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Les primaires, envers et contre tout

Comme on pouvait s’y attendre, le DSKgate, non content d’avoir mis un coup d’arrêt brutal à la trajectoire politique immédiate du principal intéressé et de ses amis, n’en finit plus de secréter des conséquences pour le Parti socialiste et son avenir proche. Parmi elles, la remise en cause des primaires, pourtant dûment votées par les militants et soutenues par la grande majorité des responsables socialistes lors de leur adoption. Qu’importe, elles sont désormais sur le banc des accusés sous la plume de blogueurs, sympathisants ou dans la bouche de responsables socialistes, avec des expressions variées : qu’on les arrête, qu’on les gèle, qu’on se rassemble, qu’on les mette entre parenthèses (bientôt le moratoire ou la mise sous tutelle ?).

Il faut commencer par remarquer que cette tentation n’a rien de nouveau. Sitôt ratifiées, les primaires ont été régulièrement soumises à des tentatives d’annulation ou du moins de minoration, avec l’élaboration très tôt par Laurent Fabius du curieux concept de « primaires de confirmation ». Aujourd’hui, le bénéficiaire longtemps attendu de la confirmation en question, DSK, semble hors-jeu, mais l’idée revient, soit avec des arrière-pensées en faveur de telle ou telle candidature, soit dans un réflexe apeuré et un peu conservateur (« restons groupés et il ne nous arrivera rien »).

 

Aujourd’hui comme hier, cette position me semble intenable. Sans même évoquer le respect du vote militant, je vois plus de raisons objectives de maintenir (et même de renforcer) le dispositif des primaires que de l’amputer.

 

Premièrement, dans un contexte de forte abstention et de discrédit de la politique, la gauche et les socialistes ne peuvent gagner qu’en enclenchant une dynamique populaire forte dans le pays. Le plan « regroupons-nous autour de notre champion olympique des sondages, ne touchons à rien et mathématiquement on gagne » était déjà plus que douteux, il devient carrément indéfendable en l’absence dudit champion. Le projet socialiste doit être enrichi, et des risques pris face à un adversaire probable (Nicolas Sarkozy) prêt à tout. Il faudra donc se mettre en danger d’une manière ou d’une autre ; le repli dans l’entre-soi d’un parti bien affaibli n’est pas une option sérieuse.

 

Deuxièmement, même si la France ne pleurait pas la disparition des primaires (et encore, c’est à voir), le choc en retour, en termes de crédibilité, serait très dur. Qu’est-ce que ce parti qui annule au dernier moment la procédure dont il a fait la promotion dithyrambique depuis deux ans ? Pourquoi tant de fébrilité ? Par ailleurs, les dégâts seraient encore plus lourds en interne. La promesse des primaires a été, de fait, la seule vraie rénovation qu’a connue le PS depuis le congrès de Reims en 2008. Pour beaucoup de militants, un revirement à ce sujet serait sans doute la goutte de trop dans un vase déjà bien rempli. La démobilisation qui s’ensuivrait serait terrible.

 

Troisièmement, personne n’explique clairement en quoi devrait consister, concrètement, le rassemblement sans primaires suggéré. Soit tous les candidats se désistent en faveur d’un seul – mais il faut être raisonnable, une connaissance, même minime, des relations entre les candidats restant en course rend cette hypothèse à peu près aussi crédible qu’une démission de Nicolas Sarkozy. Soit un candidat pensant « tenir » l’appareil tente un coup de force – il n’y aurait alors pas de meilleure voie vers l’éclatement du PS ou la multiplication de candidatures hors parti. Soit enfin on se résout à une désignation « à l’ancienne », par un congrès extraordinaire, un vote des militants ; mais alors on aura bien un affrontement … sans la dynamique populaire !

 

Quatrièmement et surtout, la gauche et le pays ont besoin de refaire de la politique. Pendant qu’on parle de DSK et de ses exactions supposées, pendant qu’on débat de morale publique à la petite semaine et des mérites comparés de la justice et du journalisme des deux côtés de l’Atlantique, on perd un temps précieux pour développer un projet de société, crédibiliser la possibilité d’une alternative au sarkozysme, et accrocher celui-ci sur son bilan et son absence totale de perspectives. Un grand débat populaire tel que celui des primaires ouvertes peut, seul, casser cette spirale infernale qui va, sinon, se nourrir encore durant des mois et des mois des dernières révélations voyeuristes sur les coucheries d’untel ou d’untel.

 

Pour toutes ces raisons, la question des primaires ne doit même pas être posée. Il faut les organiser, faire tout ce qui est possible pour les élargir, créer les conditions d’une confrontation de programmes et de personnalités, et pourquoi pas accélérer un calendrier qui était – c’est un secret de Polichinelle – déterminé par la date de retour de DSK en France.

 

Romain Pigenel

 

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23 Comments

  1. Gabale wrote:

    Très bonne analyse !
    J’y souscris totalement. L’accélération du calendrier serait nécessaire.

