On l’a bien compris : pour deviner la pensée et la parole « empêchées », comme on dit, de DSK, il faut désormais surveiller de près le blog d’Anne Sinclair. Très « écoutée » de son mari, chargée d’entretenir le désir, elle pourrait bien devenir le porte-parole le plus clairement identifié du directeur du FMI. Et comme pour répondre coup pour coup aux attaques de la droite contre celui-ci, elle a justement publié lundi une note fustigeant l’annonce par l’UMP d’un grand débat sur l’Islam dans la perspective de 2012. Un débat ? Des « petits et vieux manèges », dans la lignée de l’identité nationale, de la burqa et du discours de Grenoble, une « volonté d’agiter des peurs en espérant dégonfler l’extrême droite et ressouder [la] droite » ; « remuer encore une fois cette trouble marmite […] jouer avec le feu ». Il n’y a pas de problème lié à l’Islam en France, et ce qui « alarme » véritablement les Français, c’est « les inégalités inacceptables, le chômage omniprésent, l’école en déroute, la santé en panne, l’Europe toute entière en crise ».
« It’s the economy, stupid ! ». On connaît bien le discours repris en filigrane dans ce billet : les vrais problèmes sont économiques (« inégalités », « chômage »), sociaux (« école », « santé »), et le reste ne serait que calembredaines superficielles, voies sans issue pour la gauche et manipulations nauséabondes de la droite. Toute la nébuleuse complexe des questions religieuses, identitaires, culturelles devrait être reléguée aux débats télévisés du samedi soir, pour se consacrer au dur, à l’infrastructurel, aux valeurs socialistes, éducation, emploi, protection sociale. Une fois ce « gros œuvre » traité par l’État, à la société de s’organiser comme bon lui semble. Anne Sinclair mi-marxisante, mi-libérale « sociétale » ? Il est vrai que sa hiérarchie des préoccupations n’est pas absurde : elle reflète à peu de choses près, par exemple, le dernier sondage TNS Sofres, que le staff DSK a (on imagine) regardé de près. Le sujet que l’on pourrait le plus rapprocher du débat UMP sur l’Islam, « l’intégration et les relations entre groupes sociaux », n’y arrive que 15ème. Cela dit, on peut se demander en quelle mesure une formulation aussi contournée a été réellement comprise des sondés. Surtout quand on se remémore une autre étude IFOP récente, dont le résultat, aussi inquiétant que consternant, a finalement été fort peu commenté, peut-être justement parce qu’il dérangeait. Effectuée en Allemagne et en France, elle révélait dans les deux pays un rejet des Musulmans (et une conviction de leur non-intégration) transcendant les clivages politiques, et particulièrement saillant dans les catégories populaires. Ces deux études ne sont pas contradictoires : elles disent simplement, mises bout à bout, que même si la confession de son voisin n’est pas la principale obsession au jour le jour du citoyen français, elle peut devenir un sujet hautement problématique quand elle finit par arriver sur la table.
Or c’est précisément dans la nature de la question confessionnelle, comme des autres questions identitaires/culturelles/« sociétales », que de surgir dans le débat par à-coups, via un fait divers dont la portée émotive et symbolique dépasse de loin l’importance quantitative. Le port de signe religieux “ostentatoire”, l’occupation d’une rue par des prières de groupe ou une tentative de baignade en burkini ne sont certes pas des événements du quotidien (hors contextes très particuliers) ; mais qu’ils viennent à passer devant les caméras des médias et alors ils prennent par contraste une importance d’autant plus forte, surtout qu’ils interrogent des principes fondamentaux (par définition, il n’y a de pas de petite entorse à un principe). Ce qui est vrai en temps normal se vérifie d’avantage encore dans les séquences d’hyper-attention que sont les campagnes présidentielles ; on se souvient, pour la problématique sécuritaire, l’ampleur qu’avaient eu et le rôle qu’avaient joué Papy Voise en 2002, et les émeutes de la gare du Nord en 2007. Si jamais un incident relatif à la pratique de l’Islam survient durant la campagne de 2012 – et il ne manquera pas d’y en avoir, provoqués s’il le faut, n’en doutons pas – il focalisera l’attention et aura valeur de test sur la fermeté et la justesse des principes, et des convictions, des différents candidats en lice. Malheur à celui ou celle qui étalera alors publiquement son désintérêt pour la question, ou sa confusion sur la réponse à apporter.
