La France a désormais son Warren Buffet ; il préside l’Association française des entreprises privées et le directoire de Publicis. Le ci-devant Maurice Lévy a ainsi proposé, par voie de tribune dans Le Monde, « une contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis » dans le contexte actuel de crise de la dette et de panique financière. La sortie étonne, dérange, éveille le soupçon. Guy Birenbaum acquiesce, Piratage(s) y voit du pragmatisme cynique, le blogueur gauchiste CSP crie à la supercherie. Au fond, toujours la même vieille histoire, celle du verre à moitié vide, à moitié plein.
A moitié vide ? Les raison de voir ce qui manque dans le verre pour qu’il nous donne vraiment envie ne manquent pas. Oui, ce texte étale à longueurs de paragraphes toute la doxa libérale-conservatrice, s’épouvante du « déclassement » des pays et de la « descente aux enfers des valeurs boursières », prêche « le nécessaire rappel à l’ordre, brutal et impératif, de remettre de l’ordre dans nos finances publiques », condamne dans une même phrase « Etat-providence » et « assistanat », pleure le refus de la gauche de soutenir la « règle d’or », appelle à une réduction « brutale, immédiate » du déficit public. Oui, encore, on a toutes les raisons du monde de se méfier de la charité de dame-patronnesse qui ne se manifeste qu’en ultime recours, et qui voudrait encore se voir décerner les palmes académiques de la morale quand elle ne fait que reconnaître – enfin – la réalité. Oui, enfin, si un Warren Buffet ou un Pierre Bergé parlent clairement d’augmenter les impôts de façon structurelle pour les riches, Maurice Lévy est bien moins clair : « Une contribution exceptionnelle […] [participer] à l’effort national. […] Tous ceux qui peuvent par leurs moyens participer à ce nécessaire effort national. ». Ne faut-il pas lire, un bémol en dessous de ce que l’enthousiasme général a compris, que Lévy préconise une contribution supplémentaire le temps de réduire les déficits, avant de revenir au statu quo ante ?
Le verre n’est pas plein : personne ne le conteste. Mais tout de même. Il y a des mots, qui dans la France d’aujourd’hui et sous cette plume, font date. « il me paraît indispensable que l’effort de solidarité passe d’abord par ceux que le sort a préservés. […] je considère avec la même force qu’il est normal que nous, qui avons eu la chance de pouvoir réussir, de gagner de l’argent, jouions pleinement notre rôle de citoyens en participant à l’effort national. ». Lier citoyenneté, impôt, progressivité de l’impôt pour les hauts revenus ? N’oublions pas que nous vivons sous la présidence d’un homme qui s’est fait élire, d’une certaine manière, contre l’impôt, en étant capable de déclarer dans un discours de campagne : « si je suis élu président de la République, je proposerai l’inscription dans la Constitution d’un bouclier fiscal à 50% du revenu car il me paraît raisonnable qu’au-delà de 50% de son temps, chacun soit libre de travailler autant qu’il le veut en franchise d’impôts. ». On ne rappellera pas les péripéties de la loi TEPA et du bouclier fiscal. Mais force est de constater que, en partie pour des raisons compréhensibles (de faible « retour sur investissement » du côté des services publics notamment), l’idée même de l’impôt est devenue insupportable en France, jusque dans les newsletters de libraire :
Même Piketty, dans son ouvrage sur la révolution fiscale, prend bien soin de préciser que personne n’aime payer des impôts. Comme s’il fallait le rappeler ! Mais il y a un fossé entre ne pas débourser de l’argent de gaité de cœur, et entendre rabâcher dans les médias une idéologie anti-impôts ; or c’est de ce côté du fossé que nous sommes actuellement. De ce point de vue, toute brèche, toute contestation de ce consensus libéral est la bienvenue, d’où qu’elle vienne, et je dirais même plus surtout si elle vient de ceux qui ont le moins à en profiter. Il y a une bataille idéologique à regagner et on ne gagne rien sans alliés.
Verre à moitié vide, à moitié plein ? C’est un peu, ici, la différence entre sociaux-démocrates pragmatiques et gauchistes théoriques. Bien sûr que non, la tribune de Maurice Lévy n’est pas de gauche, mais elle mérite d’être prise au mot, pour la partie qui nous intéresse. Demandons à tous les « riches » et autres « nantis » de se positionner clairement par rapport à elle. Un verre ne se remplit pas en un jour.
