Skip to content

La biche, les éléphanteaux et le loup (fable socialiste et marseillaise)

L’attente a ceci de paradoxal qu’elle finit par faire oublier la possibilité même de son objet. Prenez les rapports entre le MoDem et le PS. Cela fait des mois, ou même des années, que la question agite le petit monde de la rue de Solférino, partagé entre envie – celle d’un rapprochement clair et net entre socialistes et « démocrates » – et appréhension – celle de voir le parti de François Bayrou, et le Béarnais en personne, opérer une OPA sur les électeurs du premier parti de gauche. On en parlait, on en parlait, sans rien voir venir – et puis soudain, au cœur de l’été, voilà que Marielle de Sarnez arrive comme une fleur aux ateliers d’été de l’Espoir A Gauche, discourant sur la financiarisation de l’économie et la personnalisation du pouvoir, le tout sous les applaudissements d’abord hésitants, puis franchement enthousiastes, des militants socialistes présents.

En surface, l’explication est claire : les centristes, giflés aux européennes, ont enfin reconnu qu’ils ne pouvaient prétendre diriger l’opposition à Nicolas Sarkozy, et ont donc accepté de se rendre au Canossa marseillais, validant de facto l’idée d’une fédération « écologique, sociale, républicaine » (pour reprendre les mots de Daniel Cohn-Bendit) et de primaires générales pour désigner le candidat de l’opposition unifiée à Nicolas Sarkozy.

Mais en profondeur, la véritable donne est limpide : le grand méchant loup Bayrou, comprenant que lui et son déguisement de vieille grand mère républicaine étaient pour un temps personnae non gratae, a dépêché sa charmante missa dominici avec une mission très simple : infiltrer la fédération de gauche en gestation, en se faisant caméléon ; préparer le terrain pour le retour du chef au bon moment, à savoir celui des primaires ouvertes. La blondeur et la posture d’une décontraction étudiée, façon bonne copine Cyrillus, du général en second De Sarnez ne fait pas grande illusion : le premier para centriste a bien sauté sur le Kolwezi de la gauche française.

On peut sans doute reconstituer la réflexion de François Bayrou. Les européennes ont été une vraie déconvenue, électorale, mais aussi personnelle, avec l’incident Cohn-Bendit. Elles ont révélé la vérité du potentiel électoral actuel du député centriste, non négligeable, mais ne donnant pas d’autre garantie que celle d’une candidature de témoignage en 2012. A sa droite, la voie est bouchée. Mais à sa gauche : des forces potentiellement majoritaires, si rassemblées face à la droite, et une pléthore de dirigeants épuisant leur légitimité en combats internes et concours de petites phrases. Sa destinée présidentielle passera donc par là, avec pour caution apparemment inoffensive Marielle de Sarnez, réputée gaucho-compatible. Restait à trouver un point d’appui. Il lui a été donné par tous les dirigeants socialistes qui ne cessaient de dire, pour mieux repousser le débat sur le MoDem, qu’on n’en parlerait « qu’une fois que François Bayrou serait clairement de gauche ». Ils veulent des preuves d’amour ? Ils vont en avoir ! Et c’est ainsi que la député européenne en vint à prononcer, ce samedi après-midi, ce discours qui en a étonné plus d’un, et auquel on aimerait bien savoir ce que Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot peuvent trouver à redire. Par un mouvement d’aïkido politique délicieusement retors, toute la force de l’opposition socialiste au compromis avec les centristes s’est trouvée cul-par-dessus-tête, retournée contre ceux-là même qui l’utilisaient depuis des mois. En conséquence de quoi on commence à voir de spectaculaires renversements de posture, comme celui de Claude Bartolone, n’excluant désormais plus rien. Quand les Français plébiscitaient l’alliance PS-MoDem, les socialistes la repoussaient ; maintenant que ce n’est même plus le cas, les héritiers de Jaurès la valident ! Aucun doute, le plan de François Bayrou – du moins sa première phase – a commencé à fonctionner.

