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Les primaires socialistes peuvent-elles être truquées ?

Un spectre hante le socialisme : celui du trucage de ses primaires fraichement planifiées. On ne pense pas ici à l’éventualité d’un vote frauduleux, c’est-à-dire entaché d’irrégularités, mais à la crainte du piratage du scrutin par des éléments extérieurs, venus d’autres partis pour faire pencher la balance dans un mauvais sens – candidat « trop à droite », incompétent, incapable de rassembler les voix de son propre camp au premier tour de la présidentielle, etc.

Ce risque est envisageable du fait de la conception même des primaires ouvertes. Il suffira, pour se prononcer sur le candidat socialiste à la présidentielle, d’être inscrit sur les listes électorales, de payer une contribution modique et de signer une charte d’engagement sur le soutien au candidat désigné du PS. La modicité du droit d’entrée, tout comme la nature « seulement » morale de l’engagement écrit, ne sont évidemment pas de nature à décourager des esprits malveillants de venir fausser le vote – voire une initiative de sabotage méthodiquement organisée par un parti concurrent. Si donc cette hypothèse ne peut être écartée sur le papier, comment pourrait-elle se vérifier dans les faits ?

On peut imaginer deux cas de figure. D’un côté, l’action sciemment malveillante ; de l’autre, la participation sincère d’un électeur dont les idées ne cadrent pas avec le cœur programmatique et idéologique du PS. Le premier cas de figure peut quant à lui se réaliser de deux façons : soit l’action individuelle d’un électeur (de gauche non socialiste, ou de droite), soit l’organisation machiavélique d’une opération de sabotage par un autre parti. Le sabotage individuel requiert en vérité beaucoup d’efforts (trouver un bureau de vote, s’y déplacer, faire la queue, payer …), et il est peu probable qu’un nombre significatif d’électeurs aient la volonté et les moyens de s’y prêter – surtout quand on connaît l’abstention tendancielle, et le déficit de militantisme politique, dans notre pays. Le sabotage par un autre parti est en vérité encore plus complexe à mettre en œuvre. Il requiert, pour être efficace, une forte mobilisation, qui ne manquerait pas de faire du bruit et de donner lieu à un scandale retentissant, dans un monde de réseaux sociaux et d’information virale où les secrets sont de plus en plus durs à garder. Sans parler de l’argent à trouver, et à distribuer, pour payer la participation de militants que l’on imagine mal se prêter à ce jeu, sur commande, à leurs frais. Dans un cas comme dans l’autre, enfin, se pose la question du degré de mobilisation à atteindre pour réellement peser sur le vote. On évoque souvent au PS l’objectif de un million de participants à cette primaire. Admettons que la mobilisation soit en demi-teinte et que seuls 500 000 Français se déplacent. Pour peser sur 20% du résultat – ce qui est encore peu, vu les « poids lourds » en lice (DSK, Aubry, Royal …) qui risquent de monopoliser les suffrages – il faudrait déplacer 100 000 personnes, ce qui est considérable compte tenu des effectifs limités de nos différents partis. Qui peut imaginer l’UMP parvenir à mobiliser tous ses adhérents dans une opération de ce genre pour un, voire deux tours de vote ? Ce serait déjà un tour de force pour de véritables partis de masse ; c’est quasiment mission impossible pour les partis français tels qu’ils sont.

