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Les objets de la politique (5) : Un document qui résiste aux meilleurs spécialistes #SarkoCaSuffit

Année 4012, 3ème jour de la saison des tempêtes, planète Obama Prime. Cours d’archéologie terrienne du professeur GH-5467 Alpha. La séance est consacrée à une étude de document autour d’une pièce iconographique très rare et mystérieuse de l’Ancienne Terre.

- [Le professeur prend la parole] Bonjour à tous, sortez vos projecteurs holographiques. Comme je vous l’avais annoncé lors du dernier TD, nous allons aujourd’hui nous pencher sur une image terrienne d’origine non confirmée, et sur laquelle de nombreuses hypothèses contradictoires circulent. [L’image apparaît devant chaque étudiant]. Hum … voilà. Alors, que pouvez-vous me dire, en première impression ? Oui … oui vous au fond ? [Il désigne un étudiant qui lève sa tentacule].

- On dirait un être humain !

- Tout à fait, bien vu, c’est un être humain de l’Ancienne Terre. Même si son corps n’apparaît pas, on peut raisonnablement le rattacher à homo sapiens sapiens.

- [Un autre étudiant agite ses antennes d’étonnement] Mais monsieur le professeur, je croyais que homo sapiens sapiens était un animal terrestre ? Alors que là on dirait qu’il flotte sur une surface liquide ?

- Bonne remarque ! C’est une des  nombreuses questions que suscite cette image, et jusqu’à maintenant, personne n’a pu y répondre. Cette surface liquide est sans doute la mer que les Terriens appelaient « Océan ».

- [Un autre étudiant encore lève une pince, dans un cliquetis de boulons] Monsieur, peut-être qu’il appartenait à une tribu de pêcheurs ou de marins ?

- C’est une hypothèse intéressante, mais pour ce que l’on en sait, cette image a été retrouvée dans des ruines sur la partie occidentale d’un continent appelé « Europe », qui n’avait rien d’une île. La question reste donc ouverte. Mais parlons de la fonction de cette image. A quoi servait-elle, selon vous, et que voulait-elle dire ? [silence perplexe dans la salle] Allez-y, ne soyez pas timides, d’éminents scientifiques ont fait tourner leurs neuroprocesseurs sur ce curieux document sans trouver de réponse évidente !

- Cet être humain … il n’a pas l’air très bien, ses appendices oculaires ont l’air de se perdre dans le vide, il a le regard flou … C’était peut-être un hologramme de mise en garde contre les drogues, comme on en voit dans les bars d’Alpha du Centaure ?

- Oui … intéressant … et là-bas au fond de la salle, j’ai vu une queue qui se levait ?

- Oui moi Monsieur le professeur ! Je pense qu’il s’agit d’une publicité, peut-être que ce terrien avait une société d’hydroglisseurs et qu’il transportait ses congénères sur l’Océan dont vous parliez !

- Pourquoi pas. Mais voyez-vous le moindre appareil sur l’image ? Non. Je vous l’ai déjà dit 100 fois élève DR-320X, PAS D’ELUCUBRATION SANS PREUVE !

- Monsieur, Monsieur, moi je sais ! Vous voyez toute cette place laissée vide à droite de la créature ? Je pense qu’il s’agissait d’une image à colorier et dessiner pour les jeunes humains, comme nos hologrammes pédagogiques actuels !

- Très bonne intervention, élève R-56-AR. Justement – j’allais vous les montrer – il nous reste quelques versions, hum, « complétées » de cette image qui pourraient accréditer votre thèse.

- Monsieur, et si en fait c’était un souvenir de la fin de l’Ancienne Terre, quand les eaux sont montées et ont recouvert tous les continents, ce que vous nous aviez expliqué lors du dernier cours ?

- C’est une autre thèse récurrente chez les archéobiologistes, élève TZ-12. Bonne intuition de votre part. C’est d’ailleurs pour cela que cette image est appelée « le dernier humain » ou « Noé » dans certains manuels. Mais les analyses de datation semblent cependant écarter cette hypothèse : l’image serait très antérieure à l’immersion de la surface terrestre. [L’étudiant TZ-12 baisse ses grappes d’yeux, l’air déçu]. Bon, et que pourriez-vous me dire de l’inscription en caractères terriens sur la droite de l’image ? Vous pouvez vous aider de vos hololexiques.

- Monsieur, je vois que « France » était un prénom de femelle terrienne. Et le mot à côté, il se traduit par « costaud », « solide » … Peut-être que ce Terrien était de sexe féminin ? Une femelle “puissante” ?

- En fait, « France » était également le nom d’une tribu terrienne. Ah c’est difficile l’archéologie, hein ! D’où l’interprétation de mon estimé collègue le professeur TY-90U, qui postule pour sa part que cet homo sapiens sapiens serait triste au sujet de la destruction de sa tribu la France.  D’où son air étrange. Allez, vous avez bien mérité votre pause !


Prise de notes par Romain Pigenel


D’autres objets de la politique analysés ici.

Faire une entrée en campagne tonitruante : la méthode Sarkozy #SarkoCaSuffit

Bilan épouvantable ? Moral dans les chaussettes, et popularité plus basse encore ? Divisions qui couvent comme le feu sous la glace dans votre camp ? Ami président sortant, ne renoncez pas purement et simplement à vous représenter : essayez plutôt la méthode Sarkozy !

Comment ça marche ? Le principe est simple : faire un maximum de bruit tout en brassant l’air à grands coups de bras, pour essayer de détourner l’attention de la population des griefs monstrueux accumulés à votre égard. Le tout en 5 étapes simples.

 

ETAPE 1 – Faites monter le désir.

Réveillez la midinette qui est en vous. Faites-vous plus rare, prenez l’air nostalgique, évoquez en petit comité vos doutes, la possibilité que vous quittiez votre « job » (© Sarkozy) de président pour « aller faire de l’argent » (© Sarkozy). Laissez surgir quelques poils gris dans votre tignasse, lâchez quelques indiscrétions sur le livre-confidence que vous vous apprêtez à sortir. Essayez de faire oublier à vos victimes, pardon à vos concitoyens leurs problèmes financiers en étalant vos états d’âme en une des journaux : sur un malentendu, ça peut marcher.