Bien sûr, la route est encore longue. Le MoDem est faible et ne regorge pas de militants. Cela tombe bien, la gauche en a à revendre ! Et quoi de plus simple que le dispositif darwinien de la primaire ouverte pour opérer une forme d’entrisme nouveau, consistant non pas à infiltrer des troupes dans un parti, mais à phagocyter et le parti, et ses cadres et militants, par le truchement d’un adoubement présidentiel, coiffant même plusieurs partis à la fois ? Certes, François Bayrou et ceux qui le suivent ne constituent pas actuellement, politiquement ou numériquement, la première force de l’opposition. Mais on peut se permettre de penser que le chef des « démocrates » a bien compris que la clé de la réussite, comme dans tout système darwinien, passe par le fait d’être non le plus fort, mais le plus apte. Ce qui laisse de considérables marges de manœuvre pour un homme dont on a déjà pu constater, par le passé, la puissance tribunitienne, et la capacité à assumer avec de forts accents de conviction un discours républicain et caressant dans le sens du poil aussi bien la « vieille gauche » que – bien entendu – les réformistes rose pâle.

Reste une question, évidemment essentielle pour les hommes et les femmes de gauche qui assistent à l’entrée dans la bergerie de ces curieux caméléons centristes, dont on ne sait s’ils sont plus loups ou agneaux. Admettons que ce que l’on peut soupçonner être le plan de route de François Bayrou fonctionne. Qu’il parvienne, à force de se gauchiser et de jouer à fond le jeu de la gauche en pleine recomposition, à se trouver en position de devenir le candidat de notre camp à l’élection présidentielle. Serait-ce un drame pour la gauche ? Je n’ai jamais considéré, pour ma part, que la politique est affaire d’introspection psychologique et d’intentions cachées. J’ai toujours pensé, au contraire, qu’elle était d’abord faite d’actes et de décisions, et qu’il fallait donc l’analyser, dans un premier temps au moins, de façon froidement béhavioriste. Je n’ai pas fait partie de ceux qui dénigraient la mutation de Laurent Fabius en l’accusant d’être un social-libéral se cachant sous un double-langage mollétiste et sans sincérité. Je ne demande pas plus aux Françaises et aux Français qui mettent un bulletin socialiste dans l’urne s’ils le font par conviction, par dépit, avec doute, par tradition, ou en se pinçant le nez. Une voix est une voix. Un mot est un mot (c’est ainsi que les électeurs le comprennent). Alors, faisons un peu de politique-fiction – et de provocation. Si un homme, quels que soient ses origines et ses antécédents, se met à tenir un discours de gauche indiscutable, et fait preuve de suffisamment d’habileté politique pour s’imposer dans un camp où il n’est même pas le bienvenu, pourquoi maintenir une opposition de principe à son égard, dans le combat contre Nicolas Sarkozy ? Il se pourrait bien que cette question se pose dans ces termes, un jour prochain, à toutes celles et à tous ceux qui ne se satisfont pas de la reconduction de l’État-UMP.

Mais trêve d’hypothèses d’école, qui n’ont pour le moment rien d’inéluctable. En ce mois d’août finissant, les responsables socialistes ont mis en route un engrenage fort complexe, aux effets probablement encore inimaginables à l’heure actuelle. A eux désormais de faire preuve de suffisamment de talent pour conserver leur avantage et l’initiative politique ; à défaut, par un mouvement il est vrai couramment vu dans l’histoire, les ambitions individuelles de quelques uns pourraient bien servir les intérêts d’un seul homme, passager clandestin devenant, à l’issue du voyage, amiral en chef.

Romain Pigenel

A lire aussi :

12 Comments

  1. Made wrote:

    En lisant votre article qui est encore plus complexe que complexe, je comprends que la classe ouvrière regarde ailleurs

    Mardi, août 25, 2009 at 10:37 | Permalink
  2. jon wrote:

    Belle analyse stratégique que voilà.

    Mardi, août 25, 2009 at 14:17 | Permalink
  3. AJ wrote:

    Époustouflante prose. Le PS est visiblement mort.