Et encore ne dit-on rien de la nature du vote à mettre en œuvre pour saboter efficacement la primaire. Problème qui rejoint celui, signalé plus tôt, d’électeurs sincères, mais hétérodoxes, venant prendre part au scrutin. Comment réellement affaiblir le PS ? Lui faire désigner un candidat « trop à droite », ou « trop à gauche » ? Le moyen le plus sûr d’handicaper le premier parti de gauche serait de faire élire un individu complètement inepte ou incapable, comme cela s’est peut-être vu aux États-Unis. Mais cela n’est tout simplement pas possible dans la situation présente. Le fait est que l’on ne part pas dans le vide et que l’on sait grosso modo quelles seront les candidatures susceptibles de « peser » quelque chose dans ce scrutin, parce qu’elles disposent d’une base médiatique ou partisane suffisante (sans même parler du nombre minimal de parrainages à réunir pour avoir le droit de se présenter). Exit l’hypothèse du candidat-gag venu de nulle part ; reste donc la possibilité éventuelle de tordre politiquement le scrutin, dans un sens mettant le candidat désigné en décalage avec la base électorale du PS. C’est en gros l’hypothèse du candidat trop à gauche qui ferait perdre au PS ses électeurs modérés, ou du candidat trop à droite qui ferait, lui, fuir l’aile gauche du parti. Mais là encore, est-ce si simple ? Le rejet de Sarkozy, et le manque de candidatures crédibles de centre-droit, pourraient bien conduire des électeurs de droite modérée à voter pour un candidat socialiste droitisé. Réciproquement, un effet « vote utile » pourrait pousser des électeurs à la gauche de la gauche, mais refroidis par les accents bordeline d’un Mélenchon, à soutenir un candidat socialiste gauchisé. Si on ajoute à cela la confusion idéologique générale, et le nombre de sujets civilisationnels qui clivent même au cœur de chaque camp (laïcité, temps de travail, croissance …), il apparaît fort hasardeux de concevoir des stratégies de vote faisant accoucher à coup sûr les primaires d’un candidat condamné à échouer – surtout que ce candidat, une fois désigné, sera bien obligé de se recentrer dans le parti pour réunir celui-ci derrière lui (il y sera également contraint, jusqu’à un certain niveau, par le projet socialiste voté au préalable). Sans même évoquer le cas d’éventuels électeurs extérieurs au PS (voire à la gauche), venant participer à la désignation de son candidat dans une démarche honnête, et lui apportant ensuite leur vote initialement inespéré lors du vrai scrutin ! Bref, toutes les stratégies envisageables relèvent plus du tâtonnement d’apprenti-sorcier que de la martingale infaillible.

Ce fantasme de primaires hackées repose donc sur une perception très abstraite et simplifiée des choses. Et si tant est qu’une opération machiavélique puisse être réellement mise en place par un parti adverse, il faut quand même souligner qu’elle ne serait pas infiniment plus difficile à concevoir dans un système de désignation par les seuls militants : en quoi serait-il impossible de pirater un tel système en y infiltrant, en amont, de faux adhérents payant dûment leur cotisation ? Les primaires ne créent donc pas un nouveau risque : elles accroissent, tout au plus, des failles existantes.

La crainte du détournement des primaires se nourrit surtout, à mon sens, des questions qu’elles posent aux partis politiques – et au PS en l’occurrence – quant à leur rapport au dehors (leurs sympathisants, leur camp politique élargi, la société). Si personne ne croit plus vraiment au vieux parti d’avant-garde homogène et hermétique aux aléas de l’opinion extérieure, le rôle des militants et l’identité idéologique collective, dans la nouvelle configuration induite par le développement des primaires, restent effectivement à penser.

Romain Pigenel



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7 Comments

  1. Nicolas wrote:

    Tu tables réellement sur 500 000 votants ? Ou alors c’est juste pour étayer ta thèse (fort bien vue, par ailleurs) ?

    Vendredi, janvier 14, 2011 at 11:13 | Permalink
  2. nico93 wrote:

    Pour supprimer tout risque de fraude, quelques suggestions:
    A l’entrée des bureaux de vote, des physionomistes seront chargés de détecter les ports ostensibles de signes bling-blings ou rédhibitoires comme les foulards Hermès, les Rolex, les sacs Vuitton, les pommettes au botox (liste à définir en commission)…”
    http://renovitude.net/?p=751

    Vendredi, janvier 14, 2011 at 13:20 | Permalink
  3. GdeC wrote:

    tu ne serais pas hanté par le spectre de la royalite aigue, toi, un peu, non ? Les adolescents boutonneux groupies de la madonne des sleepings doivent adorer ton style, non ?

    Qu’importe le sujet de ton billet : le ps n’est définitivement plus crédible et stratégiquement foutu : FN, EE, PG… résultat : un ps à 20 % ? Peut mieux faire. Surtout vis à vis de l’électorat populaire qu’il ne retrouvera jamais. Surtout depuis mitterand. La grande traitrise a durablement marqué la gauche. La vraie. Résistance ! au libéralisme incongru.

