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Les rites de la politique (6) : l’ouverture à la société civile

Cela ne vous est peut-être jamais venu à l’esprit, mais la composition d’une liste de candidats pour une élection, ou d’une équipe de campagne, est désormais un réel casse-tête pour les partis politiques. Tirés à hue et à dia entre des injonctions généreuses mais parfois contradictoires – un peu plus de diversité, un peu plus d’ouvriers, un peu plus de femmes, un peu plus d’intellectuels, un peu plus de représentants du courant Transformer vraiment à gauche, ensemble – les responsables en charge de cette complexe cuisine doivent déployer un talent tenant à la fois de l’équilibrisme et de l’immunité au principe de non-contradiction.

Parmi ces injonctions qualitatives, donc, le concept de société civile tient une place à part. A la différence des autres réquisits, qui peuvent être satisfaits (au moins en théorie) en piochant au sein du parti, celui-ci exige d’aller attraper des personnalités en dehors du parti ; on peut même dire qu’elles vaudront d’autant plus qu’elles en seront éloignées, et peu suspectes de lui être en réalité liées. C’est l’ouverture à la société civile, concept-pléonasme s’il en est : ouverture car à la société civile, société civile car venant du monde ouvert en dehors du parti. Artistes, sportifs, associatifs, intellectuels, experts, citoyens engagés sont comme les nouveaux joyaux de la couronne, venant témoigner de la modernité et de l’esprit … ouvert du parti qui les accueille sur sa liste électorale, ou dans son équipe de campagne.

 

On a pu voir la semaine dernière une belle application de ce principe, avec la présentation des équipes de campagne de François Hollande et de Martine Aubry pour les primaires socialistes et la présidentielle. Différence (re)marquée entre les deux : alors que François Hollande présentait un organigramme d’élus et de responsables socialistes répartis selon leurs domaines de compétence, Martine Aubry dévoilait une organisation de campagne faisant la part belle à ladite société civile, fortement mise en avant avec quelques grands noms comme Axel Kahn et Sandrine Bonnaire, et d’autres personnalités moins connues mais choisies pour être soigneusement représentatives qui d’une compétence universitaire thématique, qui du handicap, qui de la vie culturelle. Opération réussie à en croire le buzz généré, et les qualificatifs qui ont fleuri, dont celui de dream team.

 

Cette notion d’ouverture à la société civile ne manque pourtant pas de poser problème, quand on y songe un peu sérieusement. Ce terme désigne une réalité floue et multiple, celle des acteurs sociaux distincts à la fois de l’Etat et du monde marchand. Il a des connotations très positives, renvoyant à l’engagement, à l’associatif, à la société qui bouge en dépit de, voire contre, les institutions étatiques et marchandes. La question qui est posée, dès lors, est celle de son rapport à un parti politique de gauche comme le PS. En principe, il ne devrait pas y avoir extériorité entre PS et société civile. Nombre de militants sont (ou devraient être) actifs dans la vie associative, syndicale, mouvementiste. Un parti politique devrait être, justement, le lieu où ces engagements (sectoriels, communautaires, corporatistes …) viennent se mêler, pour se fondre dans un projet commun les dépassant. Que l’on juge bon de « négocier » des places pour la société civile, a contrario, donne un sentiment étrange : celui d’un parti à côté de cette société, voire qui en serait devenu un acteur parmi d’autres, représentant d’intérêts particuliers et non plus de l’intérêt général – intérêt général qui serait retrouvé en « offrant » des postes à des acteurs de la société civile, comme on noue des alliances avec d’autres partis. Conjointement, cela envoie un très mauvais signal sur l’état du parti : est-il inconcevable qu’un universitaire ou un associatif y fasse son chemin jusqu’à intégrer ses sphères de direction par une voie « normale » ? Ne peuvent-ils y parvenir que par une greffe in extremis au moment des échéances électorales ? Les militants socialistes sont-ils tous des politiciens professionnels, sans aucune activité citoyenne en dehors du PS ?