    Mardi, août 25, 2009 at 15:18 | Permalink
  4. Romain wrote:

    @ Made : c’est hélas l’état actuel du PS qui est plus complexe que complexe … ce billet n’en est que le reflet

    Mardi, août 25, 2009 at 17:06 | Permalink
  5. symptome wrote:

    En effet l’état du PS ne risque pas de s’améliorer pour le moment…

    Bonne fin de journée, Gael

    Mardi, août 25, 2009 at 17:23 | Permalink
  6. analyse atypique, que je ne suis pas toujours, mais que je trouve, in fine, intéressante et très bien écrite.
    Il va de soi que je me retournerai dans ma tombe si Bayrou devenait un homme de gauche, en ce qui me concerne…

    Mardi, août 25, 2009 at 18:02 | Permalink
  7. Pourquoi le refuser ?
    Tout simplement pour éviter, comme avec Sarkozy, qu’une fois élu, il ne tienne pas le dizième de ses engagements électoraux et fasse une politique de centre droit !
    Ça me parait suffisant pour éviter de regarder au delà de la patte blanche pour voir le loup entier !

    Sarkozy a ratissé large à droite (et même à l’extrème sans que personne ne s’émeuve, c’est beau une France qui dort !) et Bayrou suit une logique électoraliste incontestable. C’est aussi son va-tout et s’il se plante, que lui restera-t-il ?
    :-) ))

    Mardi, août 25, 2009 at 18:21 | Permalink
  8. Romain wrote:

    @ L’Hérétique : toute la question est de savoir : que veut dire ETRE un homme de gauche ? Agir à gauche, être profondément convaincu des valeurs de gauche, faire mine d’être de gauche ? Un ministre socialiste de l’économie et des finances qui prend des mesures de droite est-il un homme de gauche ?

    @ Monsieur Poireau : s’il se plante il sera à poil (à poils ?) … en attendant (cf. ci-dessus) on a bien vu des hommes politiques de gauche, une fois élus, mener des politiques de droite.

    [je précise que je n'ai aucune sympathie particulière pour Bayrou, au contraire même, mais je suis très curieux - et amusé - de voir jusqu'où sa soif de pouvoir peut le conduire, en termes de reniements et de transformations]

    Mardi, août 25, 2009 at 18:40 | Permalink
  9. FredericLN wrote:

    La lecture de ce billet est, pour un démocrate, sidérante donc instructive.

    Selon vous, Marielle de Sarnez se présentait comme de gauche, or elle a conclu son discours en se réaffirmant au Centre.

    Ce discours que vous présentez comme de gauche, digne du NPA, reprend des thèmes et propositions faites par F Bayrou depuis ses campagnes de 2002 (taxe Tobin), 1999 (regulation financière)… Si “reniement” il y a (romain) c’est chez des militants de gauche qui renieraient leur certitude selon laquelle seuls les gens “de gauche” sont dignes d’être ecoutés …

    En fait, si les propositions de F Bayrou sont plus à gauche que la gauche (comme A Montebourg l’affirmait off en 2002), ce n’est pas sur F Bayrou que ça pose question, c’est sur la gauche, amha.

    Mardi, août 25, 2009 at 19:49 | Permalink
  10. Philippe wrote:

    Bonjour Romain,

    Voilà un billet intéressant (et c’est vrai, très bien écrit – mon commentaire le sera beaucoup moins).

    L’analyse est stratégique (peut-être un peu trop)… mais il manque à mon avis une conclusion.

    So what ? Les primaires à gauche ? L’ouverture au centre ?

    Que Bayrou pense à la présidentielle le matin, le midi, le soir, en se rasant, en faisant ses courses… c’est évident.

    Qu’il conçoive le rapprochement du Modem et des forces de gauche comme un moyen d’arriver à son objectif… c’est plutôt une hypothèse réaliste.

    Que la primaire ouverte soit, pour lui, une condition sine qua non à la réussite de son projet… ça ne fait aucun doute.

    Mais j’ai envie de dire qu’il n’est pas le seul à voir dans une primaire élargie un moyen d’être le candidat de la gauche et du centre.

    Je ne suis pas certain que ses chances soient vraiment meilleures en cas de primaire… tout dépendra du contexte, du déroulement du process, des candidats qui seront en face, de leur capacité à proposer un vrai projet alternatif.

    Je ne suis pas – non plus – persuadé que les sympathisants de gauche qui pourraient participer à une primaire soient, par nature, plus sensibles au talent oratoire et aux accents républicains que n’importe quel militant encarté.

    La vraie question est de savoir si ce dispositif est susceptible d’améliorer les chances d’une alternance en 2012. Personnellement, je pense que c’est une condition nécessaire (même si elle ne sera pas suffisante). J’y suis donc totalement favorable.