 

ETAPE 2 – Faites d’un non-événement un événement.

Une fois fini votre petit tour de piste en mode « quoi ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule », vous avez fini par admettre publiquement que la date de votre annonce approchait, et tout le monde a compris de quelle annonce il s’agissait. SURTOUT, gardez le suspense entier sur la date et l’heure, car (principe fondamental de l’érotisme), un nu est plus attirant s’il a un tout petit morceau de tissu pour le couvrir. Multipliez les micro-hypothèses pour entretenir la tension médiatique. Allez-vous vous déclarer un mardi, un mercredi, un jeudi, le soir, le matin, sur un canoë, dans une usine, à la grande messe du 20H, dans un meeting monstre au Stade de France ? Vous nourrirez alertes, contre-alertes, dépêches AFP, tweets, rubriques « indiscrets » des newsmagazines et autres bruits de couloir. Avec un peu d’efforts, vous construirez une hystérie générale effaçant tout le reste, même l’Europe en train de sombrer par son bout grec.

 

ETAPE 3 – Organisez la joie populaire spontanée

Bon d’accord, « on ne vous aime pas beaucoup », constat qui pourrait même devenir un exemple canonique de litote dans les manuels de français pour collégiens. Et alors, la belle affaire ! La ferveur populaire, au fond, ce n’est qu’une affaire d’angle pour les caméras. Alors débrouillez-vous pour que ce qu’elles couvrent ne soit que liesse, sympathie et enthousiasme : organisez votre visite de chantier avec des figurants, créez des fausses foules à partir de militants UMP, suggérez à un de vos élus de construire une statue à l’effigie de votre épouse, et enfin équipez les enfants des écoles de petits fanions pour saluer votre passage.

 

ETAPE 4 – Méritez votre réputation de bad guy

Ah ils ne vous aiment pas, ils vous trouvent antisocial (tu perds ton sang-froid), ils vous accusent de casser le service public et l’Etat, ils conspuent votre beau titre de Chanoine du Latran, eh bien, donnez-leur en pour leur argent ! Dans une belle interview à l’organe de presse officiel de votre camp, lâchez les chevaux : mariage homosexuel qui risque de déstabiliser la société, chômeurs-parasites, étrangers forcément communautaristes (traduire : batteurs de femmes) … et lancez quelques ballons d’essai en off comme, tiens, au hasard, « et si on mettait fin à l’emploi à vie des fonctionnaires ? ». Si avec tout ça vous ne créez pas un ramdam infernal, c’est que le pays vous est en fait acquis. Or c’est loin d’être le cas, n’est-ce pas ? Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire.

 

ETAPE 5 – Mettez en scène une fausse dynamique de rassemblement

Vous avez bien des micro-candidats (entre 0 et 0,5 d’intentions de vote, tout mouillés, marges d’erreur comprises) qui s’agitent dans votre sphère politique et ont eu le bon goût de jouer la comédie de l’opposition à votre omniprésidence ces derniers mois. Le temps est venu pour eux de venir manger dans votre main : l’un après l’autre, ces rebelles héroïques façon « retenez-moi  ou je fais un malheur » vont annoncer bruyamment leur ralliement à votre sombre panache. Oui, ils étaient vos premiers opposants, mais incontestablement vous vous êtes rallié à leur point de vue, et le temps du rassemblement est donc venu, pour faire gagner la France – et quelques circonscriptions à ces Bourgeois de Calais, et d’ailleurs.

 

VOUS POUVEZ ALORS VOUS DECLARER ! Comment ça, “avec quelles chances de réussite” ? Etant donné que vous partiez de 0, nous ne pouvons que garantir une forte augmentation relative de vos chances de victoire. Satisfait ou pas remboursé.

 

Romain Pigenel

Leçon de communisme à l’égard du camarade Mélenchon

Cher Jean-Luc, cher camarade,

 

J’ai bien lu ta réponse enflammée à des propos rapportés de François Hollande dans le Guardian. Avec la verve que l’on te connaît et qui te permet, à ce qu’on m’a dit, de remplir les salles pour ton tour de chant où le sépia le dispute au rouge, tu conspues « l’attitude hautaine insupportable » de François Hollande, qui aurait eu l’impudence de nier l’existence actuelle des communistes français. Tu conviendras avec moi, au passage, que cette accusation de mépris n’est pas nouvelle dans ta bouche : depuis des mois, tu la répètes sur tous les tons pour fustiger le choix que fait le candidat socialiste de préférer affronter la droite que débattre avec toi. Sans doute penses-tu aujourd’hui avoir – enfin ! – trouvé la bonne accroche pour faire vivre publiquement cette accusation, et améliorer les affaires de ton entreprise électorale. C’est de bonne guerre. Mais je ne ferai pas l’injure à l’homme de lettres que tu es de limiter le débat à de basses considérations tactiques et nourricières.

 

« Je suis le candidat des communistes », protestes-tu donc du haut de ton indignation, regrettant un Hollande « mauvais observateur ». Je dois malheureusement te faire part d’une crainte similaire à ton endroit.

 

Tu n’es sans doute pas sans savoir, pour commencer, que le terme de « communist » n’a ni exactement le même sens, ni la même portée, dans le monde anglo-saxon – où les Partis communistes n’ont jamais pu s’implanter dans la durée et de manière massive – et en Europe occidentale. Les « communists » anglo-saxons sont des croquemitaines fantaisistes ne renvoyant à aucune expérience nationale, mais bien au stalinisme, à ses excès et à ses épigones dictatoriaux autour du globe dont tu partageras avec moi, je l’espère, la condamnation. Faut-il te rappeler le sens déjà détérioré, dans les mêmes pays, du terme « socialist » ! C’est dire. François Hollande, qui a sans doute assez de lettres (anglaises) et d’histoire pour avoir conscience de ces nuances, a donc bien eu raison d’expliquer à nos voisins d’Outre-Manche que « aujourd’hui il n’y a pas de communistes en France », au sens de staliniens. Peut-être a-t-il au passage froissé quelques groupuscules nostalgiques. Tu ne leur transmettras pas mes excuses.