Puisqu’abcès il semble y avoir sur le sujet culturel et religieux de l’Islam, il faut le percer, et le plus tôt sera le mieux. Il ne suffit pas de se lamenter sur la désinformation ou l’immaturité du « peuple », de souligner que ceux qui critiquent nos concitoyens musulmans n’en ont peut-être aucun dans leur entourage, ou de tenter la méthode Coué et le catéchisme de masse sur l’air de « tout va très bien, madame la marquise ». Fustiger la droite ou l’extrême-droite sans se prononcer sur le fond, comme on l’a vu lors de l’épisode de la rue Myrha en décembre dernier, est une attitude éminemment contre-productive. La première chose à faire est de prendre au sérieux et de respecter les Français qui éprouvent un malaise, et de discuter de façon ouverte et non polémique de ce qui leur pose problème. On notera à ce sujet l’ambivalence du papier d’Anne Sinclair, à vrai dire classique des démonstrations de ce type : d’un côté, on évacue le sujet religieux, mais de l’autre on lui reconnaît bien tacitement une existence puisque l’on parle de « jouer avec le feu » ou de « remuer encore une fois cette trouble marmite ». Il faudrait savoir : soit les Français sont fous, malléables et stupides et la droite peut leur mettre ce qu’elle veut dans la tête en lançant les débats ad hoc ; soit il y a bien un ressentiment problématique qui prospère dans l’ombre, ce « feu » ou cette « trouble marmite », et alors il me semble qu’il est politiquement suicidaire et irresponsable de faire l’autruche à son égard.
A partir de là, que faire ? Prendre les devants, clarifier la position de la gauche et commencer à imposer son propre cadrage idéologique du débat, qui ne peut bien sûr être en négatif sur l’Islam, comme le propose Sarkozy, mais doit se faire en positif sur la réaffirmation et l’interprétation contemporaine de la laïcité. Jusqu’à présent, les polémiques médiatiques ont surtout démontré la division et le manque de ligne claire du PS et de la gauche : candidate voilée qui clive au sein du NPA, votes disparates sur l’interdiction de la burqa, maires socialistes protestant contre l’implantation de Quick halal sans prise de parole du national, Benoît Hamon reprenant maladroitement la condamnation de Marine Le Pen sur les prières de rue plusieurs jours après elle, des élus comme Manuel Valls ou Daniel Vaillant défendant plus ou moins franchement le financement (in)direct des lieux de culte … On navigue à vue. C’est l’impréparation plus qu’on ne sait quelle malédiction ou « trouble marmite », pour reprendre l’expression sinclairienne, qui fait de ces épisodes des chausse-trappe pour la gauche. Et ils le seront de plus en plus, à chaque nouvel incident, et à chaque fois que l’UMP ou le FN retourneront le couteau dans la plaie, si une clarification n’a pas lieu. Le PS doit donc utiliser le temps qui lui reste pour organiser une convention de travail sur la laïcité et les principes de la République – dans les textes des conventions organisées jusque là, le terme n’est apparu que deux fois (dans la synthèse sur l’égalité), avec pour seule proposition de … mettre en place le service civique. On avance par ailleurs dans le même texte l’idée d’épurer les manuels scolaires des stéréotypes racistes. Chacun conviendra que c’est un peu court. Une convention permettrait de trancher les questions ouvertes et les interrogations factuelles (y a-t-il oui ou non assez de mosquées, par exemple ?) pour couper court aux fantasmes et aux approximations, de vérifier si la loi de 1905 permet encore de répondre à toutes les situations, de réfléchir à d’éventuels accommodements, de faire le bilan catastrophique du sarkozysme sur ce point, de souligner les contradictions de Marine Le Pen, et d’envoyer un signal fort au pays. Elle pourrait aussi être l’occasion de reposer calmement la question de l’identité nationale et de définir le fameux « vivre ensemble » socialiste, en interrogeant les concepts hautement problématiques de « diversité » et de « métissage », qui ne peuvent sérieusement être considérés comme un viatique suffisant pour répondre aux interrogations d’un pays doutant de lui-même et travaillé par des tensions ethniques et culturelles qui ne disent pas leur nom (Lagrange ou Guilly ont eu récemment le mérite de poser le débat sur ces sujets). Il s’agit ni plus ni moins que de repenser un projet national donnant une place à tous les citoyens de notre pays, sans les assigner à leur identité individuelle.
