La semaine dernière je répondais à quelques questions de Pierre Villard, sympathique jeune blogueur qui s’intéresse à la gauche. Voici mes réponses, consultables à la source ici.
Romain Pigenel me permet d’inaugurer la section “Interviews” de ce blog qui est destinée à donner la parole à des personnes dont la positon permet d’avoir un avis critique sur des évènements de l’actualité.
En cette période électorale au Parti Socialiste où c’est la raison même du parti qui est en jeu, Romain Pigenel, proche de Julien Dray, a accepté de répondre à mes questions.
- Pour commencer, pouvez-vous vous présenter rapidement ? Quelle est votre position au sein du Parti Socialiste ?
Je suis enseignant-chercheur en philosophie à la Sorbonne, et militant socialiste depuis 2002, année où j’ai refondé avec quelques amis la section du Parti socialiste de l’Ecole Normale Supérieure. Je suis actuellement secrétaire de cette section, et depuis le congrès fédéral du weekend dernier, membre des instances fédérales du Parti socialiste parisien. En termes de positionnement interne, j’ai soutenu très tôt la candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle (dès début 2006), puis je me suis rapproché de Julien Dray, avec qui je collabore actuellement. Au congrès de Reims, je soutiens la motion E (celle portée par Gérard Collomb et Ségolène Royal).
- Jeudi dernier, c’est la motion E représentée par Vincent Peillon et associée à Ségolène Royal qui l’a emporté, qu’en pensez-vous ?
Petite rectification pour commencer : la motion E a mis en avant une équipe de direction sans prééminence particulière entre ses membres, qui comprenaient donc Ségolène Royal, mais aussi Julien Dray, Jean-Louis Bianco, Vincent Peillon, François Rebsamen, Delphine Batho ou encore Aurélie Filippetti.
Je crois que son succès mérite deux analyses : d’une part, c’est la victoire d’une ligne politique de régénération des pratiques, des cadres et de l’état d’esprit du parti socialiste, d’une ligne politique de promotion d’un nouveau système de développement économique, en rupture avec la dérégulation généralisée qui a régné ces 20, voire 30 dernières années. Mais d’autre part, force est de constater que la motion E n’a recueilli qu’une majorité relative, et que les trois autres « grandes » motions ont réalisé des scores respectables. On se trouve donc dans une situation délicate, avec un PS étiré entre quatre blocs de force relativement comparable – ce qui peut déboucher sur une paralysie du parti dans les prochains mois. C’est à éviter cela que les socialistes doivent travailler.
- Selon vous, Ségolène Royal devrait-elle se présenter comme candidate à l’élection du nouveau Premier Secrétaire ?
Eu égard à l’état actuel de fragmentation et de fragilité du parti, et à la popularité très clivante de Ségolène – on l’adore ou on la déteste – ce serait une erreur. Mettre un « présidentiable » à la tête du parti, c’est automatiquement ouvrir les suspicions des autres « présidentiables » (Martine Aubry, Bertrand Delanoë …), qui n’auront de cesse de voir dans les actions de Ségolène Royal des menaces pour eux, et qui en réaction lui mettront des bâtons dans les roues pour préserver leurs chances pour 2012. Pour éviter cette guerre de tranchée entre « éléphants », un premier secrétaire issu de la génération des quadras ou des quinquas, avec un mandat de remise en route et de reconstruction du PS, et une équipe composée de talents de toutes les motions, serait une bonne option. Je soutiens pour ma part la candidature de Julien Dray à ce poste.
- Le mandat de François Hollande s’achève, que faut-il en retenir selon vous ?
Difficile de répondre de façon tranchée : il y a eu les défaites répétées aux scrutins nationaux, mais aussi les victoires aux scrutins locaux. Ce qui est certain, c’est que François Hollande a eu à gérer à la fois la déroute de Lionel Jospin en 2002, et la succession non réglée de François Mitterrand. Il est parvenu à maintenir l’unité du parti à travers ces épreuves, avec des épisodes dont on a un peu oublié aujourd’hui la violence, tels que la quasi-scission du PS au moment du référendum européen. D’autres auraient-ils fait mieux ? Là on entre dans la politique fiction. Sans doute aurait-il dû lui-même assumer sa position de premier des socialistes jusqu’au bout, et travailler clairement à présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Faute de cela, il a laissé la guerre des chefs perdurer.
- Que pensez-vous des divergences qui s’expriment avec insistance entre les dirigeants du Parti Socialiste ?
Elles sont pour une grande part la conséquence d’une volonté de contre-distinction, à des fins de positionnement interne. Au fond, il n’y a pas de vraies divergences idéologiques, comme l’a prouvé l’accord consensuel sur notre nouvelle déclaration de principes, au printemps dernier. Mais pour donner une raison d’être à leurs courants, à leurs candidatures, les différentes dirigeants ont pris l’habitude de grossir des micro-différences, quand ils n’en créaient pas purement et simplement d’artificielles. Les explications confuses que donnent Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez de leur départ de notre parti en sont la parfaite illustration ! A contrario, que tout le monde se remette collectivement et solidairement au travail, et alors on verra bien que c’est ce que nous en avons en commun qui peut l’emporter.
- Est-ce que le poste de Premier Secrétaire ne serait-il pas un poids supplémentaire pour être présidentiable en 2012 ?
Être un bon premier secrétaire du PS est une occupation à plein temps. Ce qui ne laisse sans doute pas beaucoup de latitudes pour travailler à une campagne présidentielle personnelle.
