Mon éditorial pour le n°135 de la Tête A Gauche, lettre d’information de la Gauche Socialiste.
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La nouvelle rebondit de revues de presse en boîtes mails. Ca y est : poussant la « triangulation » jusqu’à son terme – l’abolition des contraires – Nicolas Sarkozy aurait passé non pas l’arme, mais la tête, à gauche. Il serait devenu socialiste. Oui. N’y a-t-il pas jusqu’à quelques éminences de la gauche internationale pour lui décerner des brevets en la matière ? Cela a commencé avec le président du groupe socialiste au Parlement européen, Martin Schulz, qui a déclaré que le président de la République française « parlait comme un vrai socialiste européen ». Cela a culminé avec l’adoubement par le phare de la gauche radicale sud-américaine en personne : Hugo Chavez, qui lui a offert le titre de camarade. Camarade Sarkozy ! On doit frémir dans les beaux quartiers. D’autant qu’émergent les signes d’un gigantesque glissement à gauche, pardon, à l’extrême-gauche, de la droite française. C’est l’UMP qui organise des forums sur la refondation du capitalisme. C’est encore le mouvement de jeunesse du même parti qui, ne reculant devant rien, va jusqu’à se réclamer de la « révolution » par la voix de son porte-parole. Alors quoi ? Nous faut-il changer le sens des initiales P.S. en : Parti sarkozyste ? Où déchirer nos cartes de militant et adhérer en bloc à l’UMP ?
Commençons plus sérieusement par revenir aux faits, sans illusion rétrospective à leur égard. Ni le président, ni le gouvernement n’avaient prévu l’ampleur de la crise – ni la crise tout court, d’ailleurs. Les mesures qui permettent à certains, aujourd’hui, de voir en Nicolas Sarkozy l’incarnation du socialisme triomphant ne sont arrivées qu’in extremis. Il est bon de rappeler qu’auparavant, les marges de manœuvre budgétaires ont été dilapidées par les exonérations fiscales, au profit des plus riches, de la première année de la mandature. Que Christine Lagarde s’est longtemps débattue, à la rentrée encore, contre l’évidence de la récession qui arrivait. Et que quand la crise financière a finalement éclaté, Nicolas Sarkozy a mis beaucoup de temps à prendre la mesure de la situation, et à choisir un cap politique clair ; les premières semaines ont été marquées par des décisions réactives et défensives, prises dans l’urgence, et sans stratégie d’ensemble.
On pourrait toujours prétendre que Nicolas Sarkozy, en une sorte d’épiphanie miraculeuse, a sur le tard converti et son regard, et ses convictions ; qu’il a découvert sur le vif les bienfaits des solutions sociales-démocrates, un peu comme Roosevelt se tournant vers l’interventionnisme au dur contact de la crise de 29. Lecture erronée qu’il faut déconstruire.
Qu’est-ce que le socialisme ? Le combat pour la redistribution des richesses produites, seule réponse à la question sociale. Un combat pragmatique, qui sait saisir toutes les opportunités et les méthodes permettant de le mener à bien. La nationalisation des moyens de production ou du capital est un de ces moyens ; elle n’est, et surtout ne doit être, un dogme, une fin en soi. L’étatisme n’est pas la vérité du socialisme ; corollairement, il ne suffit pas d’œuvrer dans le sens du « retour de l’Etat », notion vague s’il en est, pour être socialiste. La question fondamentale est la suivante : dans quelle politique d’ensemble s’inscrit ce retour ? S’accompagne-t-il d’une volonté concrète de refonder le champ économique autour de l’impératif de redistribution ?
Les choses étant ainsi posées, on ne peut plus, sérieusement, qualifier Nicolas Sarkozy de socialiste. L’intervention étatique qu’il a effectivement engagée a comme but non pas de changer le système, mais de le sauver, en faisant tomber le nombre de têtes qu’il faudra pour étouffer le scandale de la finance incontrôlée. Il suffit pour s’en persuader de considérer les prétendues « contreparties » exigées des banques en échange de la faramineuse garantie de 300 milliards d’euros, et des injections directes de capitaux, que leur a accordées l’Etat : un engagement … moral à faciliter l’accès au crédit, avec la création d’un « médiateur du crédit » censé enregistrer les doléances en cas de manquements. Et à côté de ce cadeau à la finance, quid des vraies mesures de soutien de la demande que la récession appelle, quid de la conférence salariale qui permettrait de sortir nos concitoyens de la spirale infernale du pouvoir d’achat en chute libre ?
Et puis il y a la vérité du gouvernement ordinaire, dans l’ombre du lyrisme des discours présidentiels aux tribunes des institutions internationales : les suppressions de postes dans l’Education nationale, et le début de détricotage du statut national des enseignants ; la privatisation rampante de la Poste, au mépris de son rôle dans le maintien de la cohésion sociale et territoriale. Autant de coups silencieusement portés à des secteurs où un Etat socialiste se devrait au contraire de prendre toutes ses responsabilités.
Nicolas Sarkozy est donc tout sauf l’incarnation d’un socialisme qui se serait imposé à lui comme seule solution viable. Il est le roué héraut d’un interventionnisme, ou plus exactement d’un volontarisme, qui, bien loin d’être révolutionnaire, mélange au jour le jour les recettes du néolibéralisme – l’Etat réduit au rôle de béquille du capital – et du néocolbertisme – financement et consolidation de « champions nationaux », notamment dans le domaine de la défense, au mépris des PME et PMI. Et de l’intérêt le plus élémentaire du contribuable et du consommateur.
De cette confusion, du simple fait qu’elle ait été possible il faut tirer des leçons. Nous savons comment l’éviter : il faut, et il suffit, que les socialistes assument pleinement leur rôle de première force d’opposition, pour dissiper tous les doutes qui peuvent exister sur la nature d’une politique réellement socialistes. Non pas en se limitant à des critiques sur la forme ou à des indignations aussi spectaculaires que vite oubliées, mais en montrant et en expliquant, à chaque étape, ce que le PS ferait s’il était au pouvoir. En l’occurrence : défendre une autre politique industrielle, soutenue par un small business act et conjuguée à une stratégie de soutien à la consommation ; veiller en permanence à un partage des gains équilibré, avec une politique salariale comme clé de la répartition.
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