    Samedi, mai 21, 2011 at 17:46 | Permalink
  2. Un mois de gagné, dans ce contexte, ce n’est pas rien …

    Samedi, mai 21, 2011 at 17:49 | Permalink
  3. Gabale wrote:

    Oui. Ce serait un bon signal donné aux Français.

    Cependant l’appareil du PS est vermoulu et je ne le sens “prêt” à l’éventualité d’une accélération du calendrier.

    Il y a une coupure avec la base et trop de crispation au sommet.

    Le projet a été adopté à plus de 95% mais ce score s’explique par une abstention massive. Bref, il n’y a pas d’engouement.

    C’est la raison pour laquelle il faudrait que les primaires débutent plus rapidement afin que la “machine” se (re)mette en marche et que les militants et sympathisants se sentent davantage impliqués.

    Samedi, mai 21, 2011 at 17:56 | Permalink
  4. Marianne ARNAUD wrote:

    Vous pouvez écrire les analyses les plus perspicaces qui soient, il n’en restera pas moins que le PS sera confronté à un hic de taille.
    Quelle que soit la solution choisie, si le candidat socialiste passe le premier tour, il faudra qu’il rassemble 50% des suffrages plus une voix, au second tour.
    Et ça, ça me paraît pratiquement impossible à obtenir, quel que soit le candidat désigné.

    Samedi, mai 21, 2011 at 18:20 | Permalink
  5. captainhaka wrote:

    Excellente vue comme d’habitude. Je trouve également détestable de fonder un projet aussi important sur des sondages et l’illusion du leader naturel.
    Il fallait maintenir les primaires quand la droite furieuse les critiquaient, il faut plus encore les maintenir maintenant qu’une certaine gauche s’est dévoilée.

    Samedi, mai 21, 2011 at 19:36 | Permalink
  6. Nicolas wrote:

    J’aime bien cette notion de ne pas se poser la question des primaires et se dépêcher d’accélérer le calendrier…

    Samedi, mai 21, 2011 at 23:15 | Permalink
  7. Denis wrote:

    Les primaires sont un engagement. Le processus a été décidé par les militants. Si les oligarques du Parti Socialiste reviennent sur la parole donnée, alors il en sera fini de la gauche dans ce pays.

    La primaire est un moment important dans le cadre de la dynamisation d’une campagne et de la nécessaire mobilisation militante. Aujourd’hui sur combine de militants peut compter le PS ? 60000 ? Pas plus !

    Dimanche, mai 22, 2011 at 8:29 | Permalink
  8. David Burlot wrote:

    Je suis entièrement d’accord avec ton billet.
    La primaire doit etre le moment de réfléchir sur le programme du candidat. On est trop dans la cuisine politique et pas assez dans la Politique

    Dimanche, mai 22, 2011 at 9:22 | Permalink
  9. Bruno wrote:

    Entièrement d’accord avec ton analyse. Il me semble que la seule chance de remporter l’élection à gauche repose sur la capacité à enclencher cette “dynamique populaire”, à réveiller le débat politique dans le pays, et dans ce contexte une primaire amplifiée est l’unique issue. Les réticences de l’appareil du Parti se traduisent par une communication très frileuse sur ces primaires, alors qu’il faudrait vraiment en dramatiser les enjeux; du coup je crains qu’on finisse par une sorte de pétard mouillé, à mon avis, catastrophique.

    Dimanche, mai 22, 2011 at 9:47 | Permalink
  10. nico93 wrote:

    A ceux qui, légitimement traumatisés par le naufrage DSK, souhaitent voir Martine Aubry candidate et supprimer les primaires, je demande toujours de voir leur méthode.

    Je pense depuis longtemps que les primaires sont une fausse bonne idée mais on ne peut revenir dessus. Elles ont été votées par les militants et comme tu le soulignes, elles ont été promues par le PS.

    Raccourcir le calendrier, pourquoi pas, mais si on considère que faire campagne en juillet-août n’est pas très utile, alors il reste finalement très peu de temps!

    Pour finir, ma grande crainte est de voir le résultat des primaires contesté. Pourvu que le (la) premier(e) arrive en tête avec suffisamment d’avance pour nous éviter de revivre 2008. Ce serait catastrophique et la présidentielle serait perdue.

    Dimanche, mai 22, 2011 at 10:54 | Permalink
  11. Très bonne note qui tombe à point.
    Annuler les primaires c’est la perte assurée de 50% des militants dont moi.
    Les Bartolones et autres portes-flingues qui dénoncent le principe ont tout simplement peurs que les petits-arrangements-entres-amis qui constituent le mode habituel de cooptation aux postes les plus juteux ne fonctionnent plus face au vote populaire et que surgisse un outsider un peu moins mou du genoux que d’habitude (un Montebourg par exemple !). Le surgissement de Ségolène en 2006 a laissé des traces…
    Il y a cependant un vrai problème pas évoqué : nombre de Municipalités de Droite n’ont pas données d’accord pour l’ouverture de bureaux de vote et cela peut plomber sérieusement la manœuvre.

