelligent pour ce qui est de se faire élire, et c’est tout ce qui compte !
Romain :
les faits sont là, il a été élu, je dirais plus exactement qu’il s’est fait élire dans le cadre du “système” que je dénonce : une caricature, une pantomime.
Cela serait au “mieux” une “intelligence” qui satisfait son égo que je crois hypertrophié, obsessionnel au niveau du pouvoir et plus encore du “je, moi, mien” comme “mon mari” mais cela n’en fait pas quelqu’un d’intelligent pour le poste, pour notre république.
Todd a raison et vise juste,du moins je n’ai pas lu le livre mais le titre et la citation lus alors dans Libé m’ont semblé tellement pertinents.
D’autres exemples seraient possibles à propos des “machines à pouvoir” en France, les prédécesseurs ou à l’étranger (Berlusconi).
Des malins et peut être d’autres en amont qui savent les utiliser pas en accord avec mon exigence républicaine.
On entendra encore pendant la prochaine campagnee qu’aucune autre politique n’est possible, que c’est un devoir de responsabilité, etc.
Baisser les impôts pour plus d’injustice.
L’inquiétude de la gauche girondine à propos des présidentielles signifie-t’elle qu’elle méprise le peuple, du genre “Les Français sont tellement idiots qu’ils vont voter pour lui” ou révèle-t’elle leur manque de confiance en eux. Le PS n’a rien à proposer pour mettre fin à la montée de la pauvreté et la focalisation sur Sarkozy lui permettrait de ne pas regarder cela en face?
Le problème du PS n’est pas Sarkozy mais son propre projet, cette Europe qui échoue.
Merci pour le décryptage. Si le P”s” n’était pas de droite on pourrait entendre les dirigeants socialistes parler de ce qui suit: http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article225
@SCAMANDRONYMUS :
@Gérard : intelligence autocentrée, on est d’accord.
@David : c’est leur seule planche de salut. Et on peut déjà prévoir quelques promesses très ciblées pour leur clientèle électorale.
@Jardidi : moi c’est la gauche lorraine, désolé
@Garance : “Le PS de droite” => bravo, continuez comme ça et nous pourrons collectivement fêter l’avènement de Sarko 2 dans un peu moins d’un an …
C’est peut-être le moment de citer ici la phrase que José Ortega y Gasset avait réservée à la préface de la traduction française de son livre “La Révolte des masses”, en 1937 :
“Etre de gauche ou de droite, c’est choisir une des innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’être un imbécile…”
J’ajouterai que cette phrase aurait pu servir d’exergue à Hubert Védrine qui ce matin fait paraître sur Slate.fr un article intitulé : “Un programme bipartisan pour redresser la France”.
@Marianne :
“J’ajouterai que cette phrase aurait pu servir d’exergue à Hubert Védrine qui ce matin fait paraître sur Slate.fr un article intitulé : “Un programme bipartisan pour redresser la France”.”
Oh que oui !
On peut difficilement demander à un énarque d’être un intellectuel ! ;+) Dans le genre, j’aime beaucoup François Hollande, également.
@Denis : je ne vois pas le rapport avec Hollande ?
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[...] la finance et aux gros revenus), ensuite en réécrivant l’histoire récente de notre pays, pour pousser sous le tapis de la crise les erreurs et les folies déficitaires de la droite, à commencer par le paquet [...]
[...] entendu pas sur tous les toits, mais la crise, avec ses différentes étapes depuis 2008, est une divine surprise pour les sarkozystes. Elle a le même effet qu’un tsunami qui raserait des quartiers entiers [...]
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