 

Le deuxième problème qui est posé est celui du rôle et du statut dévoués à ces prises de guerre, une fois intégrées dans une liste de candidats ou, en l’occurrence, une équipe de campagne. Sont-elles là comme acteurs opérationnels, ou pour leur valeur d’affichage ? A quelques exceptions près (celle d’Axel Kahn, mais mis sur un poste à l’intitulé plutôt obscur, la « refondation du progrès »), tous ces sociétaires civils sont en doublon avec un élu, et même, pour être très précis, en doublure de ces élus, qui apparaissent toujours en premier sur la liste de Martine Aubry. Claude Lelièvre après Bruno Julliard, Sandrine Bonnaire après Patrick Bloche. Que faut-il en conclure ? Qu’ils n’ont pas la maturité politique nécessaire pour occuper seul leur poste, sans tutelle d’élu ? Mais alors pourquoi les avoir mis au premier plan ? Réciproquement, leur « tuteur » élu n’était-il pas assez sexy, ou reconnu sur sa thématique, pour s’en occuper seul ? Enfin, pourquoi ne pas privilégier des personnalités société civile qui ont déjà eu un temps « d’incubation » dans le parti ? Sur le pôle « recherche et université », Martine Aubry avait déjà pratiqué l’ouverture lors de la constitution de son équipe de direction en 2008, en faisant appel à Bertrand Monthubert comme secrétaire national. Peut-être ne tenait-il pas à faire partie de l’équipe de campagne pour 2012, mais sa disparition (compensée par l’apparition d’Isabelle This Saint Jean, sociétaire civile devenue élue, et par celle du physicien Vincent Berger, président de Paris VII) pose question : la société civile s’use-t-elle façon Kleenex, une fois son lustre perdu et l’attrait de sa nouveauté dilué dans la routine du parti ? Faut-il régulièrement la remplacer par la dernière personnalité en vogue ?

 

On pourrait ajouter à ces remarques, dans le cas de l’équipe de campagne de Martine Aubry, la forte proportion d’universitaires (12 sur 24, sans compter les « experts ») au détriment de représentants des mouvements sociaux, parmi le quota société civile. Cela renvoie probablement à la communication faite depuis 2009 sur le « Laboratoire des idées » et sur la reconquête des intellectuels ; on remarquera simplement que ce « Lab », comme le mercato de personnalités au moment des élections, procèdent tous deux de la même logique d’externalisation de la rénovation du parti, que ce soit sur le plan des idées ou des personnes. Comme si tout ce qui bouge, tout ce qui est moderne, devait se faire à, ou venir de, l’extérieur du PS.

 

A cet égard, le choix, tant de François Hollande que de Ségolène Royal, de présenter une équipe de campagne centrée sur des élus et des responsables politiques, me semble plus conséquent et moins superficiel. Probablement « l’ouverture » se fera-t-elle à une autre étape de la campagne, ce qui peut se comprendre, pour une élection présidentielle où tout doit être tenté pour rassembler le plus largement possible les Français. A l’inverse, commencer les primaires par là, comme s’il fallait urgemment se donner de l’air et échapper au parti, est une décision étonnante – surtout pour la dirigeante sortante de celui-ci.

 

Romain Pigenel

 

Les autres rites de la politique, décortiqués ici

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16 Comments

  1. Nicolas wrote:

    Ce qui m’interpelle le plus, c’est quand des types de la société civile sont appelées au gouvernement, comme s’il pouvait être donné à tout le monde de s’improviser dans la politique.

    A propos de ta conclusion, les “tailles” des équipes de campagne pour les primaires m’ont étonné, aussi.

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 13:35 | Permalink
  2. “la même logique d’externalisation de la rénovation du parti”
    C’est ce qui explique l’importance prise par Terra Nova, la Fondation Jean-Jaurès et autre officines. Il faut constater que ces “think-tanks” ont réussit à attirer un grand nombre d’intellectuels, universitaires, hauts-fonctionnaires, personnalités, experts qui n’auraient pas trouvé un lieu où s’exprimer à l’intérieur du Parti et dont il n’est pas sûr qu’ils y auraient été entendus.
    Il faut aussi constater que cette “externalisation” de la réflexion et du travail de fond ne fait que suivre la tendance que l’on retrouve aussi dans les entreprises depuis une dizaine d’années laissant le champs libre, à l’intérieur, aux apparatchicks et aux luttes intestines…

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 13:37 | Permalink
  3. marceline carruolo wrote:

    Pas du tout impartial ton article Romain , c’est normal de ne pas vouloir dénigrer les choix du candidat derrière lequel tu t’es rangé. Il n’empêche!!!