Romain Pigenel
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18 Comments
Monsieur Lévy rompt avec un discours sans imagination des élites économiques françaises sauce Parisot. Tant mieux.
zou c’est twitté!
Monique Pinçon-Charlot n’y va pas par 4 chemins à propos de cette “contribution exceptionnelle” proposée par Maurice Lévy :
http://www.20minutes.fr/economie/771510-monique-pincon-charlot-les-riches-sentent-dangers-situation-actuelle
Ne dirait-on pas que ça sent le roussi pour les riches ?
Personnellement je n’y crois pas beaucoup.
Tant que Maurice Levy ne remet pas en cause les mécanismes d’optimisation fiscale, il n’y a pas de raisons de croire en sa sincérité.
Mais une chose est sûre : les ultra riches commencent à avoir peur. Très peur.
@ Pullo
“Mais une chose est sûre : les ultra riches commencent à avoir peur . Très peur”
Que Dieu vous entende : cela fait si longtemps que les ultra pauvres ont peur. Très peur.
Personnelement je pense que le calcul pour les tres riches est simple. Baisse de la bourse = grosse perte s’il faut “investir” en payant un peu plus d’impots pour que la bourse reparte à la hausse, alors c’est rentable.
C’est pas plus compliquer que cela, rien a voir avec de la charité.
Je me souviens qu’au lendemain de la Libération a été institué un impot de solidarité nationale?
Pourquoi ne pas recourir à un tel,en ce moment?
On pourrait en une fois ponctionner 50 milliards en frappant suffisamment fort ,comme en 1945
M. Maurice Lévy fait, depuis 4 ans ou plus, des efforts de communication remarquables et astucieux pour diffuser la “pensée sarkozyste”, non je blague, le baratin sarkozyste y compris au mépris le plus complet des réalités.
http://www.ginisty.com/Voila-pourquoi-Nicolas-Sarkozy-s-est-plante-sur-la-politique-exterieure-de-la-France_a557.html
http://www.strategies.fr/afp/20110524074813/internet-le-e-g8-va-apporter-des-idees-et-aborder-tous-les-sujets-maurice-levy.html
http://www.zonebourse.com/barons-bourse/Maurice-Levy-86/actualites/Maurice-Levy-favorable-a-davantage-de-parite-dans-les-societes-cotees–13357762/ (défense apparente de la parité demandant… d’éviter une loi qui l’imposerait, et effectivement elle n’a pas été votée)
ou sur les retraites : http://www.rtl.fr/emission/l-invite-de-rtl/voir/retraites-maurice-levy-nous-avons-en-france-une-tradition-du-conflit-7632288010
IL reprend maintenant une idée qui avait déjà fuité du Château depuis plusieurs jours et été largement diffusée dans nos journaux télévisés : demander 300 millions aux riches et les 39700 ou 99700 millions restants, au reste de la population.
L’interprétation de Mme Pinçon-Charlot est tout à fait fiable.
Donc :
Bien sûr que oui, la tribune de Maurice Lévy est une nouvelle manoeuvre de sauvetage de l’alliance entre le big business et Nicolas Sarkozy,…
“mais elle mérite d’être prise au mot, pour la partie qui nous intéresse. Demandons à tous les « riches » et autres « nantis » de se positionner clairement par rapport à elle. Un verre ne se remplit pas en un jour.”
Bonjour,
Bah tiens ! la république va faire “la manche” pour quelque temps.
E
Bonjour,
Bah tiens ! la république va faire “la manche” pour quelque temps.
Et si la république, la vraie, pas celle que l’on affiche et puis rien, c’était cet humanisme qui aurait déjà évité AVANT, les excès donc les déficits.
Combien, crise ou pas, peut valoir un homme, au minimum et surtout au maximum ?.
Que l’on nous parle pas de besoin des riches et de leur richesses, en fait leur fortunes, je ne suis pas communiste mais républicain exigeant, la richesse est dans l’homme.
Utopie ou au contraire imposture contre laquelle la république devrait se défendre ?.
C’est marrant : W. Buffet et B. Gates prônent ce discours depuis de longues années déjà (ils s’opposaient déjà à G.W. Bush concernant les baisses d’impôts pour les riches) et ce n’est que maintenant, que Maurice Levy réagit…
Sa réaction est absolument claire : il faut que les riches contribuent “à ce nécessaire effort national”. Et c’est là que le bât blesse : en temps normal, il n’y a pas d’effort national et donc aucune raison de mettre les riches à contribution.