 

Je t’imagine déjà balayer ces subtilités lexicales d’un revers de main. Fort bien. Etudions donc ta position. « Je suis le candidat des communistes », martèles-tu. Je croyais que tu étais le candidat du Front de Gauche : pourquoi n’as-tu pas appelé cette coalition le « Front Communiste », et ton propre parti le « Nouveau Parti Communiste » ? La différence entre ta pudeur d’alors, et ta furia du jour, me laisse perplexe. Mais admettons. Tu vas sans doute me dire : je suis le candidat désigné, entre autres, par le Parti Communiste. C’est pour le coup incontestable. Mais je n’ose croire qu’un professeur de philosophie comme toi ne puisse faire la différence entre l’appellation conventionnelle et le concept.

 

Le concept de communisme : il se définit par la volonté – je cite le site de Lutte Ouvrière – de « briser la propriété privée des moyens de production ; c’est-à-dire d’arracher des mains des capitalistes la gestion des usines, des banques, des mines, des terres, de l’énergie et des transports. Et de faire en sorte qu’ils appartiennent à la collectivité et soient gérés par elle ».

 

Ayant un peu de mal à trouver les textes idéologiques actuels du PCF, j’ai consulté votre programme commun du Front de Gauche, et notamment la partie économique. J’y ai lu ce mot d’ordre : « Partager les richesses et abolir l’insécurité sociale ». Je n’y ai pas trouvé trace (mais peut-être ai-je mal lu) d’un programme de passage généralisé à la propriété collective des moyens de production. C’est ce qui permet à Nathalie Arthaud de rire, de son point de vue, quand on lui dit que tu es communiste. Elle nie la possibilité d’un changement radical (d’un changement communiste, donc) de système par un simple changement de gouvernement, ce que tu proposes toi, comme nous. Elle est tout simplement cohérente avec elle-même : et à la différence de ce qu’elle vise elle,  tu ne veux pas casser le système, tu veux l’amender fortement. Nuance de taille.

 

Je pourrais aussi te citer Alain Badiou, autre fervent défenseur du communisme au sens précis du terme, qui constatait il y a quelques années que si l’idéal communiste survivait, il ne savait pas quelle forme concrète il pourrait prendre pour s’incarner concrètement. La vérité, cher Jean-Luc, cher camarade, c’est que pour ces gardiens du temple – qui ont le mérite de l’honnêteté intellectuelle – tu n’es pas communiste, et que le Parti Communiste ne l’est pas plus. Vous appartenez à la grande famille recomposée de la social-démocratie, avec votre propre identité respectable et importante pour la gauche. « Socialistes », « partidegauchistes » et « communistes » sont tout au plus cousins, si ce n’est demi-frères. Notre gestion collective des collectivités locales (s’il ne fallait prendre que cet exemple) le prouve quotidiennement. S’il y a « deux gauches », comme tu le dis, comment se fait-il qu’elles puissent gouverner ensemble ? Si ce n’est que la différence entre elles n’est pas aussi insurmontable que tu le prétends ?

 

Mais je m’égare. Accepte ces quelques évidences et nous nous quitterons bons camarades. Que les « communists » anglo-saxons ne sont pas les communistes français (traduttore, traditore), et que les communistes français ne sont pas communistes à proprement parler. Que ton coup de sang très calculé n’élève franchement pas le débat. Et que tu as sans doute mieux à faire que polémiquer sur les polémiques.

 

Signé : le camarade Pigenel

Sauver Marine Le Pen (ou pas)

C’est la cause caritative de la semaine : aidez Marine Le Pen à avoir ses signatures pour pouvoir se présenter ! La candidate du FN a tiré le signal d’alarme : elle ne parvient pas à réunir le nombre de sésames nécessaire pour valider sa candidature. « Bluff » crient certains, tandis que d’autres encore appuient la théorie d’un complot élyséen pour dégager le terrain au président sortant – ce que validerait le tournant droitier et ultra-conservateur repéré dans les propos récents de Claude Guéant, et dans l’interview au Figaro de Nicolas Sarkozy.

De fait, le sujet a quitté les rivages de la chronique d’actualité pour atteindre ceux de la légitimité républicaine, voire de la querelle constitutionnelle. Et comme il se doit, la question de la justice (est-il juste qu’un parti aussi important que le FN soit privé d’élection présidentielle ?) a mécaniquement introduit celle des initiatives à prendre pour réparer la possible injustice, François Bayrou, puis Marielle de Sarnez, en appelant à une initiative groupée des grands partis pour traiter ce cas. Et donc, on l’imagine, garantir d’autorité un nombre de signatures minimal à Marine Le Pen.

 

Paradoxe national et farce voltairienne : le seul parti qui parvient à réaliser l’unanimité contre lui, devient l’objet de toutes les attentions pour garantir sa participation à la grande messe présidentielle. « Je n’aime pas ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ». C’est très beau, très noble … même si on peut soupçonner les chevaliers blancs du jour, comme l’a expliqué mon confrère @jegoun, de voir d’abord leur intérêt dans l’affaiblissement de Nicolas Sakozy et la bataille d’influence à droite (que devient Sarkozy s’il est coincé en droite dure lepéniste et droite humaniste bayrouiste ?). Mais laissons de côté ces considérations tacticiennes pour aborder le fond du problème.

 

Premièrement, il faut refuser un traitement privilégié de la candidature Le Pen, surtout si on l’aborde sous l’angle de l’injustice. Justice et injustice découlent de principes, et en l’occurrence du droit de la République. Si Marine Le Pen est bloquée, c’est d’abord par l’application de la loi qui s’applique à tous. On peut juger cette loi inappropriée, et donc penser qu’elle doit être changée. Mais cela doit alors se faire selon les circuits réguliers, pas dans l’affolement et le régime d’exception. Le Front National a-t-il mené ce combat plus tôt, avant de se trouver en difficulté? Pourquoi n’a-t-il pas les élus nationaux pour le porter ?