    Jeudi, août 27, 2009 at 15:22 | Permalink
  11. jocegaly wrote:

    Bayrou un loup? qui n’oserait pas descendre dans la rue la nuit? qui a refusé de contribuer à faire gagner l’opposition? qui cherchait à s’approprier DSK (Sarkozy a fait mieux…)comme faire valoir? qui attend chaque prochain jour qui se lèvera?
    J’ai des doutes.

    Jeudi, août 27, 2009 at 15:30 | Permalink
  12. jean Georges wrote:

    Bonjour,
    Je le dirais pas aussi bien que certains posteurs mais cela veut dire la même chose:
    Je voulais simplement dire que ce discours me fait penser à l’attitude singulière de N. Sarkozy qui, pour appeler quelques brebis est capable de citer sans vergogne un certains nombre de nom qui, jusqu’alors étaient l’apanage et la fierté de la gauche, je pense à la lettre de Guy Moquet dont la citation sortant de la bouche de Sarkozy a pour moi atteint le comble de l’hypocrisie. Car tout le monde sera d’accord pour dire que les idées politiques de Sarkozy sont au delà de l’opposé de celle de ce Jeune homme, surtout a cette époque. Un mot sur le racolage de ministres socialistes, d’un Strauss Khan au FMI ( un palais de la finance mondiale) de qui se moquent-on
    En ce qui concerne le Modem qui voudrait se joindre à une gauche même plurielle je pense qu’on est pas loin de rejoindre les ruses sarkozystes. Pensez-vous sincèrement que Madame de Sarnez puisse rejoindre les idées politiques de Marie Georges Buffet, croyez vous que Bayrou arrive à courir sous la même banière que Dany le rouge arés leur prise de bec publiques. Non moi j’appelle cela des magouilles electorales.
    L’idée force de Mitterand avait été de faire un vrai programme commun de gouvernement, bien avant la présidentielle et même là, il y a eu sur les trois partis signataires un mort total ( les Radicaux de gauche ) et un autre qui ne vaut guère mieux le parti communiste. Je l’ai ecrit ici sur le blog de JL. Bianco. Avant d’aller à la bataille les alliances préelectorales sans aucun programme n’ont pas ou peu abouti. Je rappelle que les régionales sont dans quelques mois et si le Ps court après des sirenes pour se refaire une santé je predis quelques vestes monumentales . Tout cela n’est que mon avis mais je repete pour moi c’est Ségolène Royale ou personne. JG

    Vendredi, août 28, 2009 at 1:21 | Permalink

4 Trackbacks/Pingbacks

  1. betapolitique.fr on Mardi, août 25, 2009 at 11:02

    La biche, les éléphanteaux et le loup (fable socialiste et marseillaise): L’attente a ceci de paradoxal qu’elle .. http://bit.ly/3Ptilr

  2. Variae › Marine Le Pen et le Petit Chaperon Rouge on Mardi, janvier 18, 2011 at 19:21

    [...] pas pour rien dans la tentative ultérieure de rapprochement franc avec le PS et les Verts lors des colloques du Rassemblement de Vincent Peillon. Le FN aura-t-il un destin comparable vis-à-vis de l’UMP [...]

  3. Variae › Mélenchon et Bayrou, comme Dupont et Dupond on Mercredi, novembre 30, 2011 at 15:57

    [...] la présence de Ségolène Royal au second tour. Il n’a cessé d’expliquer, au sujet de la majorité centrale qu’il appelle de ses vœux, que des hommes qu’il « respecte », comme DSK ou Michel Rocard, [...]

  4. Quelle alliance? by lepost - Pearltrees on Mardi, janvier 10, 2012 at 17:57

    [...] En conséquence de quoi on commence à voir de spectaculaires renversements de posture, comme celui de Claude Bartolone, n’excluant désormais plus rien . Quand les Français plébiscitaient l’alliance PS-MoDem, les socialistes la repoussaient ; maintenant que ce n’est même plus le cas , les héritiers de Jaurès la valident ! Aucun doute, le plan de François Bayrou – du moins sa première phase – a commencé à fonctionner. La fable [...]

Post a Comment

Your email is never published nor shared. Required fields are marked *
*
*