Peut-on décapiter la direction d’une collectivité territoriale, élue avec une large avance sur ses adversaires politiques, à partir de l’interprétation d’une campagne de communication institutionnelle ? C’est la question qui est posée par les derniers développements d’un recours examiné par le Conseil d’État sur la réélection de Jean-Paul Huchon à la tête de la région Ile-de-France par un responsable des jeunes UMP et de l’ex-UNI. En septembre 2009, la région renouvelle une campagne d’information sur le développement des transports franciliens. Sous le slogan « La région fait grandir vos transports », elle présente de façon factuelle les nouveaux services et nouvelles lignes déjà mis en place, ou en passe de l’être. On jugera sur pièce : il est question de la région comme collectivité, sur le ton sobre et légèrement impersonnel propre à ce type de communication institutionnelle. Bien évidemment, pas de référence au président qui s’apprête à remettre son mandat en jeu, ni même à la majorité politique qu’il représente.
Ici survient le code électoral. « A partir du premier jour du sixième mois précédant le mois auquel aura lieu l’élection, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin. ». Ce qui, en l’occurrence, est lu et appliqué par le rapporteur du conseil d’État de la façon suivante, à l’opposé de ce qu’avait préalablement tranché la commission des comptes de campagne : « Cette opération ne peut être regardée comme neutre dans le contexte de l’élection », car la campagne des régionales s’est « concentrée sur la question des transports ». L’opération de communication dont il est ici question serait donc une publicité discrète pour les sortants, la mention « Région Ile de France » pointant implicitement vers eux. Cette interprétation engage plusieurs réflexions ; quant à la distinction entre communication informationnelle et propagande, quant à l’effectivité de la propagande, et quant à la réglementation qu’il faut imposer à celle-ci.
Sur la distinction entre information et propagande d’abord. On peut me semble-t-il distinguer entre plusieurs cas de figure. D’un côté, les campagnes relevant strictement de l’information d’intérêt public, notamment de mise en garde ou de promotion de bonnes pratiques dans le domaine de la santé. Elles ne désignent pas spécifiquement des mesures ou des programmes initiés par le gouvernement. A l’autre extrême, on trouve les campagnes électorales au plan strict, et affirmées comme telles. Entre les deux s’étend la zone grise de la communication sur les initiatives et réalisations gouvernementales, couvrant un large spectre, de l’information factuelle – catégorie dans laquelle semble se ranger la campagne francilienne sur les transports – à des présentations beaucoup plus construites voire biaisées, comme la campagne nationale sur le pouvoir d’achat lancée par Fillon et Sarkozy en 2008. Dans cette opération, on mettait en avant un concept orienté – le pouvoir d’achat – qui faisait directement écho à la campagne de Sarkozy en 2007 (« travailler plus pour gagner plus », la valorisation du consumérisme, etc.), et on dépassait donc la stricte démonstration du respect des engagements électoraux, pour aller sur le terrain du martèlement d’un slogan et d’un montage idéologique. Dans cette catégorie aussi peut être rangée la récente campagne sur le plan gouvernemental de « sauvetage » des retraites, sur fond de dramatisation (« nous devons sauver nos retraites ») et d’informations floues (« le gouvernement proposera des solutions », « les règles changeront au fur et à mesure et non pas du jour au lendemain », « un effort supplémentaire sera demandé aux hauts revenus »), voire de promesses n’engageant que ceux qui y croient (« ne pas baisser les retraites […] demain »). Il est évident, dans ce cas, que le but n’est pas tant de délivrer une information précise sur le cœur de la réforme réelle, que de calmer des inquiétudes et le mécontentement perçus dans le pays.
Chacun jugera de la différence entre ces dernières opérations et celle que l’on accuse, aujourd’hui, d’être de l’ordre de la publicité électorale déguisée. On pourra toujours nous rétorquer que celles-ci échappent mécaniquement à la sanction, du fait de leur antériorité à la plage temporelle durant laquelle la loi interdit les communications institutionnelles litigieuses. Mais justement, ce délai a-t-il réellement un sens ? Sans doute une campagne publicitaire bien menée à proximité d’une élection peut-elle permettre de décrocher des voix ; mais il serait absurde de nier l’effet de campagnes menées hors périodes électorales, et servant néanmoins à relancer régulièrement la propagande en faveur du gouvernement, et donc à travailler l’opinion sur le long terme. Les deux exemples cités ci-dessus sont frappants : ils servent explicitement, l’un à se faire pardonner des déçus de 2007, l’autre à gagner une bataille d’opinion largement considérée comme le premier round de 2012. Ne sont-ils pas beaucoup plus questionnants du point de vue du fonctionnement de notre République et de l’usage des deniers publics ?
Surtout que l’on peut s’interroger sur les gains électoraux qui auraient été indûment tirés de la communication régionale de novembre dernier. On sait l’écart de voix avec lequel a été élu Jean-Paul Huchon ; la question des transports, quant à elle, a été largement posée pendant toute la campagne, et le ras-le-bol des usagers suffisamment mis et remis sur la table pour que l’on ne puisse pas dire que le débat ait été étouffé. Plus encore, autant on peut comprendre combien une information biaisée sur les retraites, par exemple, peut tromper le grand nombre de Français qui touchent déjà une pension (et ne sont pas concernés directement par la réforme), ou ceux qui (trop jeunes) ne sont pas encore prêts d’y songer, autant les transports concernent directement le ressenti quotidien de la population. Pense-t-on sincèrement que des affiches pourraient suffire à « retourner » des électeurs/usagers mécontents, et subissant chaque jour les causes de ce mécontentement ? Alors qu’en même temps, et sous couvert de réflexion sur le Grand Paris, l’Élysée intervient, jusque tard dans la campagne, en offensive sur la même question ?
La question de la limite entre information légitime sur les politiques menées, et propagande partisane éclairant de façon favorable la réalité, mérite d’être posée, mais autrement que sur le ré-arbitrage sur tapis vert d’une élection gagnée sans contestation.
Romain Pigenel
4 Comments
Oui c’est franchement une fumisterie de droite.
Quand tu vois par ailleurs ce que Dumas a révélé sur la validation des comptes de campagne de Balladur, sans émouvoir grand monde d’ailleurs … http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/politique/20101125.OBS3615/comptes-de-balladur-dumas-veut-que-les-debats-des-sages-soient-publics.html
Oui c’est ça le pire, c’est que c’est validé par le parti socialiste! Comme pour l’affaire Chirac et Delanoë.
A quels seins…euh quel saint se vouer?^^
Pas un pour redresser l’autre ! Tous pourris.
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[Variae] Information régionale, propagande gouvernementale : la paille et la poutre ? http://tinyurl.com/2bkqvdc
@jphuchon vs. Conseil d'État / Information régionale, propagande gouvernementale : la paille et la poutre ? http://bit.ly/fHp45H #idf
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Très bon billet de @Romain_Pigenel http://ow.ly/3nORs la paille et la poutre… .toujours d'actualité.
“@intox2007: Très bon billet de @Romain_Pigenel http://ow.ly/3nORs la paille et la poutre… .toujours d'actualité.”
RT @intox2007: Très bon billet de @Romain_Pigenel http://ow.ly/3nORs la paille et la poutre… .toujours d'actualité.
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