 

Ce dernier point pose, deuxièmement, la question de l’interprétation politique du problème des signatures pour Marine Le Pen. Ce n’est quand même pas un hasard si la candidate d’un « si grand parti » peine tant à les trouver : c’est tout simplement parce que l’identité politique qu’elle porte rebute un grand nombre d’élus. D’autres candidats, complètement « petits » pour le coup, arrivent bien à trouver les leurs. On ne peut donc pas accuser uniquement un blocage structurel organisé par les grands partis, « grandes entreprises » politiques qui écraseraient les PME présidentielles pour garantir le bipartisme ! Au fond, Marine Le Pen voudrait à la fois le fromage et le dessert, la marginalité idéologique et les charentaises institutionnelles. A un moment, il faut tout simplement assumer ses choix.

 

Troisièmement, et là on revient à l’actualité brûlante, l’appel des dirigeants du MoDem à donner ses signatures à Marine Le Pen au nom du « pluralisme ». Intéressante notion que voilà. J’entendais récemment les dirigeants du NPA faire part de leurs inquiétudes pour réunir les signatures pour la candidature de Philippe Poutou. Pourquoi le MoDem ne vole-t-il pas à son secours ? Parce que Marielle de Sarnez et François Bayrou, comme d’autres, confondent deux choses. D’une part le pluralisme, qui est la garantie d’une égale représentation des différentes tendances politiques participant au débat national. D’autre part, le poids supposé du FN dans l’opinion. Bien sûr, les deux ne sont pas sans corrélation : si demain j’invente la doctrine du pigenélisme, connue de moi seul et sans soutien autre que le mien, personne ne criera au scandale si je ne suis pas représenté à l’élection présidentielle. Mais si je reprends le cas du trotskysme version NPA, mouvement politique avec sa spécificité et son histoire, de quel droit pourrions-nous l’écarter du panel du pluralisme politique, a priori, et par exemple ne pas lui apporter le même soutien pour les signatures que celui envisagé pour Marine Le Pen ? C’est là qu’on en appelle au poids supposé du FN. Supposé, car il ne se traduit pas autrement, pour le moment, que par des sondages d’opinion. Je ne fais pas partie de ceux qui contestent systématiquement  leur valeur et la confiance qu’on peut leur accorder. Mais il est plutôt comique de voir que ces études, habituellement fustigées soit pour leur caractère trompeur, soit pour la dégradation du débat politique qu’elles génèrent (le réduisant à une course de chevaux), deviennent soudain la mesure de la légitimé démocratique. Faudra-t-il bientôt conditionner le statut d’un parti, dans la Constitution, à sa puissance sondagière, estimée par synthèse des résultats des différents instituts spécialisés à son sujet ? Cela n’est pas très sérieux.

 

Revenons aux fondamentaux. Le droit peut évoluer. Des situations injustes, ou illégitimes, peuvent y conduire. Mais ces situations ne doivent en aucun cas être réglées par le contournement du droit, dans l’urgence et l’affolement, ou pire encore, en travestissant un tel contournement en œuvre de justicier.  La question n’est donc pas de sauver, ou pas, Marine Le Pen. Ce qui élimine d’emblée un grand nombre de faux débats.

 

Romain Pigenel

Quand Sarkozy 2007 fustigeait Sarkozy 2012

Le mot est sur toutes les lèvres, tous les claviers depuis les premières fuites sur l’interview de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro Magazine : référendum. Le président-candidat, à la recherche de la « politique du choc » qui lui permettrait de réussir son improbable réélection, projette d’inclure dans son projet pour 2012 un double référendum, sur l’acceptation contrainte des offres d’emploi par les chômeurs, et sur la facilitation de l’expulsion des sans-papiers. Sur les chômeurs : « Cette réforme [...] est capitale pour l’avenir du pays. Elle concerne directement les Français. C’est peut-être une des réformes qu’il faudrait soumettre à leur jugement direct. […] il faudrait sans doute s’adresser directement aux Français pour qu’ils donnent leur opinion ».

 

Retour quelques années en arrière, quand le sarkozysme était plus fringant – durant la campagne de 2007. Un des axes principaux de l’affrontement entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal était alors la réforme de la démocratie et la conception du fonctionnement de la République. La candidate socialiste défendait une plus forte association des citoyens à la prise de décision publique, via la « démocratie participative », système durement attaqué par l’UMP et son candidat, partisan d’une présidence renforcée et grand chantre de la volonté politique. « Je veux un président qui gouverne […] La démocratie participative, c’est la fin de toute volonté politique, c’est la fin de la politique qui prend ses responsabilités […] La démocratie participative ce n’est pas une nouvelle manière d’associer le peuple aux décisions qui le concernent, c’est juste la forme ultime de la démagogie ».

 

Le candidat pas encore président enfonçait le clou lors d’un rassemblement de ses comité de soutien à la Mutualité, le 11 février 2007 : « Je ne comprends pas que l’on puisse être candidat en ayant chevillée au corps l’idée que [...] le seul idéal c’est la démocratie d’opinion. Parce que la démocratie d’opinion c’est l’ultime renoncement de la politique. »

 

Résumons. 2007 : « la démocratie d’opinion, c’est l’ultime renoncement de la politique ». 2012 : « cette réforme est capitale pour l’avenir du pays », donc « il faudrait sans doute s’adresser directement aux Français pour qu’ils donnent leur opinion ». Que faut-il comprendre ? Que l’un des deux Sarkozy ment ? Que celui de 2007 avait adopté une posture purement politicienne pour contrer Ségolène Royal ? Ou que c’est celui de 2012 qui ne projette nullement ses deux référendums pour consulter le peuple, mais au contraire pour le diviser, dans une visée strictement machiavélique ? Ou encore, que Nicolas Sarkozy n’a aucune conviction, et qu’il peut dire successivement tout et son contraire ? A moins, autre possibilité, que le Sarkozy de 2007 ait été enlevé et remplacé par un sosie dès les premiers jours de son mandat, ce qui expliquerait pourquoi il n’a aucunement tenu ses promesses, par exemple sur le chômage ?

