Il parle d’une voix calme, mesurée, détachant précautionneusement ses syllabes. Réajustant de temps à autre ses fines lunettes. Sans excès. Sans emportement. Il pourrait tout aussi bien, recteur d’académie, énoncer la liste des lycéens ayant eu leur baccalauréat avec mention, ou, préfet, présider aux cérémonies du 18 juin. Tout dans sa façon d’être exsude les manières, les us, la formation d’un haut fonctionnaire à la française, préférant la minutie à l’esbroufe, le vouvoiement prudent au risque du tutoiement. On ne lui connaît pas d’antécédents idéologiques particuliers ; ses biographes se plaignent d’un personnage lisse sur lequel il est difficile de trouver la moindre a(ni)ccroche.
Il a d’abord servi le président de la République comme il savait le faire, dans l’ombre, puis derrière un bureau, comme directeur de tout ce qui pouvait être dirigé – cabinet ministériel, campagne présidentielle, Élysée. Puis il est passé de l’autre côté de l’antichambre, à la lumière crue de l’actualité. Le début d’un festival.
Les Français qui ne se sentent plus chez eux. La « croisade » menée par Nicolas Sarkozy de l’autre côté de la Méditerranée. Les flux migratoires qui menacent nos valeurs. Les étrangers tout court – même pas en situation irrégulière – qui posent un problème. En quelques mois d’occupation du Ministère de l’Intérieur, il a plus que rattrapé son retard de notoriété, passant du statut de serviteur de l’Etat (fût-il sarkozyste) à celui de concurrent de Marine Le Pen sur son propre terrain. Les polémiques s’enchaînent dans ce qui prend vite l’apparence d’une fuite en avant un peu folle, faisant presque passer les concertistes de la droite populaire pour d’inoffensifs provocateurs. La mue est si rapide, si totale qu’on en vient à oublier le Guéant d’avant Beauvau. Qui ne passait pas pour un fasciste en costume d’énarque, ni pour un admirateur secret de la préférence nationale. Faut-il comprendre qu’il cachait ces penchants depuis toujours ?
Un rapide retour en arrière sur les 4 ans de sarkozysme donne quelques indications. Claude Guéant n’est pas un cas unique – seulement le plus caricatural. Dès la création du ministère, aujourd’hui disparu, de l’Identité nationale, Sarkozy a fait en sorte d’y promouvoir des personnalités qui n’étaient pas, de prime abord, marquées à l’ultra-droite ou déjà identifiées pour leurs positions scabreuses sur l’immigration. Hortefeux n’a pas toujours été l’homme des Auvergnats. Quant à Éric Besson, gentil organisateur de débats sur l’identité nationale supervisés par les préfets, inutile de rappeler son origine politique. Ils ont tous occupé, ou occupent, la même fonction : celle de bouclier humain – ou plutôt inhumain en l’occurrence – de Nicolas Sarkozy.
Portant la politique d’expulsion, les quotas d’immigrés à rejeter, les propos censés reconquérir le vote Front National, à la place de leur président. Faisant vivre à leur façon cette partie du sarkozysme originel qui avait contribué, en 2007, à son hégémonie à droite et en particulier sur son flanc droit. Troquant, dans une sorte de pacte faustien, une reconnaissance et une célébrité nationales, un poste ministériel de premier rang, contre la haine et le mépris d’une partie non négligeable de la société.
Que se passe-t-il dans l’esprit de ces individus qui ne semblaient pas, à l’origine, destinés à cette fonction ? Quelle est la part, en eux, de la conviction, du calcul (peut-être même sincère et convaincu, comme Guéant affirmant œuvrer à reconquérir le vote populaire), et de cet effet d’entraînement et d’auto-persuasion qui fait qu’une fois aspiré dans ce positionnement politique, le seul horizon envisageable devient la persistance et même l’accélération ? Comme un bras d’honneur aux lazzis de la foule ?
L’histoire des quatre dernières années montre que le bouclier (in)humain s’use vite : deux ans de cette vie-là font de vous un kleenex, qu’on remplace par un autre ambitieux. Comme s’il fallait régulièrement changer la cible de l’exaspération de la gauche et des humanistes pour ne pas dépasser certaines bornes. A ce compte-là, Claude Guéant a déjà bien mérité de la Nation : toute la question étant de savoir s’il va bientôt être relayé, ou non, par un Président-candidat remettant les pieds dans la boue, et les mains dans le cambouis, pour travailler à sa réélection.
Romain Pigenel
La galerie des caractères de la politique se visite ici.
6 Comments
Pourquoi ne pas nous parler de ce déplacement de Hollande en Allemagne ?
S’y est-il à ce point rien passé d’intéressant qu’il vaut mieux garder le silence et en revanche, sonder le coeur et les reins de Guéant, dont tout le monde se fout, ou à peu près ?