- Le Parti Socialiste a publié beaucoup de communiqués contre le gouvernement ces derniers temps mais cela n’a malheureusement pas retenu l’attention des médias contrairement aux conflits internes au parti, qu’en pensez-vous ?
On peut en rejeter la faute sur les médias qui, il est vrai, ne font pas toujours leur travail correctement, et recherchent avant tout ce qu’il y a de vendeur, de croustillant, de scabreux pour arriver à préserver leur audience, à un moment de profonde restructuration de l’univers médiatique (journaux gratuits, TNT, Internet …). Mais il est vrai que nous donnons le bâton pour nous faire battre. Tant que nous n’aurons pas rétabli un minimum de cohésion et de solidarité au sein du PS, nous ne donnerons pas envie à la presse de nous traiter avec plus d’intelligence !
- Pensez-vous que le Parti Socialiste tienne actuellement au mieux sa position en tant que parti de l’opposition ?
Non. C’est tout l’enjeu du congrès actuel : faire en sorte que nous parlions à nouveau d’une seule voix, et qu’à chaque étape de la politique gouvernementale, nous puissions, avec toute la gauche, présenter des contre-propositions prouvant qu’une autre politique est possible.
- Si le Parti Socialiste n’arrive pas de nouveau à se ranger derrière une même personne, selon une même direction, pensez-vous que le parti y survive notamment vis-à-vis de sa crédibilité auprès de ses militants ?
Dans une telle perspective, la question de notre survie serait effectivement posée, d’autant plus qu’approchent deux scrutins pièges, dont les européennes où nous pouvons être pris en tenaille entre MoDem, Verts et NPA. Actuellement, nous sommes à un moment particulièrement dangereux de libération de toutes les ambitions individuelles : il va y avoir 6 candidats au poste de premier secrétaire de la fédération de Paris du PS, c’est du jamais vu ! Soit nous nous donnons les moyens d’un sursaut d’intelligence et de cohésion, soit nous nous exposons à de graves déconvenues.
- Des analystes politiques ont souvent jugé que pour la survie du parti, il fallait un renouvellement des dirigeants et des idées, pensez-vous que Ségolène Royal, déja ministre sous le gouvernement Bérégovoy et Jospin, peut incarner ce renouveau ?
Le renouveau n’est pas une question d’âge ni de date d’entrée dans la vie politique, mais d’idées. De ce point de vue, la motion à laquelle elle participe donne toutes les garanties ! A elle d’aller jusqu’au bout de cette logique en donnant des responsabilités élargies aux jeunes dirigeants et élus qui le méritent, tels que Malek Boutih ou Aurélie Filippetti pour parler des soutiens de la motion E.
- Pensez vous que la droite d’aujourd’hui, plus libre dans ses moeurs, ne vient pas “concurrencer” les idées sociétales de la gauche (on pense par exemple à l’abolition de la peine de mort par Giscard) ?
Absolument pas. Si tant est qu’il existe des questions « sociétales » transcendant les partis, ce qui reste à voir, il est clair que gauche et droite y apportent des réponses très différentes. Prenez le temps de travail : est-ce une avancée de civilisation que de permettre le travail le dimanche ? La droite actuellement au pouvoir vous dira que oui, parce qu’être libre c’est pouvoir consommer quand vous le voulez. A cela nous socialistes répondrons que la liberté se construit, et qu’avoir un espace bien délimité dans la semaine où l’on peut revenir à soi, réfléchir et s’abstraire des relations de travail et de consommation est nécessaire à l’émancipation individuelle.
- Du même coup, ne pensez-vous pas que l’opposition gauche-droite ne s’effectue que pour des détails, des problèmes de personne ?
La gauche a une mission historique : la transformation sociale, c’est-à-dire le combat pour la juste répartition des richesses. Jamais la droite n’a œuvré concrètement dans ce sens. Voilà la vraie distinction entre droite et gauche, une distinction qui est plus que jamais d’actualité au regard de la politique menée par Nicolas Sarkozy, politique dont le paquet fiscal – absurde et injuste – est la mesure emblématique.
- Vous risquez-vous à un pronostic sur l’issue du scrutin du jeudi 20 novembre ?
Cela n’a pas grand sens étant donné que l’on ne connaît pas encore la liste des candidats en lice. J’espère juste que la victoire ira à un candidat issu de la motion E et porté par une large majorité de socialistes, autour d’un programme de transformation sociale.
- Au sujet de l’actualité, avec la crise financière, dans quelle direction doit s’engager le Parti Socialiste selon vous ?
Dans celle d’une remise en cause claire du modèle de production et de développement néo-libéral et dérégulateur qui nous a conduit à la situation actuelle. Mais nous devons éviter la facilité démagogique des solutions de court-terme protectionnistes, que je qualifierai de néo-colbertistes, et qui essaient de nous faire croire que ce serait un progrès que de remettre des barrières (douanières notamment) entre les pays. En tant qu’internationalistes, nous ne devons pas refuser la mondialisation, mais travailler à son contrôle et à sa régulation.
- Pour conclure, un petit mot sur l’élection de Barack Obama ?
C’est une belle victoire très symbolique, de par le parcours d’Obama et la fin de la présidence Bush, qui aura été calamiteuse à tous égards pour le monde entier. Attention cependant à ne pas en faire une sorte de symbole facile et consensuel de la modernité branchée : on peut tiquer quand on voit l’UMP tenter de se le réapproprier … Attendons de juger sur ses actes !
Merci à Romain Pigenel pour ses réponses ! Le sujet est donc à suivre de près tout au moins jusqu’au vote du jeudi 20 novembre.
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