Année 4012, 3ème jour de la saison des tempêtes, planète Obama Prime. Cours d’archéologie terrienne du professeur GH-5467 Alpha. La séance est consacrée à une étude de document autour d’une pièce iconographique très rare et mystérieuse de l’Ancienne Terre.
- [Le professeur prend la parole] Bonjour à tous, sortez vos projecteurs holographiques. Comme je vous l’avais annoncé lors du dernier TD, nous allons aujourd’hui nous pencher sur une image terrienne d’origine non confirmée, et sur laquelle de nombreuses hypothèses contradictoires circulent. [L’image apparaît devant chaque étudiant]. Hum … voilà. Alors, que pouvez-vous me dire, en première impression ? Oui … oui vous au fond ? [Il désigne un étudiant qui lève sa tentacule].
- On dirait un être humain !
- Tout à fait, bien vu, c’est un être humain de l’Ancienne Terre. Même si son corps n’apparaît pas, on peut raisonnablement le rattacher à homo sapiens sapiens.
- [Un autre étudiant agite ses antennes d’étonnement] Mais monsieur le professeur, je croyais que homo sapiens sapiens était un animal terrestre ? Alors que là on dirait qu’il flotte sur une surface liquide ?
- Bonne remarque ! C’est une des nombreuses questions que suscite cette image, et jusqu’à maintenant, personne n’a pu y répondre. Cette surface liquide est sans doute la mer que les Terriens appelaient « Océan ».
- [Un autre étudiant encore lève une pince, dans un cliquetis de boulons] Monsieur, peut-être qu’il appartenait à une tribu de pêcheurs ou de marins ?
- C’est une hypothèse intéressante, mais pour ce que l’on en sait, cette image a été retrouvée dans des ruines sur la partie occidentale d’un continent appelé « Europe », qui n’avait rien d’une île. La question reste donc ouverte. Mais parlons de la fonction de cette image. A quoi servait-elle, selon vous, et que voulait-elle dire ? [silence perplexe dans la salle] Allez-y, ne soyez pas timides, d’éminents scientifiques ont fait tourner leurs neuroprocesseurs sur ce curieux document sans trouver de réponse évidente !
- Cet être humain … il n’a pas l’air très bien, ses appendices oculaires ont l’air de se perdre dans le vide, il a le regard flou … C’était peut-être un hologramme de mise en garde contre les drogues, comme on en voit dans les bars d’Alpha du Centaure ?
- Oui … intéressant … et là-bas au fond de la salle, j’ai vu une queue qui se levait ?
- Oui moi Monsieur le professeur ! Je pense qu’il s’agit d’une publicité, peut-être que ce terrien avait une société d’hydroglisseurs et qu’il transportait ses congénères sur l’Océan dont vous parliez !
- Pourquoi pas. Mais voyez-vous le moindre appareil sur l’image ? Non. Je vous l’ai déjà dit 100 fois élève DR-320X, PAS D’ELUCUBRATION SANS PREUVE !
- Monsieur, Monsieur, moi je sais ! Vous voyez toute cette place laissée vide à droite de la créature ? Je pense qu’il s’agissait d’une image à colorier et dessiner pour les jeunes humains, comme nos hologrammes pédagogiques actuels !
- Très bonne intervention, élève R-56-AR. Justement – j’allais vous les montrer – il nous reste quelques versions, hum, « complétées » de cette image qui pourraient accréditer votre thèse.
- Monsieur, et si en fait c’était un souvenir de la fin de l’Ancienne Terre, quand les eaux sont montées et ont recouvert tous les continents, ce que vous nous aviez expliqué lors du dernier cours ?
- C’est une autre thèse récurrente chez les archéobiologistes, élève TZ-12. Bonne intuition de votre part. C’est d’ailleurs pour cela que cette image est appelée « le dernier humain » ou « Noé » dans certains manuels. Mais les analyses de datation semblent cependant écarter cette hypothèse : l’image serait très antérieure à l’immersion de la surface terrestre. [L’étudiant TZ-12 baisse ses grappes d’yeux, l’air déçu]. Bon, et que pourriez-vous me dire de l’inscription en caractères terriens sur la droite de l’image ? Vous pouvez vous aider de vos hololexiques.
- Monsieur, je vois que « France » était un prénom de femelle terrienne. Et le mot à côté, il se traduit par « costaud », « solide » … Peut-être que ce Terrien était de sexe féminin ? Une femelle “puissante” ?
- En fait, « France » était également le nom d’une tribu terrienne. Ah c’est difficile l’archéologie, hein ! D’où l’interprétation de mon estimé collègue le professeur TY-90U, qui postule pour sa part que cet homo sapiens sapiens serait triste au sujet de la destruction de sa tribu la France. D’où son air étrange. Allez, vous avez bien mérité votre pause !
Prise de notes par Romain Pigenel
D’autres objets de la politique analysés ici.