Que la droite s’empare la première d’un sujet ne devrait pas le marquer comme pestiféré et décourager la gauche de s’y attaquer, mais au contraire l’inciter à ne pas abandonner des terrains entiers du débat à ses adversaires. Nous avons chèrement payé ce genre d’erreur, dans le passé, au sujet de la sécurité. Assumer un débat permet de ne pas s’en laisser dicter les thèmes : Jean-Luc Mélenchon l’a apparemment bien compris ; et le PS ? Espérons que pour une fois DSK n’écoute pas sa compagne et ne s’enferme pas dans une myopie économico-centrée funeste pour sa famille politique.
Romain Pigenel
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19 Comments
Il faut vraiment vivre dans d’autres sphères pour ne pas comprendre que la poussée de l’Islam est bien une des préoccupations des français.
Je conseillerai à ceux qui en doutent d’aller se promener à Sarcelles, Garges ou Persan.
Non seulement parce que cette poussée indéniable remet en cause notre “histoire” mais aussi parce qu’il y a crise économique. Cette crise fait émerger le besoin merdique de désigner des boucs émissaires: on a pas de travail, virons les immigrés en majorité musulman ( je caricature a peine).
Nous jouons depuis des années aux bisounours avec des politiques du “on est tous frères”, mon cul ! Sauf que si on est tous frères, nous n’avons pas les mêmes aspirations que les musulmans.
Comme toutes les religions,l’islam a pour finalité de s’étendre au maximum. Or, la population musulmane ( ou d’origine) est bien plus dynamique ( démographie) que la population traditionnelle française. D’ou le risque et une peur d’être a terme en minorité. Il y a donc bien des raisons de s’attacher à débattre de ce que nous voulons. Le tout c’est de le faire intelligemment et en dehors des clivages politiques… Autant pisser dans un violon !
Oui, il faut que la gauche sorte les doigts de son cul, au sujet de l’Islam. Depuis un ans ou deux (peut-être moins, ça fait peu de temps que j’ose), j’ai bien l’impression d’être seul, dans les blogs…
Tu sais à quel point je t’approuve Romain, je ne fais que le redire. J’ai connu un temps où DSK était prêt à prendre ces questions à bras le corps. Espérons que ce soit aussi le cas à l’avenir. Car pour filer la métaphore de ton propos, je pense qu’une locomotive économique bien huilée peut arrimer à elle plusieurs wagons sociaux et sociétaux pour l’instant tabous.
Pour le propos de Corto74, je n’ai pas de mots assez dur pour exprimer ce qu’ils m’inspirent, je m’abstiendrai donc, tout en lui conseillant de ne pas faire que se promener dans les villes qu’il cite: y rester un peu est bien plus instructif et enrichissant.
@corto74 : effectivement, les problèmes vraiment saillants relatifs à l’Islam (burqa en tête) se développent d’abord dans des ghettos à l’abri des regards, ce qui explique que la gauche “bobo” sous-estime souvent ces phénomènes. Je crois aussi que la crainte de devenir minoritaire comme tu dis est un moteur très fort pour l’islamophobie des “petits blancs” des quartiers populaires.
@Nicolas : dur d’assumer cela sans se faire traiter de raciste ou de droitier …
@Emmanuel : les mots d’Emmanuel sont durs et je ne les approuve pas sur le fond mais ils correspondent à un sentiment montant dans la population, qu’on le veuille ou non.
@Romain: ?? il doit y avoir malentendu.
En tout cas je précise: une phrase comme “si on est tous frères, nous n’avons pas les mêmes aspirations que les musulmans” ne m’inspirent rien de bon.
@emmanuel: je ne fais pas que m y promener. Persan c’est juste a coté de chez moi, garges , je connais très bien etc…
Tiens, pas plus tard que dimanche, a la recherche d’un tabac, j’échoue ds LA cité de Persan, je demande à un groupe de 3 jeunes ou il y a un tabac, on me repond, dégages t’es pas chez toi ! authentique !
mais c’est une évidence que nous n avons pas les mêmes aspirations que les musulmans, arretes de te voiler la face
Qu’ont ils de si choquants mes propos, expliques !
@Corto: je te laisse méditer et me dire toi-même si tes propos relèvent ou non de l’article L225-1 du code pénal.