Il ne s’agit pas de savoir si le verre est à moitié plein ou à moitié vide : il vient de finir la bouteille et daigne enfin se lever… pour en chercher une autre. Une fois de retour à table, soyez sûr que son verre sera de nouveau bien plein.
1) ça leur ferait mal de se passer du superflu pour que d’autres aient le nécessaire.
2) ils ont inversé le sens de la causalité entre le montant du salaire et le mérite. Ils évaluent le mérite au vu du montant de leur revenu, et non le contraire.
Persévérons dans la méthode proposée, prendre au sérieux M. Lévy :
http://10308.lapetition.be/
Déclaration du Dirigeant et Investisseur Responsable
à signer et proposer à leur signature.
@FredericLN
Les suggestions faites dans la pétition me plaisent.
@Romain B : je trouve aussi, avec toutes les limites ici développées.
@Antenne : en même temps, on peut supposer que la fréquentation assidue des “riches” n’a pas dû laisser beaucoup de mansuétude ou d’espoir à leur égard chez MPC
@Marianne :
“Ne dirait-on pas que ça sent le roussi pour les riches ?
Personnellement je n’y crois pas beaucoup.”
Au roussi ou au retournement des “riches” ?
@Pullo : vous avez raison, il pourrait commencer par dés-optimiser avant de demander plus d’impôts …
@Ryo : oui, mais on ne peut pas exclure que pour une fois les intérêts de tous convergent !
@Rowali : je suis d’accord, mais c’est de façon structurelle qu’il faut mieux répartir l’impôt, pas seulement de façon exceptionnelle.
@Kirschenmann : alors faisons en sorte de réguler l’alcoolisme avant que notre ami aille se resservir
@Marc :
“ils ont inversé le sens de la causalité entre le montant du salaire et le mérite. Ils évaluent le mérite au vu du montant de leur revenu, et non le contraire.”
Oui.
@Frédéric LN : c’est une bonne idée, je vais faire tourner.
@ Pullo, Romain : merci bien. Je l’ai fait avec l’esprit de l’escalier, mais avec le recul, ça me semble vraiment un clou à enfoncer.
Le verre n’est pas à moitié plein ou vide, il est de la forme et contiens précisément tous ce que nos braves riches veulent qu’on y voit et goûte. Pas question d’aumône, pas question de charité. L’augmentation des impôts est une nécessité économique, pas qu’une question de justice sociale. Quand aux journaleux qui tentent de nous faire croire que l’idée est belle, bonne et nouvelle, je leur conseille cette lecture qui remettra les choses dans l’ordre
http://www.acrimed.org/article3657.html
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Les "riches" et l'impôt / Maurice #Lévy, verre à moitié vide ou à moitié plein ? #variae http://t.co/LCKHhzE #publicis
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Variae – Maurice Lévy, verre à moitié vide ou à moitié plein ? http://t.co/mzGQHK2
[...] des gens férus d’optimisation fiscale à longueur d’année soient touchés soudainement par la grâce et la bonne volonté ? Il leur suffirait, pour payer plus d’impôts, de simplement déclarer [...]
[...] participation exceptionnelle des membres de la nouvelle classe Opulence rapportera à la compagnie 200 millions d’euros, ce qui ne couvre pas les frais d’achat [...]
[...] Maurice Lévy, verre à moitié vide ou à moitié plein ? La France a désormais son Warren Buffet ; il préside l’Association française des entreprises privées et le directoire de Publicis. Le ci-devant Maurice Lévy a ainsi proposé, par voie de tribune dans Le Monde , « une contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis » dans le contexte actuel de crise de la dette et de panique financière. La sortie étonne, dérange, éveille le soupçon. Guy Birenbaum acquiesce , Piratage(s) y voit du pragmatisme cynique , le blogueur gauchiste CSP crie à la supercherie . Au fond, toujours la même vieille histoire, celle du verre à moitié vide, à moitié plein. [...]
[...] levinasien du terme », analyse ce passionné de philosophie « et de bridge ». Avec quelques amis, il vient de lancer le collectif “Les Riches sont sympa”, qui se propose d’aller [...]
[...] Lévy (qui, ironie du sort, défendait il y a un an la surtaxation des très riches) ? « Un immense capitaine d’industrie », dont le bonus « tombe mal, parce que l’opinion [...]
Maurice Lévy sera content d'être taxé par @fhollande puisqu'il le réclamait ! http://t.co/Madwi8XQ #Mediapart2012 #fhollande
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