 

La démocratie d’opinion, ultime renoncement de la politique. Finalement, c’est encore Nicolas Sarkozy qui parle le mieux de Nicolas Sarkozy.

 

Romain Pigenel

Sarkozy affiche sa France à visage pâle

C’est un détail. Mais un détail qui retient l’œil averti.

 

Une page Facebook de campagne a été lancée pour le presque-candidat Nicolas Sarkozy. Adoptant la nouvelle présentation « timeline » du réseau social, elle s’ouvre par une large photographie de couverture, qui met en scène le président, souriant, au milieu de Français également souriants.

 

Des femmes, avec des hommes derrières elles.  Quadras, quinquas, sexagénaires peut-être, à vue d’œil. Un groupe remarquablement homogène, un groupe dont l’homogénéité évoque immédiatement, par contraste, les absents : les jeunes, déjà, et ensuite les Français dont on qualifiera pudiquement la peau d’un peu plus foncée.

 

Hasard ? Peut-être les communicants de Nicolas Sarkozy ont-ils pris, sans plus de réflexion, une photographie qu’ils ont trouvée à leur goût. Mais j’ai du mal à croire qu’à ce niveau d’enjeu, on choisisse de manière totalement aléatoire un visuel aussi important. Ce serait, du reste, une faute professionnelle : les images en politique ont valeur de symbole, et en l’occurrence, celle-ci envoie subliminalement un message sur la représentation de la France de Nicolas Sarkozy.

 

Ce sentiment est encore renforcé par l’inscription saillante sur la photo : « … fierté d’appartenir à une grande, vieille et belle Nation : la France ». Texte et image se nourrissent mutuellement : faut-il comprendre que le cœur de la France, l’essence véritable de notre « vieille et belle nation », exclut les Français qui ne ressemblent pas à ceux de cette photographie ?

 

Celles et ceux d’entre vous qui suivent mes billets avec quelque assiduité savent que je suis tout sauf un thuriféraire béat du concept de « diversité », et que je suis strictement opposé à tout ce qui a trait à des statistiques ou quotas ethniques. On ne va pas se mettre à comptabiliser le nombre de couleurs de peau différentes sur les photographies officielles, ni à mesurer leur représentativité de notre société. Ce serait absurde et ridicule. Mais ici, l’absence totale de « diversité » (y compris générationnelle) finit par faire sens. Cette photographie « de couverture » ressemble à une projection très précise de la cible électorale de Nicolas Sarkozy, et renvoie à la stratégie actuelle – droitière et conservatrice – du président et de ses proches, entre Claude Guéant et son classement des civilisations, et les annonces de référendum « anti-étrangers ».

 

Tout ceci est d’autant plus frappant, que Nicolas Sarkozy est l’homme que l’on peut par ailleurs créditer d’avoir ouvert à des Français de couleur (et jeunes) des ministères d’importance, en 2007. L’image du jour peut donc être vue comme un résumé cruel de l’échec des 5 dernières années. Echec qui conduit le sortant à faire campagne sur un seul bout de la France, arquebouté sur son socle de soutiens, et comme retranché derrière eux. Peut-on, dans ces conditions, prétendre (re)briguer le poste de Président de la République, censé rassembler tous les Français ? C’est la question des prochaines semaines.

 

Romain Pigenel

[MOBILISATION] Aidez Sarkozy à inventer des référendums improbables #sarkorendum

Lectrice, lecteur,

 

Chaque minute qui passe nous rapproche de la fin d’un terrible suspense : contre toute attente, Nicolas Sarkozy pourrait bien être à nouveau candidat à l’élection présidentielle. Pour limiter les dégâts collatéraux d’une annonce si peu prévisible (arrêts cardiaques, commotions cérébrales, attaques …), il a décidé de distiller régulièrement quelques informations dans la presse, pour commencer à préparer les Français à l’impensable. Vous n’avez pas pu manquer celle du jour : l’annonce de deux référendums, l’un sur la facilitation de l’expulsion des étrangers, l’autre sur l’interdiction pour les chômeurs de refuser un emploi (j’ai particulièrement hâte de voter oui à cette seconde question : nous verrons ainsi le nombre de strip-teaseurs / strip-teaseuses augmenter en flèche dans notre beau pays).

Hélas, il faudra probablement plus de deux annonces de référendums révolutionnaires pour inverser la cruelle courbe des sondages. Fidèle à sa mission de service public, Variae a donc mobilisé son think tank pour produire en urgence des propositions de Sarkorendums™ et les mettre à disposition du président-candidat. Cette contribution, modeste, ne suffira probablement pas. J’appelle donc le web à la mobilisation générale : trouvons tous des idées de référendums pour assurer la reconduction de notre président !

(1) Approuvez-vous l’abandon de toutes les procédures judiciaires contre Eric Woerth, pour services rendus à l’industrie cosmétique française ?

(2) Approuvez-vous la limitation du nombre de citoyens de civilisation auvergnate à un par rassemblement, parce que quand il y en a plusieurs, ça peut poser des problèmes ?

(3) Approuvez-vous la suppression du droit de grève, parce que de toute façon, quand il y en a une, plus personne ne s’en rend compte ?

(4) Approuvez-vous l’augmentation de 1000% du salaire présidentiel, pour que le président reste propre et digne ?

(5) Approuvez-vous l’installation permanente d’une tente dans les jardins de l’Elysée, pour accueillir de façon conviviale les dictateurs en goguette ?

(6) Approuvez-vous la transmission héréditaire de la circonscription de Neuilly et de la présidence de l’EPAD au dauphin présidentiel, parce que ça commence à bien faire ?