    Vendredi, janvier 14, 2011 at 22:45 | Permalink
  4. @Nicolas : j’ai du mal à croire aux 500 000 votants. Je me dis que le seul élément de comparaison que nous avons (2006 et ses primaires à 20 euro) nous a fait monter à 200 000 militants/participants et basta … Cela étant, comme on me l’a rétorqué, c’est moins engageant de venir voter que d’adhérer au PS, même pour une somme modique. Entre ça et le désir de virer Sarkozy, qui sait ? Peut-être peut-on, en travaillant bien, atteindre un chiffre entre 500 000 et un million. En revanche pour monter plus haut il faut s’appeler Montebourg ou être très, très, très idéaliste :-)
    @Nico93 : tu vas arrêter de discriminer Anne Sinclair oui !

    Vendredi, janvier 14, 2011 at 22:50 | Permalink
  5. GdeC wrote:

    j’attends toujours que tu autorises mon commentaire, mon ptit gars…

    Samedi, janvier 15, 2011 at 13:22 | Permalink
  6. @GdC : désolé, j’étais passé à côté. Ca aurait effectivement été dommage que je reste ignorant de mon statut d’idole des “ados boutonneux groupies de la madonne” :-)

    Samedi, janvier 15, 2011 at 14:12 | Permalink
  7. Napoleon wrote:

    Vous ne prenez pas en compete la vaste armee des barbouzes, delateurs du Stasi francais qui infestent le pays, payes pour faire exactement cela par Sarko.

    Et la France va rencontrer la meme sort que le RDA a cause de ces parasites – elle va sombrer dans la misere et une qualite de vie miserable au fur et mesure que sa creativite est etouffe par ces parasites.

    Mardi, octobre 11, 2011 at 22:08 | Permalink

11 Trackbacks/Pingbacks

  1. Melclalex on Vendredi, janvier 14, 2011 at 7:52

    Variae – Les primaires socialistes peuvent-elles être truquées ? http://bit.ly/gTejAC

  2. Asclepieia on Vendredi, janvier 14, 2011 at 7:54

    RT @melclalex: Variae – Les primaires socialistes peuvent-elles être truquées ? http://bit.ly/gTejAC

  3. jegoun on Vendredi, janvier 14, 2011 at 8:49

    Les primaires peuvent elles être truquées ? http://bit.ly/gBeQAR  /

  4. Romain Pigenel on Vendredi, janvier 14, 2011 at 11:50

    [Variae] Les primaires socialistes peuvent-elles être truquées ? http://tinyurl.com/4hls7xj

  5. Romain Pigenel on Samedi, janvier 15, 2011 at 11:11

    Les #primaires socialistes peuvent-elles être truquées ? #variae http://bit.ly/eJCEqG

  6. DSK ne se présentera pas | Le Blog de Gabale on Lundi, janvier 17, 2011 at 13:52

    [...] Normalement, les primaires devraient permettre de trancher, à la condition qu’elles se déroulent loyalement. [...]

  7. [...] après-midi à la théorie avec la lecture du code électoral et la consultation régulière des sites socialistes consacrés aux [...]

  8. Romain Pigenel on Mercredi, septembre 21, 2011 at 6:18

    Que faire si qqun de droite veut voter aux #primaires? http://t.co/Lh72y6hq chez @nico93 mais ça n'arrivera pas : http://t.co/1LSAvxOo

  9. [...] laisse de côté la troisième critique, dont j’ai déjà traité dans un précédent billet, consacré à la possibilité d’un truquage des primaires. On ne pourra jamais empêcher [...]

  10. Romain Pigenel on Samedi, octobre 8, 2011 at 9:52

    @ALiCe__M @ldeboissieu peu probable http://t.co/1LSAvxOo

  11. [...] mais sans étiquette ? Militants du Front de Gauche ou de EELV venu peser sur le résultat ? Activiste UMP pratiquant un vote tactique ? Français de droite modérée voulant en finir avec Sarkozy ? Probablement un peu de tout ça : [...]

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