Ça m’est tombé dessus comme ça, alors que je n’avais rien demandé. « Ah, il est absent cette semaine, il est parti à Fukushima », me dit-on il y a quelques jours d’un collègue militant écologiste. Enfin, « me dit-on », le mot est faible. Je devrais peut-être plutôt dire : me glisse-t-on avec gravité et avec une lueur respectueuse dans les yeux. Donc ça y est, dans le bagage standard de l’activiste vert, il va falloir remplacer le camping dans le Larzac par la douche aux UV hardcore, l’immersion au sens fort du terme en terrain irradié ? Une investigation sociologique plus serrée le confirmera (ou non). Mais en attendant, la tendance fait recette puisque Eva Joly, bergère en chef d’EELV, rentre justement de la ville japonaise sinistrée, pleine d’usage et raison, et en tout cas, de conseils pour François Hollande. « Lorsqu’on a vu ce que j’ai vu à Fukushima, on ne peut pas ne pas comprendre qu’il faut sortir du nucléaire (…) J’inviterai François Hollande à venir avec moi voir les paysages si splendides de cette région, les terres agricoles impropres à l’usage humain pour les 30 ans à venir. C’est insupportable ! »
On sent bien, à la lecture de ces quelques mots, que l’on assiste à l’émergence d’un concept majeur, après lequel plus rien ne sera pareil. Il faut bien lui donner un nom ; je le baptise, en mon âme et conscience, le point Fukushima, défini de la façon suivante :
Premièrement. J’appelle point Fukushima, le seuil de dégradation d’une conversation atteint lors de l’utilisation du terme Fukushima (ainsi que de tout produit dérivé : photo, hashtag, mug …) pour atomiser, pardon, terrasser son adversaire.
Deuxièmement. Le point Fukushima peut ressembler au point Godwin (usage, fonction, effet sur la qualité du débat), mais il n’est pas le point Godwin. Une personne peut à la rigueur atteindre le point Godwin et le point Fukushima en une seule phrase, mais les exemples attestés sont rares et le demeureront sans doute (hypothèse d’école : « Ceux qui refusent de tirer les conclusions de Fukushima refusaient aussi de comprendre ce qui allait se passer en 39 »).
Troisièmement. Quand le point Fukushima est atteint (effet des radiations ?), les arguments rationnels cessent de fonctionner et les affects prennent le dessus. Celui qui dit « insupportable ! » le plus fort a gagné.
Quatrièmement. Celui qui atteint le point Fukushima divise le monde en deux : les lobbyistes-pro-nucléaires-aveugles-à-l’apocalypse-qui-s’annonce-et-les-idiots-utiles-qui-servent-leurs-intérêts, et les gentils écologistes. Corollaire : toute personne esquissant prudemment la question du comment sortir du nucléaire, à la place du pour/contre le nucléaire, est immédiatement suspectée, jugée et condamnée comme membre des lobbyistes-pro-nucléaires-aveugles-à-l’apocalypse-qui-s’annonce-et-des-idiots-utiles-qui-servent-leurs-intérêts. Toute résistance sera vaine.
Cinquièmement. Celui ou celle qui atteint le point Fukushima gagne le droit d’abolir l’espace et le temps. C’est automatique. Fukushima c’est arrivé ici, c’est arrivé là, ça peut arriver près de chez toi. Sur votre tête d’(irra)diable pèse tout le risque d’une explosion de centrale nucléaire. Vous qui vivez/travaillez/partez en vacances/passez une fois par an/avez une arrière-grande tante qui vit/êtes né à côté d’une centrale nucléaire, que diriez-vous si elle finissait comme à Fukushima, hein ? Corollaire : toute tentative d’argumenter sur des différences technologiques entre centrales japonaises et françaises permet de vous identifier comme un sbire des lobbyistes-pro-nucléaires-aveugles-à-l’apocalypse-qui-s’annonce-et-des-idiots-utiles-qui-servent-leurs-intérêts.
Sixièmement. Le connaisseur averti distinguera le point Fukushima simple du point Fukushima premium. Le point Fukushima premium est atteint lorsque l’on peut se prévaloir d’être allé à Fukushima et que l’on demande à son contradicteur, la voix lourde de reproche, s’il est allé lui-même à Fukushima. Certains initiés parlent également d’un point Fukushima épique, ou epic Fukushima point, qui ne serait accordé que dans le cas très particulier où l’on peut se prévaloir d’être allé à Fukushima ET où l’on propose d’y retourner à son contradicteur, en l’emmenant cette fois-ci, pour qu’il comprenne combien « c’est insupportable ».