(7) Approuvez-vous l’annexion de la France par l’Allemagne, pour accélérer les prises de décision ?

J’appelle solennellement @jegoun, @abadinte, @intox2007, @nico93, @mehdiyanis, @davidburlot,  CaptainHaka, @CoralieDelaume, @melclalex, @yannsavidan, @ema_dellorto, @princesse101, @majicwoofy, @trublyonne, @Vogelsong, @mipmip, @antennerelais, @EricMulhouse, @dadavidov et tous ceux qui le voudront à suivre l’exemple de @cycee  et à contribuer à l’effort collectif de réflexion. Ensemble, tous les Sarkorendums deviennent possibles !

Romain Pigenel

Claude Guéant, habile Machiavel ou ministre inculte ?

Dans la polémique à rebondissements lancée ce week-end par Claude Guéant, on écoute finalement un peu tout le monde … sauf le principal intéressé. Quel est précisément le discours de Claude Guéant sur la civilisation ? Procède-t-il d’une stratégie précise, d’une idéologie construite, ou cache-t-il en fait une maîtrise lacunaire de ce concept, et des idées de café du commerce ? A la demande du Lab / Europe1, je me suis penché sur les justifications du ministre de l’Intérieur lors de son passage à la matinale de Canal+ (vidéo ici). Alors, Machiavel redoutable, ou provocateur confus ? Je vous laisse juger.

La journaliste : Qu’est-ce que vous dites ce matin aux Musulmans et aux Arabes qui ont compris que vous les classiez dans une civilisation inférieure ? Claude Guéant : Je ne pense pas qu’ils aient compris cela, j’ai reçu hier soir une lettre de Monsieur Moussaoui, le président du CFCM, qui me demande de lui donner des assurances sur le fait que mon propos, je cite, ne vise pas la civilisation musulmane.

L’exercice d’explication commence mal : Claude Guéant confirme, tout en disant le contraire, que « les Musulmans » ont bien reçu ses propos comme une attaque personnelle.

 

CG Je lui réponds que pour moi, ce qui est en cause, c’est la religion musulmane.

Langue qui fourche, lapsus, ou aveu énorme ? Faut-il comprendre que le problème n’est pas la civilisation mais la religion musulmane, donc l’Islam lui-même ?

 

CG : Les Musulmans de France représentent la deuxième religion dans notre pays, ils sont 4 millions, dont 1 million de pratiquants, et la République protège leurs croyances et favorise la pratique de leur culte.

Je suis content d’apprendre qu’un pays laïque « favorise » un culte. Juste après avoir dit, pourtant, que c’est ce culte qui est « en cause » … Tout ceci est vraiment très clair.

 

CG : Ce que j’ai dénoncé dans mes propos c’est le relativisme du Parti socialiste, qui considère que tout se vaut et qui par conséquent est gêné pour mener des combats qui correspondent pourtant à des principes républicains.

Où et quand le PS a-t-il affirmé que « tout se vaut », et à quel sujet ? « Des combats » : lesquels, quand ?

 

La journaliste : Claude Guéant, est-ce que le terme de civilisation était bien choisi ? Est-ce que ce matin vous vous dites : je voulais parler ou de religion ou de régime politique ? CG : A mon avis oui, malgré les quelques commentaires que j’ai entendu à ce propos.

Oh, oui, juste deux ou trois vagues remarques un peu interrogatives depuis dimanche. Rien de plus. D’ailleurs, pourquoi interroge-t-on encore le ministre à ce sujet ?

 

CG Une civilisation qu’est-ce que c’est, c’est un ensemble de valeurs, à un moment donné de l’Histoire, une civilisation, ce n’est pas quelque chose qui est fixé dans le passé, par exemple on parle de la civilisation perse, c’est autrefois, aujourd’hui il y a une civilisation iranienne, ce n’est pas la même chose.

Jean-Claude Van Damme, sors de ce corps ! Essayons de dégager les deux critères permettant de définir une civilisation façon Claude Guéant : elle se définir par des valeurs, et elle ne correspond qu’à un moment donné de l’Histoire. Admettons.

 

CG : Et la civilisation européenne et même française …

C’est la même ? Ou non ? Elle dure de quand à quand, alors ?

 

CG : … a évolué considérablement, et Dieu merci …

On savait bien que c’était une histoire de religion, en fait.

 

CG : … elle s’est enrichie de l‘horreur de la Shoah …

Les rescapés de la Shoah peuvent être satisfaits, ils ont « enrichi » notre civilisation.

 

CG : … et évidemment c’est quelque chose qui est présent dans notre mémoire et qui fait que nous condamnons toute atteinte aux droits de l’Homme, tout acte de racisme, tout propos raciste.

Donc notre civilisation à nous, elle intègre bien la Shoah ? Elle commence en 39, avant, après ? Et les valeurs du nazisme ou de Pétain, elles font donc partie de notre civilisation ? Ou non ?

 

La journaliste : On ne comprend pas qu’elle est la civilisation que vous visez. CG : ce n’est pas une civilisation en particulier

Ah. Il parlait donc dans le vide, de manière totalement abstraite. Tout ça pour ça !

 

CG : c’est simplement que nous avons en France des valeurs, nous y tenons, et pour nous tout ne se vaut pas, et il y a des civilisations, des systèmes sociaux …

Des civilisations ou des systèmes sociaux ? Un système social, c’est aussi « des valeurs » ? Au secours !

 

CG : … qui sont des promoteurs de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, qui sont des protecteurs des libertés, qui favorisent l’épanouissement de la démocratie, ça n’est pas pareil qu’une civilisation ou un système qui bafoue les libertés.

D’accord, d’accord. On parle de qui déjà ? De la religion musulmane ou non ? Ça y est, je suis à nouveau perdu.