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 16:41 | Permalink
  4. Marianne ARNAUD wrote:

    Ce qui m’a beaucoup plus frappée que les sujets que vous abordez dans ce billet, c’est d’apprendre que les équipes de campagne de madame Aubry et de monsieur Hollande sont constituées en majorité, d’hommes blancs de 55 ans de moyenne d’âge alors que ces candidats n’ont à la bouche, que les jeunes, les femmes et les “minorités visibles”.

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 16:49 | Permalink
  5. abadinte wrote:

    Ou bien que les idées sont plus structurées lorsqu’il y a deux personnalités venant de deux sérails différents ?

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 17:08 | Permalink
  6. @jegoun :

    “comme s’il pouvait être donné à tout le monde de s’improviser dans la politique”

    démagogie quand tu nous tiens …

    “les “tailles” des équipes de campagne pour les primaires m’ont étonné”

    Et encore, attendons l’équipe d’après-primaires, qui devra fusionner les 6 équipes et faire de la place à tout le monde ! Je table sur environ 150 membres.

    @Alain : le problème, comme tu dis, c’est que plus on externalise, plus on coule le parti …

    @Marceline : mais sur le fond, tu me réponds quoi ?

    @Marianne : c’est bien pour cela qu’ils n’arrêtent pas de parler de parité et de diversité, justement, les uns et les autres. Plus on en parle, moins on en fait :-)

    @Abadinte : dis tout de suite que chez FH on n’a que des bouts d’idées :-P

    Jeudi, juillet 21, 2011 at 19:32 | Permalink
  7. evah5 wrote:

    Quand on pense comment et combien Ségolène Royal a été attaquée sans cesse pour sa pipolisation, on croit rêver. Martine Aubry est aussi dans Paris Match pour “contrer les rumeurs”, ça comble le vide de prise de position courageuse et inventive face à la crise grave que nous traversons.
    On affiche les élus, les députés, les “aaaârtistes” et voilà.Chez Hollande on se demande bien comment Moscovici et Peillon par exemple peuvent se retrouver ensemble sinon pour se mettre du côté du “manche” si j’ose dire.Vous vous souvenez, Royal incompétente et “pas outillée pour”?
    Hélas ni le sexe ni les affiches ne font la fonction!

    Vendredi, juillet 22, 2011 at 12:27 | Permalink
  8. Djiess wrote:

    Ces critiques de la démarche d’Aubry ne son fondées que pour l’interprétation étonnemment schématique et statique qui en est faite sous l’angle du couple intérieur/extérieur.

    Vendredi, juillet 22, 2011 at 13:07 | Permalink
  9. GERARD DUFFOURG wrote:

    S’il gagne le Tour de France, Thomas Voeckler va faire des ravages !.
    “On” va se l’arracher !.

    Vendredi, juillet 22, 2011 at 13:59 | Permalink
  10. Excellente synthèse.

    J’ai toujours été perplexe quant à ces fameux représentants de la société civile : bizarrement que des gens connus qui ont réussi matériellement dans la vie : un chômeur ça ne fait pas rêver…

    Le concept de société civile est venu avec Rocard et repris opportunément par Mitterrand.. On connait la suite : Kouchner, Tapie, Amara… Le pire et le pire !

    Samedi, juillet 23, 2011 at 8:01 | Permalink
  11. marc wrote:

    Mitterrand avait nommé Hubert Curien, un chercheur, ministre de la recherche. Il a été un excellent ministre, pendant longtemps. Demandez à Bertrand Monthubert depuis combien de temps il a sa carte du PS…

    La nomination de Claude Lelievre est un très bon signe : un connaisseur pratique de l’education, un vieux de la vieille, très bien vis à vis des enseignants qui reprochent à Julliard de n’avoir jamais tenu une classe.

    Samedi, juillet 23, 2011 at 10:01 | Permalink
  12. marc wrote:

    Romain, peut-on comparer B.Monthubert et S.Bonnaire ? Le premier n’aurait-il pas sa carte au PS depuis un moment ? N’a t-il pas rédigé, pour le parti, un document de 30 pages définissant le projet PS, document qui a été plutôt salué, même si trop peu lu ?
    N’a t-il pas montré depuis quelques années sa capacité à démonter “scientifiquement” les chiffres bidons de Pécresse ?

