Lundi, un cataclysme a ébranlé la sondosphère, et personne ne s’en est rendu compte. Un cataclysme qui justifie à lui tout seul, a posteriori, la création d’un ministère de l’identité nationale, et toutes les initiatives passées, présentes et à venir de son occupant. Pensez donc : un sondage TNS – Sofres pour le magazine La Croix a révélé que seulement … 38 % des Français se considèrent avant tout comme Français quand on leur demande de définir leur identité. Selon le théorème fondateur de la pensée présidentielle, ne pas aimer la France constitue une raison suffisante pour ne pas y rester. Et nous apprenons maintenant, grâce à cette dangereuse et subversive publication, que 6 Français sur 10 n’éprouvent même pas de l’aversion, mais simplement de l’indifférence, pour le fait d’être français !
On ne saurait trop conseiller à « Monsieur Besson » que de réfléchir immédiatement à un traitement de choc pour ces mécréants (camps de rééducation, cycle de conférences de Max Gallo au Stade de France ?). Et à l’ensemble de la classe politique de prendre la mesure de ce que cela implique pour le débat sur l’identité nationale.
Car fondamentalement, et malgré les cris d’orfraies des uns et des autres, on a le sentiment d’un accord général sur cette question, ou plus exactement sur son importance. Eric Besson et Nicolas Sarkozy ont lancé ce débat au nom de son urgence ; la gauche, quant à elle, le rejette comme une monstruosité, une manipulation électoraliste, ce qui sous-entend qu’elle s’y oppose idéologiquement, mais qu’elle le soupçonne de toucher du doigt un vrai sujet. Car si un tel débat ne concernait pas du tout les Français, il n’aurait aucune efficace ; pourquoi, dès lors, dénoncer une manipulation capable de réellement faire diversion ? On a le sentiment, au fond, d’une droite très mobilisée sur ce sujet parce que historiquement et idéologiquement nationaliste (fut-ce dans un sens faible, franchouillard et conservateur), et d’une gauche quelque peu honteuse, qui n’a jamais assumé les accusations de la droite sur son supposé manque de patriotisme. Et qui pour tout dire a peur de la question nationale, parce qu’elle la croit très prégnante chez les Français, notamment dans la partie populaire de l’électorat.
Autre point commun, la psychologisation du débat. Tout revient au bout du compte à l’idée que l’identité nationale est organiquement liée au sentiment d’appartenance à la communauté nationale, et à l’affection pour celle-ci. Je rappelais plus haut le « tu l’aimes, ou tu la quittes » de Nicolas Sarkozy. Mais que penser de Martine Aubry qui met en avant sa fierté – « je suis fière d’être basque et française » – dès qu’elle prend la parole sur ce sujet ? Être Français, c’est une question de droit, pas de fierté ou de revendication. On peut très bien détester la France, ou en avoir honte, et être ou devenir Français, tant que l’on remplit les obligations légales afférentes ; preuve en est qu’on ne vérifie jamais chez les « Français de souche » leur amour ou désamour de la patrie pour les déchoir, le cas échéant, de la nationalité française !
Beaucoup sont sur ce point intoxiqués par le texte faussement consensuel, et véritablement problématique, d’Ernest Renan qui est censé donner le « la » sur la conception républicaine et éclairée de la Nation. Il l’explicite comme « le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune », ou encore comme un « plébiscite » de tous les jours. C’est au mieux une métaphore, au pire une fausse banalité qui ne veut pas dire grand-chose, quand on y réfléchit bien. Jamais on ne demande aux Français s’ils ont réellement envie de continuer à vivre ensemble, sauf lors d’événements exceptionnels type référendum sur l’autonomie d’une région ; ils sont là de façon contingente, parce qu’ils sont nés en France pour la plupart, d’autres parce qu’ils ont fait le choix d’y venir pour des raisons qui leur appartiennent. Si on peut imaginer, comme dans le cas de la Belgique, des situations de tension démontrant clairement que plusieurs parties de la population nationale ne veulent plus vivre ensemble, on a du mal à concevoir un pays dont les habitants exprimeraient « clairement » leur désir de vivre ensemble. La règle – tacitement – observée est donc plutôt celle du « qui ne dit mot consent ». Il paraît en conséquence tout à fait farfelu de faire reposer l’identité et l’unité nationales sur une volonté ou un désir positifs et explicites de vivre ensemble, comme on le répète pourtant benoitement dans les cours d’instruction civique, et comme, n’en doutons pas, nombre de républicains de bonne volonté le proclameront à leur tour dans les débats Besson. Le sondage de La Croix vient confirmer brutalement le caractère inopérant et inadapté d’une telle définition de la nation, si on en doutait encore. Et il révèle même une surprenante conscience de classe (je n’ose dire conscience marxiste) chez les Français, qui placent au premier rang de ce qui rapproche le plus les gens « le milieu social » (41%, contre seulement … 10% pour la nationalité).
Bien entendu, cette photographie à un instant donné de l’opinion ne veut pas dire que les Françaises et les Français resteront toujours aussi peu sensibles à la question nationale. Un savant bourrage de crâne peut faire émerger cette problématique comme centrale dans les esprits, et c’est même sans aucun doute le but de cette organisation préfectorale, par Eric Besson, d’un débat national, destiné à labourer le terrain. De même, des épisodes particuliers peuvent susciter une flambée brusque de sentiment national, sous la figure du chauvinisme (victoire sportive notamment). Mais le reste du temps, il faut bien croire que nos compatriotes n’ont pas particulièrement envie de chanter la Marseillaise, ou de s’émerveiller devant le bric-à-brac patriotique qu’entend nous vendre Sarkozy, entre Saint-Louis rendant la justice sous son chêne et Guy Mocquet écrivant sa lettre.
Et si une gauche (ou un camp progressiste) unifiée utilisait sa puissance de feu médiatique et militante pour imposer son propre agenda politique, plus proche des préoccupations réelles des Françaises et des Français ? Comme elle a su le faire (trop) ponctuellement pour La Poste ?
Romain Pigenel
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Bien vu Romain…
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