Un mot est très en vogue actuellement au PS : celui de rénovation. Les militants ont été appelés à voter à son sujet, et c’est en son nom que Bertrand Delanoë et Laurent Fabius avaient pris leurs distances avec le bureau national du PS (instance dirigeante du parti), préférant laisser siéger des proches plus jeunes et plus neufs à leur place. Et pourtant, ce sont ces deux mêmes « ténors » que Martine Aubry a rappelés hier, sous le prétexte qu’il fallait serrer les rangs et rassembler tous les talents du PS en vue des prochaines échéances politiques, élections régionales au premier chef.
Drôle de signal pour une « révolution rénovatrice ». Et qui rappelle étrangement une scène comparable, survenue il y a un peu plus de deux ans durant la campagne présidentielle. Au lendemain de la présentation de son « pacte présidentiel » à Villepinte, Ségolène Royal avait refondu l’organigramme de sa campagne, créant un conseil politique où étaient rappelés tous les « éléphants » jusque là écartés, Lionel Jospin y compris. Deux épisodes très différents, mais avec un point commun : quand ça va mal, quand le chef des socialistes est contesté, affaibli ou dans une zone de turbulences, le premier réflexe est de convoquer celles et ceux qu’il est de bon ton de critiquer – les éléphants, donc – pour leur ancienneté dans le parti et leur image trop peu moderne.
On pourrait débattre sans fin sur les mérites comparés des uns et des autres, montrer que l’on est toujours l’éléphant de quelqu’un, et souligner que l’âge ne fait rien à la qualité, dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs. Tout ceci est absolument vrai : nul ne niera les talents d’édile de Bertrand Delanoë, ou la dimension d’homme d’État de Laurent Fabius. Mais cette propension désormais rituelle à appeler au secours les « anciens » au moindre soubresaut témoigne d’un problème structurel tout à fait inquiétant : l’incapacité du parti socialiste à faire émerger, promouvoir et défendre de nouvelles têtes, jeunes ou vieilles d’ailleurs, sur la scène politique nationale.
La comparaison footballistique est ici assez éclairante. De même que l’on parlait de « dream team » pour le gouvernement Jospin de 97, c’est une génération « dorée » qui porta l’équipe de France de football au firmament sportif, enchainant coupe de Monde et coupe d’Europe et se taillant au passage une réputation de machine à gagner inarrêtable. En 2002, sortie de route aussi brutale qu’imprévue pour les deux collectifs. Puis début d’une phase transitoire qui n’en finit plus de durer : considérant que les stars d’hier n’ont pas démérité, on les maintient en place, parfois contre l’évidence de leur forme physique ou de leur envie ou capacité de gagner, fermant la porte aux jeunes joueurs en devenir, qui patientent au seuil de la scène internationale (pour le football) ou nationale (pour le PS). Les enjeux les plus brûlants deviennent des rivalités entre champions « confirmés », Coupet-Barthez d’un côté, DSK-Fabius de l’autre. On se rassure en répétant à qui veut l’entendre qu’on a « les meilleurs joueurs à chaque poste », alignés dans les « meilleurs clubs » ou (variante socialiste) triomphant dans leur ville ou leur collectivité territoriale. Et que ce serait un gâchis que de les écarter. Mais la mayonnaise ne prend pas, ou plus, ou alors seulement pour des résultats intermédiaires : une coupe des fédérations, une deuxième place mondiale, une régionale ou une européenne. Pendant ce temps, impasses à répétition sur les trophées majeurs, coupe du monde ou élection présidentielle. Et épuisement des quelques nouveaux joueurs introduits sur le terrain, virés de l’équipe première à la moindre incartade, ou payant seuls les pots cassés de l’échec du collectif. On ne citera pas les innombrables ex-futurs espoirs du football français, dont le nom sera sans doute inconnu des lecteurs plus intéressés par la chose politique, mais chacun a sans doute en tête leurs homologues socialistes, comme Malek Boutih, envoyé au casse-pipe dans une législative-piège en 2007. Ou, exemple plus récent, Benoit Hamon faisant les frais de la débâcle des européennes en juin dernier.
C’est un cercle ; un cercle vicieux. La nouvelle génération, quand elle finit par gagner le droit de jouer, mûrit sous la surveillance étroite de ses anciens, jamais très éloignés, et hérite d’une situation rendue encore plus difficile par les échecs précédents de ces derniers. Elle commet des erreurs – logiques – ou ne perce pas assez vite, comme le secrétariat national de Martine Aubry, et son BN « renouvelé ». Alors immanquablement on retourne chercher les vétérans, Zidane et Thuram en 2005, Fabius et Delanoë aujourd’hui. Et si en sport cela rapporte parfois, en politique, on perd sur plusieurs plans : non seulement cela bloque le processus de maturation et de prise de responsabilités des cadres plus jeunes, ou moins expérimentés, mais surtout, cela brouille l’image du parti, avec des désagréments maximaux à un moment où il cherchait à se placer sous le signe de la rénovation – donc du renouveau.
En football comme en politique la recette serait simple, même si sans doute contestée et coûteuse dans un premier temps. Avoir un entraîneur – ou un premier secrétaire – qui s’affranchisse des gloires « incontournables », des pressions de la fédération – FFF – ou des fédérations – socialistes, des oukases des clubs ou des courants, et qui constitue à nouveaux frais une direction neuve, fondée sur des talents en devenir (les meilleurs à chaque poste), cohérente. Et qui la protège le temps qu’elle se trouve et qu’elle donne tout son potentiel, sans courir chercher nos Makelele ou nos Jospin au moindre coup de vent. C’est dans l’épreuve et dans la durée, mais aussi dans la confiance, que se forge une nouvelle génération. A défaut, le changement se fera de toute façon un jour, mais au prix sans doute d’une défaite de plus, sans retour, et qui ne laissera qu’une table rase derrière elle.
Romain Pigenel
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