Mais pour tous ceux que ce voyage intéresseraient, je leur suggère de se reporter sur le blog de Mélenchon qui fourmille de détails.
Quant à votre dernière question : “…savoir s’il va être relayé, ou non, par un Président-candidat”, il me semble que nous ne devrions pas tarder à le savoir.
Peut-être même plus le temps d’écrire un papier sur chacun des autres ministres !
Sous ses airs de sainte-nitouche Guéant se révèle un des plus effroyables menteurs de la sarkozie en campagne : sa façon est tout à fait vicieuse, il procède par petites et sournoises distorsions de la réalité qui aboutissent invariablement à une conclusion défavorable si ce n’est dégradante pour le candidat socialiste.
Comme tout menteur froidement assumé il est sans vergogne : à Valls qui l’apostrophait à propos des statistiques de la délinquance lors des QAG, il répliqua :
“Arrêtez de mentir aux français, je trouve que mentir aux français c’est quelque chose qui est extrêmement grave.”
http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/11/29/delinquance-claude-gueant-et-les-deputes-ps-s-accusent-mutuellement-de-mentir_1610861_823448.html
(à 3’07 de la vidéo)
Excellentisime billet.
Que certune admette que Romain n’est pas un écrivain public, qu’il n’écrit pas sur commande et que c’est bien la translation de ses intuitions qui nous passionnent . Libre à chacun de placer la barre à la hauteur qui lui sied.
Pour revenir aux suppletifs de Sarkozy, ils sont comparables aux SCUD Irakiens: rustique, peu precis, mais toujours aveuglément dévastateurs.
Guéant ne permet-il pas surtout à Marine Le Pen d’apparaître comme quelqu’un de tout à fait normal? En face, le premier geste du candidat Hollande fut de commémorer un massacre commis par les Français. Les camps dominants semblent aller jusqu’au bout de leur logique folle, l’amour de l’argent pour l’UMP, l’amour de l’étranger et donc l’abandon pur et simple des Français pour le PS. Marine Le Pen, qui dit aimer les Français, a la position la plus cohérente. En 2017, après cinq ans d’appauvrissement, elle apparaîtra comme la seule espérance pour beaucoup.
Ce qui ne laisse pas de m’étonner, sur ce blog, ce sont ces génuflexions mentales que chaque billet suscite.
A quelques exceptions près, on se pâme sur la forme, sans oser se différencier si peu que ce soit du fond.
Bonjour les groupies !
@Marianne :
“Pourquoi ne pas nous parler de ce déplacement de Hollande en Allemagne ?”
Eh bien, qu’attendez-vous pour ouvrir un blog
“on se pâme sur la forme, sans oser se différencier si peu que ce soit du fond.
Bonjour les groupies !”
Heureusement que vous êtes là.
@Antenne :
“sa façon est tout à fait vicieuse, il procède par petites et sournoises distorsions de la réalité”
C’est exactement ça, un laquais madré et vicieux.
@Pégase :
“Romain n’est pas un écrivain public, qu’il n’écrit pas sur commande”
Eh bien, si on me demande gentiment, je peux quand même y procéder
@Jardidi : ça faisait longtemps, tiens !
14 Trackbacks/Pingbacks
Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/IaEvR171 via @Romain_Pigenel
via @romain_pigenel Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/7awiSF7B
via @romain_pigenel Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/qi6aSiIc
via @romain_pigenel Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/7awiSF7B
[GReader] Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/EmSR0lFP
Avec du Claude Guéant inside / Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy #variae http://t.co/m7VRLmVV
Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/pSXeIQV4 via @Romain_Pigenel
[...] Les caractères de la politique (4) : le bouclier (in)humain de Sarkozy [...]
[...] par milliers, n’oublie pas, ta carte d’identité ! Ben oui hein, faudrait pas que Guéant il te fasse embarquer avec ton air louche et ton traîneau de [...]
[...] patient Claude G., travaillant pour sa part dans la sécurité, le gardiennage et la protection rapprochée. [...]
[...] retournement de situation, en partant d’un point de départ, il y a deux jours, où le Ministre de l’Intérieur était pris en flagrant délit de délire anthropologique, entre fardeau de l’homme blanc et [...]
[...] FRANCE. La nuit de vendredi fut longue pour Claude Guéant, en déplacement près de Nancy pour un meeting de soutien à Nicolas Sarkozy avec Nadine Morano. [...]
[...] il y a peu, tentait de repeindre le Fouquet’s en « brasserie populaire », tandis que le fidèle Guéant se lamente à présent sur la « vie d’une austérité extrême » du président des riches. [...]
#VotezHollande Claude Guéant le bouclier (in)humain de Sarkozy http://t.co/VV2PM0Zo
Post a Comment