 

La journaliste : Il y a une classification des civilisations, c’est comme ça que vous le voyez ? CG : Non, il y a des éléments dans les civilisations, et c’est très clair que nous, nous avons des valeurs qui nous rapprochent de certaines civilisations …

« Il y a une classification ? Non, il y a des éléments ». Un peu comme si je vous demandais « Vous aimez les carottes ? » et que vous répondiez : « Non, je ne fume que des Marlboro ». Et puis c’est quoi les « éléments » par rapport aux valeurs ? Bon, bon, ne vous énervez pas, vous avez mal à la tête, moi aussi, je n’en rajoute pas.

 

CG : … et celle que nous préférons, c’est la nôtre.

Ah, enfin, quelque chose de clair. Enfin, si nous arrivons par ailleurs à savoir ce qu’est notre civilisation (celle que la Shoah a « enrichi » ?).

 

La journaliste : La civilisation d’aujourd’hui c’est la même que celle de Vichy ? CG : Non pas du tout, heureusement.

Où ai-je mis mon aspirine, déjà …

 

CG : Notre civilisation, c’est des valeurs à un moment donné de l’Histoire. Des valeurs qui sont le fruit de l’Histoire …

Attendez, une civilisation, c’est juste des valeurs à un moment donné, ou aussi leur histoire ? Ou l’inverse ?

 

CG : … de la réflexion, de la science …

La science produit des valeurs ? E=MC² ?

 

CG : … [il bafouille] de la créativité artistique, tout ça, ça fait [il re-bafouille] et ça change selon le temps

Ça « change tout le temps » ? Mais je croyais justement qu’une civilisation, c’était des valeurs A UN MOMENT DONNE ?

 

CG : Heureusement dans notre cas, notre civilisation s’est améliorée.

Moralité : une civilisation, c’est un moment de l’histoire avec des valeurs fixes, mais en fait elles changent d’une époque à une autre, et donc une civilisation peut s’améliorer et changer de valeurs. Vous avez compris ? Moi non plus. Désolé.

 

Romain Pigenel

Hollande, Guéant, Letchimy et l’inversion victimaire

La droite jubile. Elle a trouvé en Serge Letchimy le parfait bouc émissaire pour hurler au scandale et réclamer à cors et à cris des excuses des socialistes. Dans un communiqué d’anthologie sur le site de l’UMP, Jean-François Copé ne trouve pas de mots assez durs pour fustiger la comparaison, certes hâtivement établie, par le député de la Martinique entre la dérive de Claude Guéant, et les idéologies extrêmes de la seconde guerre mondiale. « l’indécence et l’insulte […] une honte absolue […] jamais des injures d’une telle gravité n’avaient été proférées au cœur même de l’Assemblée nationale [...] amalgames odieux […] les frontières de l’inacceptable ont été définitivement franchies […] inadmissible faute morale qui le déshonore. » A croire que le rédacteur de cette missive enflammée a été payé au nombre de synonymes du mot indigne. Le plus beau restant la chute : « L’UMP demande solennellement des excuses de la part des dirigeants du Parti Socialiste ». En clair : il y a un tort, un fautif – le PS – et une victime – l’UMP.

 

Superbe retournement de situation, en partant d’un point de départ, il y a deux jours, où le Ministre de l’Intérieur était pris en flagrant délit de délire anthropologique, entre fardeau de l’homme blanc et « choc des civilisations ». L’embarras autour de la dureté de la sortie de Serge Letchimy, à gauche, suffit à masquer cet historique – pourtant récent – et à le faire oublier de tous. Vous venez, nous venons d’être victime de la stratégie désormais habituelle de l’UMP et de la droite : l’inversion victimaire.

 

Inversion victimaire ? Une ficelle rhétorique simple mais efficace, consistant à renverser la perspective et à présenter le coupable en victime, en ne lésinant pas sur le pathos et les énormités, bien au contraire. Les exemples pullulent. Marine Le Pen n’arrive pas à convaincre suffisamment d’élus pour avoir les signatures pour sa candidature ? C’est la faute à la loi qui en demande trop. Nadine Morano exaspère les internautes par ses agressions répétées sur Twitter ? Elle devient la pauvre Cosette harcelée par les bobos parisiens. Nicolas Sarkozy, candidat de toutes les puissances économiques de ce pays (souvenez-vous, le Premier Cercle, le Fouquet’s, Bettencourt, le yacht Bolloré …) fait face à la menace d’un François Hollande porté par la dynamique populaire des primaires ? Ce dernier est rebaptisé « candidat du système » par Brice Hortefeux ! Claude Guéant multiplie les dérapages plus ou moins contrôlés, ergotant sur les enfants d’immigrés moins bons à l’école ou sur la « croisade » en Libye, et désormais sur la supériorité de certaines « civilisations » ? C’est Serge Letchimy, descendant d’esclaves et donc plutôt bien placé pour témoigner des limites de la mission civilisatrice de la France, qui se fait agonir d’injures !

 

Cette stratégie particulière de victimisation est efficace quand elle parvient à faire fond sur l’émotion du moment. Un attendrissement chasse l’autre, une victime fait oublier la précédente : l’indignation n’a pas de mémoire. L’essentiel est donc de crier assez fort, et de crier le dernier. Les mêmes procédés vont toujours revenir. On va inventer un adversaire fictif et terrifiant (« l’antisarkozysme primaire » dont Sarkozy serait la victime). On va parer très vite et très bruyamment le coupable des qualités qu’il vient de fouler au pied (répéter en boucle sur tous les médias que Claude Guéant est un « vrai républicain », méthode aussi connue à l’extrême droite sous la forme de « mon meilleur ami est noir, je ne suis pas raciste »). On va lui trouver d’autres victimes pour l’accompagner (les femmes musulmanes opprimées que la gauche abandonnerait en attaquant Claude Guéant). Une seule règle : plus c’est gros, plus ça (peut) passe(r).