    Je penserais volontiers que Claude Lelièvre connait bien ses dossiers – mais peut-être Rémi Branco, promoteur des frais d’inscription universitaires, également…

    Samedi, juillet 23, 2011 at 22:35 | Permalink
  13. marc wrote:

    marrant le nombre de widgets gadgets que tu as partout autour de tes posts. Il faut une demi-journée pour cliquer partout pour faire ta promo…. si Martine tombe là-dessus, elle va dire “ça m’emmerde, les +1, j’aime, boost” etc…. et elle n’aura pas tort :)

    Samedi, juillet 23, 2011 at 23:01 | Permalink
  14. abadinte wrote:

    Des Pas Perdus devrait se pencher sur le cas de Diniz qui n’est pas riche loin de là…

    Dimanche, juillet 24, 2011 at 18:46 | Permalink
  15. marc wrote:

    Commentaires 11 et 12 redondants, désolé, mais le temps d’apparition/validation était long… je pensais que avait été jugé inconvenant.

    Lundi, juillet 25, 2011 at 7:15 | Permalink
  16. JohnL wrote:

    A mon avis, la “société civile” désigne des sympathisants d’un mouvementprêts à ce mobiliser pour une “cause”. Je la distingue d’un engagement à long terme (plusieurs années ou même toute une vie).
    Il n’est pas toujurs facile de mener un tel engagement à long terme car cela passe toujours par des moment de déception (lié au fonctoinnement interne d’un parti ou d’un mouvement, ou tout simplement aux défaites électorales).
    Il y a forcément un moment ou la démobilisation a lieu, c’est naturel. Toute la différence est dans la capacité à surmonter cette démobilisation et à perpétuer l’engagement.
    Ce qui n’enlève rien à l’importance de cette “société civile” dans l’accompagnement de la lutte politique.
    Concernant Monthubert, son absence n’est pas forcément surprenante. Il c’est engagé vis à vis du parti socialiste en assumant un secrétariat national. Il sera certainement en première ligne dans la campagne présidentielle, je n’en doute pas. Mais ici, il s’agit d’une confrontation interne entre candidats à la candidature. Pourquoi serait-il obbligé à prendre parti pour Martine Aubry ou pour un autre candidat ?

    Lundi, juillet 25, 2011 at 10:47 | Permalink

6 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Jeudi, juillet 21, 2011 at 10:40

    [Variae] Les rites de la politique (6) : l’ouverture à la société civile http://tinyurl.com/3kqp7w8

  2. jegoun on Jeudi, juillet 21, 2011 at 10:58

    RT @Romain_Pigenel: Les rites de la politique (6) : l'ouverture à la société civile #variae http://t.co/tPzwdDs

  3. Romain Pigenel on Jeudi, juillet 21, 2011 at 16:14

    Sandrine Bonnaire, sauveuse du #PS avec #Aubry ? / Les rites de la politique : l'ouverture à la société civile #variae http://t.co/9FUc42v

  4. Melclalex on Jeudi, juillet 21, 2011 at 17:20

    Les rites de la politique (6) : l’ouverture à la société civile (Variae) http://bit.ly/nSbJ0b

  5. [...] Variae › Les rites de la politique (6) : l’ouverture à la sociét&ea… "A cet égard, le choix, tant de François Hollande que de Ségolène Royal, de présenter une équipe de campagne centrée sur des élus et des responsables politiques, me semble plus conséquent et moins superficiel. Probablement « l’ouverture » se fera-t-elle à une autre étape de la campagne, ce qui peut se comprendre, pour une élection présidentielle où tout doit être tenté pour rassembler le plus largement possible les Français. A l’inverse, commencer les primaires par là, comme s’il fallait urgemment se donner de l’air et échapper au parti, est une décision étonnante – surtout pour la dirigeante sortante de celui-ci." Source: http://www.variae.com [...]

  6. Variae › Ouverture et débauchage on Mardi, août 9, 2011 at 16:38

    [...] concept que l’ouverture en politique. Elle suppose explicitement que si on ne passe pas par elle, si on se contente, donc, [...]

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