Leçon de communisme à l’égard du camarade Mélenchon
Cher Jean-Luc, cher camarade,
J’ai bien lu ta réponse enflammée à des propos rapportés de François Hollande dans le Guardian. Avec la verve que l’on te connaît et qui te permet, à ce qu’on m’a dit, de remplir les salles pour ton tour de chant où le sépia le dispute au rouge, tu conspues « l’attitude hautaine insupportable » de François Hollande, qui aurait eu l’impudence de nier l’existence actuelle des communistes français. Tu conviendras avec moi, au passage, que cette accusation de mépris n’est pas nouvelle dans ta bouche : depuis des mois, tu la répètes sur tous les tons pour fustiger le choix que fait le candidat socialiste de préférer affronter la droite que débattre avec toi. Sans doute penses-tu aujourd’hui avoir – enfin ! – trouvé la bonne accroche pour faire vivre publiquement cette accusation, et améliorer les affaires de ton entreprise électorale. C’est de bonne guerre. Mais je ne ferai pas l’injure à l’homme de lettres que tu es de limiter le débat à de basses considérations tactiques et nourricières.
« Je suis le candidat des communistes », protestes-tu donc du haut de ton indignation, regrettant un Hollande « mauvais observateur ». Je dois malheureusement te faire part d’une crainte similaire à ton endroit.
Tu n’es sans doute pas sans savoir, pour commencer, que le terme de « communist » n’a ni exactement le même sens, ni la même portée, dans le monde anglo-saxon – où les Partis communistes n’ont jamais pu s’implanter dans la durée et de manière massive – et en Europe occidentale. Les « communists » anglo-saxons sont des croquemitaines fantaisistes ne renvoyant à aucune expérience nationale, mais bien au stalinisme, à ses excès et à ses épigones dictatoriaux autour du globe dont tu partageras avec moi, je l’espère, la condamnation. Faut-il te rappeler le sens déjà détérioré, dans les mêmes pays, du terme « socialist » ! C’est dire. François Hollande, qui a sans doute assez de lettres (anglaises) et d’histoire pour avoir conscience de ces nuances, a donc bien eu raison d’expliquer à nos voisins d’Outre-Manche que « aujourd’hui il n’y a pas de communistes en France », au sens de staliniens. Peut-être a-t-il au passage froissé quelques groupuscules nostalgiques. Tu ne leur transmettras pas mes excuses.
Je t’imagine déjà balayer ces subtilités lexicales d’un revers de main. Fort bien. Etudions donc ta position. « Je suis le candidat des communistes », martèles-tu. Je croyais que tu étais le candidat du Front de Gauche : pourquoi n’as-tu pas appelé cette coalition le « Front Communiste », et ton propre parti le « Nouveau Parti Communiste » ? La différence entre ta pudeur d’alors, et ta furia du jour, me laisse perplexe. Mais admettons. Tu vas sans doute me dire : je suis le candidat désigné, entre autres, par le Parti Communiste. C’est pour le coup incontestable. Mais je n’ose croire qu’un professeur de philosophie comme toi ne puisse faire la différence entre l’appellation conventionnelle et le concept.
Le concept de communisme : il se définit par la volonté – je cite le site de Lutte Ouvrière – de « briser la propriété privée des moyens de production ; c’est-à-dire d’arracher des mains des capitalistes la gestion des usines, des banques, des mines, des terres, de l’énergie et des transports. Et de faire en sorte qu’ils appartiennent à la collectivité et soient gérés par elle ».
Ayant un peu de mal à trouver les textes idéologiques actuels du PCF, j’ai consulté votre programme commun du Front de Gauche, et notamment la partie économique. J’y ai lu ce mot d’ordre : « Partager les richesses et abolir l’insécurité sociale ». Je n’y ai pas trouvé trace (mais peut-être ai-je mal lu) d’un programme de passage généralisé à la propriété collective des moyens de production. C’est ce qui permet à Nathalie Arthaud de rire, de son point de vue, quand on lui dit que tu es communiste. Elle nie la possibilité d’un changement radical (d’un changement communiste, donc) de système par un simple changement de gouvernement, ce que tu proposes toi, comme nous. Elle est tout simplement cohérente avec elle-même : et à la différence de ce qu’elle vise elle, tu ne veux pas casser le système, tu veux l’amender fortement. Nuance de taille.
Je pourrais aussi te citer Alain Badiou, autre fervent défenseur du communisme au sens précis du terme, qui constatait il y a quelques années que si l’idéal communiste survivait, il ne savait pas quelle forme concrète il pourrait prendre pour s’incarner concrètement. La vérité, cher Jean-Luc, cher camarade, c’est que pour ces gardiens du temple – qui ont le mérite de l’honnêteté intellectuelle – tu n’es pas communiste, et que le Parti Communiste ne l’est pas plus. Vous appartenez à la grande famille recomposée de la social-démocratie, avec votre propre identité respectable et importante pour la gauche. « Socialistes », « partidegauchistes » et « communistes » sont tout au plus cousins, si ce n’est demi-frères. Notre gestion collective des collectivités locales (s’il ne fallait prendre que cet exemple) le prouve quotidiennement. S’il y a « deux gauches », comme tu le dis, comment se fait-il qu’elles puissent gouverner ensemble ? Si ce n’est que la différence entre elles n’est pas aussi insurmontable que tu le prétends ?
Mais je m’égare. Accepte ces quelques évidences et nous nous quitterons bons camarades. Que les « communists » anglo-saxons ne sont pas les communistes français (traduttore, traditore), et que les communistes français ne sont pas communistes à proprement parler. Que ton coup de sang très calculé n’élève franchement pas le débat. Et que tu as sans doute mieux à faire que polémiquer sur les polémiques.
Signé : le camarade Pigenel