    Dimanche, mai 22, 2011 at 18:31 | Permalink
  12. @Marianne : peut-être, mais procédons étape par étape ; la première étant de parvenir à se qualifier pour le second tour, avec si possible une bonne avance au premier.

    @Gabale : tout à fait d’accord, les primaires peuvent servir de “machine à laver” pour le parti.

    @Captain : une “certaine gauche” ?

    @Nicolas : ma philosophie de vie : quand on tourne en rond, on appuie sur l’accélérateur un bon coup :-)

    @Denis : les 60 000, il faudrait les trouver, hein.

    @David : le meilleur symptôme en est le processus d’élaboration du programme, réduit effectivement à une cuisine de courants et d’ “experts”.

    @Bruno : ils s’aveuglent avec des sondages sur le grand nombre de Français désireux de voter aux primaires, quand en réalité la plupart d’entre eux ne savent sans doute même pas comment faire ! Mais le parti souhaite-t-il vraiment que ces primaires soient un succès ?

    @nico93 : je pense comme toi, on pouvait être pour ou contre les primaires, maintenant le temps n’est plus aux hésitations mais à l’action. Un peu comme le rapport TErra Nova : on peut tolérer de tels errements à 3 ans d’une présidentielle, pas à 11 mois !

    @Alain : je m’inquiète aussi de l’organisation du scrutin en dehors des grandes villes.

    Dimanche, mai 22, 2011 at 19:58 | Permalink
  13. GdeC wrote:

    Qu’un programme dit socialiste ait pu tourner autour d’un tel homme…. Misère ! Et pourquoi pas Hollande tant qu’on y est ! La gauche n’est plus elle même…

    Dimanche, mai 22, 2011 at 20:07 | Permalink
  14. @GdeC : ça fait un bout de temps maintenant qu’elle a un problème d’identité, la gauche …

    Dimanche, mai 22, 2011 at 20:35 | Permalink
  15. GdeC wrote:

    @variae : alors, changeons ça. Il me semble qu’un certain nombre d’ingrédients y sont favorables, non ?

    Dimanche, mai 22, 2011 at 20:46 | Permalink
  16. Marianne ARNAUD wrote:

    Vous avez tout à fait raison : même les plus pragmatiques des militants politiques doivent pouvoir garder une part de rêve.

    Lundi, mai 23, 2011 at 11:43 | Permalink
  17. @GdeC: je crains que rien ne bouge avant la présidentielle, mais il faudra bien après poser la question de l’organisation de la gauche et du sens des vieilles divisions partisanes qui ne veulent plus dire grand chose.

    @Marianne : “pessimisme de la raison, optimisme de la volonté” ;-)

    Lundi, mai 23, 2011 at 15:22 | Permalink
  18. GdeC wrote:

    @romain : avant Dsk aussi, on disait cela, que rien ne bougera… et porutant ! Partout, en europe et dans le modne, les peuples bougent, tu as vu ? Poruquoi pas ici ?

    Lundi, mai 23, 2011 at 15:31 | Permalink
  19. Je ne sais pas. Peut-être parce que ce pays n’a pas encore touché le fond, à la différence de nos voisin du sud.

    Lundi, mai 23, 2011 at 18:02 | Permalink
  20. nap wrote:

    il me semble que la notion de “mettre les primaires entre parenthèses” est déjà dépassée… Manuel Valls se lance dans la course !
    ;o)
    @+

    Lundi, mai 23, 2011 at 18:06 | Permalink
  21. bembelly wrote:

    Et si on refaisait le ”Congrès de Reims”?

    Lundi, mai 23, 2011 at 19:50 | Permalink
  22. abadinte wrote:

    C’est une bêtise. Les Français prendraient cette accélération pour :
    - la peur de voir revenir DSK
    - le musèlement des candidats car ils n’auront pas le temps de faire une campagne (déjà que la campagne est courte)
    - une réaction de panique face à un évènement exogène au PS et donc une culpabilité implicite du PS dans l’affaire DSK.

    Bref, c’est aussi mauvais que ceux qui veulent supprimer les primaires suite à l’affaire.

    Nota Bene : je suis contre les primaires du PS.

    Mardi, mai 24, 2011 at 13:51 | Permalink
  23. @nap : avec Manuel, tout peut changer très vite, dans un sens ou dans l’autre :-)

    @Bembelly : je préfère un sacre à un congrès, si c’est à Reims.

    @Abadinte : le problème c’est que la date retenue n’a plus de sens. Mais bon …

    Jeudi, mai 26, 2011 at 18:55 | Permalink

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  1. Romain Pigenel on Samedi, mai 21, 2011 at 15:37

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  2. banshees on Samedi, mai 21, 2011 at 18:38

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    [...] le véritable enjeu des primaires. Trouver l’enfant élu et il n’est pas encore trop [...]

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  8. Romain Pigenel on Lundi, mai 23, 2011 at 13:24

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  9. [...] d’une légitimité un peu fragile – les conditions de son élection à Reims-. Outre l’impact négatif d’une telle décision sur les sympathisants et le déni d’un vote militant clair sur [...]

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