Tu peux le retrouver sur le site : http://www.legifrance.gouv.fr
@emmanuel: j en viens a me demander si vous avez vraiment bien lu mon commentaire…
Par ailleurs, j’apprécies votre sollicitude à mon égard et cette menace a peine déguisée ( votre ref a l’art.Lmachin chose) ! c’est bien ce que je disais, oui pour débattre mais a condition de le faire intelligemment…
@corto74
“je demande à un groupe de 3 jeunes ou il y a un tabac, on me répond, dégages t’es pas chez toi ! authentique !”
Et donc vous en déduisez que ces 3 jeunes sont islamistes?
Êtes vous certain de ne pas faire l’amalgame malsain entre religion et apparence physique ou appartenance à une cité?
Que ces jeunes se soient montrés cons, c’est une chose, mais ça ne veut pas dire qu’ils sont musulmans.
Vous savez, allez vous pointer à Neuilly-sur-Seine avec un accoutrement “pas catholique” et vous constaterez qu’on va vous faire comprendre que vous n’êtes pas chez vous. Certes on ne va pas vous le dire brutalement. Mais qu’est-ce que ça change?
Certains citoyens français, parce qu’ils ont de telle religion, auraient le droit d’annexer des territoires et pas d’autres?
Le seul problème dans ces histoires c’est les aprioris que nous trimbalons dont les politiciens se servent pour nous driver comme des moutons!
Romain,je suis d’accord avec toi que la question est à traiter même si ce n’est pas la première préoccupation des français dans les sondages.
J’avais eu l’occasion de le mentionner dans un document à destination de TERRA NOVA concernant les enjeux 2012 au mois de juillet 2010.Je n’ai eu aucune réaction.
A titre personnel je suis inquiet de toute prégnance trop forte du religieux sur la Société et je refuse de suivre Malraux lorsqu’il dit ,en substance,que le 21éme siècle sera religieux où ne sera pas.
Je pense que nous devons fermement réaffirmer les valeurs de la laicité et parvenir avec l’islam à la même relation pacifiée que celle que nous avons avec les autres religions,notamment monothéistes.
@chez Louise: les tenues vestimentaires de ces 3 gars ne laissaient aucun doute quant à leur “musulmanité”. C’est même cela presque plus que le “dégage” qui m’a étonné: des jeunes de 25 ans a tout casser habillés avec bonets, djelabah, barbes et si insultants, etonnant, c’est tout
@R Pigenel: désolé d’avoir quelquepeu perturbé votre billet.
@Emmanuel : dans ma réponse il fallait lire “les mots de Corto”, sorry. Par ailleurs je crois que notre ami Corto a la confusion facile entre Musulman, basané, jeune …
@Claude : malheureusement, Terra Nova semble d’abord fonctionner comme une agence de communication, avec une logique d’occupation du “marché” des think tanks et de promotion de son dirigeant. Tu devrais diffuser ta note dans les réseaux militants ou essayer de la faire paraître en tribune dans la presse, ce sera cent fois plus utile.
… ou sur le site des Mercredis du Changement d’Emmanuel, justement ?
@romain: “Par ailleurs je crois que notre ami Corto a la confusion facile entre Musulman, basané, jeune …”
Je ne crois pas !
D’ailleurs, mon commentaire a Louise n’a pas paru. J’y racontai comment les 2 jeunes en question ne laissaient aucun doute quant à leur appartenance à un islam plutot radical
correction: les 3 jeunes
@Claude et Romain: ça tombe bien, Les Mercredis du Changement vont sortir de leur hibernation !
Présenter Anne Sinclair comme “de gauche” il faut oser. Elle défend surtout le colonialisme israelien, l’empire US et l’oligarchie financière. Comme DSK et Sarkozy me direz vous? Eh oui: DSK c’est le candidat qui viendra appeler à voter Sarkozy contre Le Pen en 2012 le Dimanche soir du 1er tour à 20h comme il l’a fait pour Chirac en 2002 en prenant bien soin entre temps de savonner la planche à Royal en 2007, ce qui lui a permis d’être nommé directeur du FMI par Sarkozy et Bush pour bons et loyaux services rendus à la réaction. C’est la gauche radi: rose à l’extérieur, blanc à l’intérieur.
@Corto : désolé pour le commentaire en réponse à Chez Louise, il était passé dans l’anti-spam. Je viens de l’en sortir.
@Emmanuel :
@Maurice : je ne vois pas où Anne Sinclair, dans son texte, aborde la question du “colonialisme israëlien” ou défend “l’oligarchie financière”. Ne mélangeons pas tout !
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