 

Face à ce piège, François Hollande a doublement bien réagi lors de son passage au journal de France 2. D’abord en rappelant l’ordre des torts. « Ce député [Serge Letchimy] a été sans doute blessé et humilié [par les propos de Guéant sur les civilisations] ». Ensuite en sortant du choc entre victimes, fussent-elles réelles ou fabriquées. « Moi ce que je réprouve, c’est cette polémique inutile, moi je promets de réunir les Français, de les rassembler, pas d’entretenir les haines recuites, nous avons besoin de nous réunir, la République doit donner de la fierté. ». Ou comme une façon de rappeler qu’il y a une bien une grande victime, pour le coup, des 5 années qui viennent de s’écouler : la France, et ses habitants. Mais peut-être viendra-t-on bientôt nous expliquer qu’ils sont tous coupables – d’ingratitude, envers le pauvre président sortant ?

 

Romain Pigenel

Agence d’idées (10) : le plan secret de Nicolas Sarkozy

C’est un secret. Le genre de secret si bien gardé que personne n’en parle. Ni bruit, ni chuchotement, ni off, ni fuite plus ou moins spontanée. Rien, aucun signe, aucune trace, à part bien entendu sur le blog du think tank Variae qui, pour avoir soufflé cette idée géniale au résident de l’Elysée, se permet aujourd’hui de vous la dévoiler en exclusivité.

Eh Angela, tu vas pas m'laisser tomber, hein ?

Oubliez les hypothèses sur la date d’entrée en campagne, le « J’ai Changé III – L’Ultime revanche », les stratégies pour que Marine Le Pen n’ait pas ses signatures, et autres contes à dormir debout. Le plan secret de Nicolas Sarkozy est bien plus radical. Et il sème des cailloux, tel un Petit Poucet UMPiste, depuis quelques semaines, pour vous le faire deviner. Il suffisait de garder les yeux ouverts.

 

Les rencontres au sommet, bilatérales, avec la chancelière allemande (« Avec Angela, c’est du sérieux »). La codirection de ce qu’il reste de l’Europe par un directoire germano-français. La référence permanente à la vertueuse Allemagne, besogneuse Allemagne, où la règle d’or fait figure d’évidence. Le partenariat politique avec Angela Merkel, transformée en VRP de l’Élysée, jusqu’à multiplier émissions communes et promesses de meetings à deux pour la campagne française. Le plan secret est énorme, comme on dit, mais simple : c’est Angela Merkel qui va se présenter, pour la présidentielle, à la place de Nicolas Sarkozy ; il est simplement en train de lui passer le relais. Mais oui !

 

Comme cette idée géniale a-t-elle germé ? Pour ainsi dire, elle s’imposait d’elle-même.

 

Déjà, toutes les civilisations « ne se valent pas », comme dirait Claude Guéant. Or de toutes les civilisations, c’est bien l’Allemande la meilleure : PME productives, grèves inexistantes, balance commerciale excédentaire, fête de la bière, discipline prussienne et berlines de luxe qui se vendent mieux que les nôtres. Tout ce qu’il faut pour secouer la France rongée par le cancer de l’assistanat, et renverser d’arrogants capitaines de pédalo voguant trop haut sur les sondages.

 

Ensuite, Angela Merkel est une femme. A elle seule elle cachera la forêt des très testostéronées investitures UMP pour les législatives. Elle n’est pas française : elle peut même entrer dans le quota diversité. A la différence de Nicolas Sarkozy, en outre, Angela Merkel n’a pas de bilan en France : comment pourra-t-on l’attraper là-dessus ? Au surplus, elle pourra toujours se cacher derrière sa méconnaissance de la langue, si on lui pose des questions gênantes sur les méfaits de son prédécesseur.

 

Sans compter qu’Angela Merkel a déjà le statut d’icône et de modèle international. Ne disait-on pas de Martine Aubry qu’elle était l’Angela Merkel française, pour louer son sérieux ? Inversement, connaissez-vous beaucoup de dirigeants étrangers que l’on qualifierait de « Sarkozy anglais/belge/italien/croate », à part pour en dire du mal ? Bon, en cherchant bien, vous trouverez quelques nourrissons prénommés Sarkozy dans les ruines fumantes de Tripoli. Mais à part cela …

 

Et puis, ne nous voilons pas la face, tôt ou tard nous serons tous des Allemands. Où bien nos voisins d’Outre-Rhin condescendront à racheter nos monceaux de dettes. Ou bien nous aurons réparé cette terrible erreur, dixit Sarkozy Ier, ayant consisté à faire l’union monétaire mais pas budgétaire ; et nous l’aurons réparée, donc, en ayant tous opté pour la rigueur germanique, en sabrant au passage notre modèle social parasitaire. Bref, le coq gaulois va bientôt chanter avec un accent bavarois, alors autant prendre les devants et déjà nous trouver une cheftaine teutonne. Cela nous évitera d’avoir à casser le nouveau traité européen, risque auquel nous expose l’élection du bolchévique François Hollande. Non mais vous vous rendez compte, cet inconscient qui propose de tenir compte de la volonté populaire pour défaire ce qu’ont fait ses prédécesseurs dans le dos des Français, à la sauvette avant l’élection ! Franchement !

 

J’en vois certains qui s’inquiètent au fond de la salle. Mais qu’adviendra-t-il de notre pauvre Nicolas, ce capitaine-courage du paquebot France, qui nous a éclairé le chemin dans la tempête ? Eh bien, le think tank Variae lui a conseillé de briguer le poste de Premier ministre de notre Kanzlerin-candidate. Président puis ministre, avant peut-être de redevenir président le temps de se faire oublierPoutine style. François Fillon, de toute manière, perdra sa nouvelle circonscription parisienne, assassiné par la concurrence de Rachida Dati. Juppé-isé, le père-la-rigueur ! Quant à Jean-François Copé, il sera trop occupé à appliquer les consignes de la maison-mère CDU, dont l’UMP sera devenue une simple branche locale. Concentration kapitaliste, constitution de géant industriel et politique européen, etc.

 

Réjouissez-vous : nous n’aurons plus sans cesse à subir des comparaisons humiliantes avec l’Allemagne, puisque nous deviendrons, de fait, des Allemands. Elle est pas belle, la vie ?

 

Romain Pigenel

 

L’agence d’idées Variae poursuit sa profonde réflexion ici.