Le mot n’est pas courant et il marque d’autant plus. Répondant aux accusations d’Anne Lauvergeon sur le système de copains et de coquins qu’il aurait mis en place dans la filière nucléaire française, Nicolas Sarkozy l’accuse de politicaille. « Franchement Anne Lauvergeon qui voulait rester à tout prix présidente d’AREVA ne devait pas être gênée par le système qu’elle dénonce maintenant, puisque ce qui rend moins crédible ce que dit Anne Lauvergeon, c’est qu’elle a attendu d’être mise dehors pour contester un système dont elle voulait continuer à participer au premier rang comme présidente d’AREVA. Elle est par ailleurs aujourd’hui la présidente de Libération, dont on connait l’engagement à gauche, tout ça c’est de la politicaille ».
Ce terme, défini par le dictionnaire comme la « politique envisagée sous un angle déprécié ou méprisable », n’apparaît pas pour la première fois dans la bouche de Nicolas Sarkozy. Ce dernier l’avait déjà employé lors de son déplacement à Fessenheim, plus tôt dans la campagne, pour critiquer devant les ouvriers le choix du PS et des Verts de fermer la centrale. « Pourquoi ils veulent la fermer ? Pour faire plaisir, pour la politicaille, ils n’ont même pas réfléchi ». Comprendre : pour la démagogie, et/ou pour sceller un accord électoral entre eux, au mépris de l’intérêt général.
D’un –aille à l’autre : en 2005, le presque candidat Sarkozy promettait à Argenteuil de « débarrasser » la ville de ses « racailles ». Aujourd’hui, président sortant et déclinant, il accuse ses adversaires et ceux qui contestent sa politique de relever de la « politicaille ». Le mot peut d’ailleurs être compris dans plusieurs sens, à la fois comme une critique de ce qui serait une tambouille politique intéressée et électoraliste, mais aussi comme un substantif désobligeant pour le personnel politique – la « politicaille », une sorte de racaille politique, un ramassis de personnages malfaisants qui trompent les Français.
La manœuvre sémantique poursuit sans doute plusieurs objectifs. Premièrement, retourner à l’envoyeur les accusations de malhonnêteté et de démagogie populiste dont Sarkozy est de plus en plus accablé, dans une démarche proche de « l’inversion victimaire » qui voit le président et ses proches systématiquement se poser en victimes quand ils sont, en fait, fautifs. Deuxièmement, « faire peuple ». Pour Nicolas Sarkozy, la mise en scène de sa proximité avec la population passe depuis longtemps par l’utilisation d’un langage volontairement dégradé, avec cette idée, au fond foncièrement prolophobe, qu’un ouvrier attend qu’on lui parle mal et dans une langue douteuse. Troisièmement, se situer dans le registre du candidat en marge de la classe politique, du « système », de l’establishment comme disait Jean-Marie Le Pen. C’est le double du sens du concept de « candidat du peuple » : un candidat comme le peuple (il parle mal), et un candidat par et pour le peuple (contre les élites). Il y aurait d’un côté la compromission des hommes et femmes de pouvoir et d’argent (Anne Lauvergeon), contrôlant les médias (Libération), la compromission des partis magouilleurs (le PS et EELV), et de l’autre l’homme libre qui se dresse contre eux (Nicolas Sarkozy).
7 ans, disais-je, entre la racaille et la politicaille. Si le premier terme était le symbole d’un Sarkozy en pleine ascension bousculant les codes politiques, le second est plutôt le stigmate d’une fin de règne chaotique, s’agrippant aux ficelles de la rhétorique poujadiste et réactionnaire.
Romain Pigenel
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François Fillon, vous êtes l’allié des spéculateurs
François Fillon, cher futur-ex-Premier Ministre,
Vous êtes considéré dans votre famille politique comme un individu sérieux, de ceux dont on dit qu’ils ont la trempe d’un Homme d’Etat. Je me contenterai ici de juger vos actes et vos propos.
Vous avez mardi soir, lors d’un meeting, mis en œuvre devant des soutiens de votre candidat une version post-crise-financière de l’argument des chars russes contre la gauche et François Hollande : « Nous avons réussi à stopper [la] spéculation car nous avons pris les mesures nécessaires [en mettant en place une politique de rigueur] […] Si jamais demain, au lendemain du 6 mai, la France remettait en cause cet engagement, si la France disait ‘non, je prendrai un jour de plus ou je le ferai que s’il y a de la croissance’, à cette minute-là la spéculation contre la monnaie européenne reprendrait de plus belle, sauf qu’il n’y aurait plus personne pour l’empêcher ».
Vous avez, très simplement, posé cette équation qui n’est rien d’autre qu’un chantage, un pistolet financier sur la tempe des électeurs : si les Français exerçant leur liberté de choix démocratique élisent François Hollande, si les Français rompent avec la politique économique de Nicolas Sarkozy, alors l’euro s’effondrera, et la France avec lui.
Vous avez délibérément manié l’arme de la prophétie qui, en matière financière et spéculative, risque toujours d’être auto-réalisatrice. Dire que l’élection de François Hollande entraînera mécaniquement la spéculation, c’est par avance saborder le bateau France que vous vous apprêtez déjà à transmettre en bien triste état à l’opposition ; c’est, déjà, entamer la confiance en la capacité de la France à faire face à la crise. C’est donc jouer sciemment le jeu des spéculateurs.
Est-ce là un acte digne de l’Homme d’Etat que vous passez pour être ?
Est-ce là, surtout, un acte en cohérence avec la position que vous aviez (et le comportement que vous appeliez de vos vœux de la part de l’opposition) dans un lointain passé, il y a … trois mois ?
Souvenez-vous. Alors que la France perdait sa notation « triple A » au sortir de dix ans de pouvoir de la droite, vous refusiez alors à l’opposition tout droit d’inventaire. Que n’avons-nous pas entendu ! Faut-il vous rappeler les propos de Jérôme Chartier, secrétaire général de votre parti : « L’opposition s’est précipitée pour commenter cette information et l’utiliser de manière politicienne et honteuse […]. Il y a une certaine indécence à se réjouir de cette information alors que l’Europe toute entière traverse une crise sans précédent. L’UMP appelle l’opposition à plus de retenue et de responsabilité dans ses commentaires » ? Faut-il vous rappeler vos propre propos, quand en séance à l’Assemblée Nationale, vous appeliez la gauche à ne pas « se jeter avec gourmandise » sur la crise, quand vous marteliez : « Notre pays a [...] besoin d’unité nationale. Nous ne demandons pas à l’opposition d’approuver nos choix et notre bilan, nous lui demandons simplement de ne pas aggraver les difficultés de notre pays » ?
Vous feriez bien, Monsieur Fillon, cher futur-ex-Premier Ministre, de recouvrer votre sang-froid, vos esprits, et de vous appliquer à vous-même vos appels à l’unité nationale. Persister dans le chantage et le sabotage nous apprendra deux choses de vous : que vous êtes l’homme d’un parti, plutôt que de votre pays ; et que vous êtes devenu, concrètement, l’allié objectif des spéculateurs.
Romain Pigenel