Septièmement. Nul ne peut se prévaloir de connaître et de maîtriser tous les aspects du point Fukushima. Son usage va probablement proliférer dans les prochains mois, en proportion inverse du nombre de jours restant avant le premier tour de l’élection présidentielle.
En attendant, j’ai l’honneur et le plaisir de remettre à Eva Joly :
UN POINT
FUKUSHIMA
Qu’elle en fasse bon usage.
Romain Pigenel
S’il vous reste quelques minutes avant l’apocalypse, jetez un coup d’œil aux autres mots de la politique.
A lire aussi :
- Agence d’idées (5) : expliquer l’intrusion dans les centrales nucléaires
- Enola pas très gai
- Prix du ticket de métro et nombre de sous-marins – faut-il s’appeler Julien Lepers pour faire du journalisme politique ?
- Les interviews de Variae (2) : Madame la Campagne de Nicolas Sarkozy
- Les mots de la politique (25) : Hollande, les super-riches et le « point Dujardin »
18 Comments
N’oublions pas la négociation sur l’année idéale de sortie du nucléaire. 2037 me semble correct. Mais je ne vais gagner aucun point avec ça.
Gagnons les élections d’abord (avec les écolos, naturellement!)
Et, on aura tout le temps de voir le point “Hello Kitty”…
Pareil que Nicolas, 2037.
Mouais, en attendant prions que nous ne connaissions pas le même sort, que d’avoir en France une terre irradiée pour trente ans…
Bravo Romain!…Avant tout
Savoir garder raison et ne pas jeter le bebe avec l’eau du bain!…jyt.
@Nicolas : et pourquoi pas 2036 ? Tu veux gagner du temps, c’est ça hein ? Nucléocrate.
@Bembelly : voilà, “tous ensemble”.
@Stef : je crois qu’on est tout d’accord là-dessus. Comme pour dire que le nucléaire, c’est pas la panacée. Alors que nos amis EELV arrêtent de nous faire passer pour des fans de l’atome, quand eux seraient les seuls à vouloir s’en détacher …
@JYT : oui.
Bon, ce billet est de bonne guerre. Tu tournes ça en ridicule, c’est aussi une façon de nier la trouille. Ce qui est plus qu’étonnant et interpellant, c’est l’effet que la catastrophe japonaise a produit chez des scientifiques spécialistes du nucléaire, des chevronnés et des partisans de l’atome qui ont compris à l’occasion de Fukushima que ce n’était pas maîtrisable… Et pour te faire plaisir,un lien avec le blog de Baupin qui a accompagné Eva et j’ose croire qu’aller sur place remue férocement. A part ça, rien ne nous empêche de plaider pour la sortie du nucléaire dans nos partis respectifs. Perso, j’en ai pas besoin, ils veulent tous en sortir. Je ne crois pas que EELV ait tort d’insister sur ce point . Au delà du catastrophisme ou de la crainte de l’apocalypse, c’est aussi une question de bon sens. Pourquoi continuer à jouer avec une énergie dangereuse alors que d’autres plus douces, inextinguibles et inoffensives sont à notre portée. Et ce bon sens, me semble-t-il est à la portée d’un candidat normal, sans qu’on lui fasse la leçon ou qu’on lui pose un ultimatum . Sortir du nucléaire, c’est une question de bon sens.
http://www.denisbaupin.fr//blog-note/journee-la-plus-importante-du-voyage-celle-a-fukushima/
C’est vrai qu’une discussion sur le nucléaire finit toujours par une baston.
Etrange.
Selon le degrés de lecture de ce billet, il va de
“tu es pour le nucléaire ?”
à
“c’est très amusant”
en passant par
“on est sur le fond tous assez d’accord!”
Il est probable que ce M. Pigenel, que je ne connais pas, ait atteint, de la connerie, le point de non-retour.
Petit proposition de rectification : selon la règle sixième, il faudrait accorder un epic Fukushima point à Eva… Selon la lettre de la règle, elle le mérite.
Je dois être un fou et un salaud:Je suis pour le nucléaire (La France n’est pas le Japon sismisque et je préfère ça à la houille allemande. Oui à une sortie progressive c’est à dire qu’il faut accentuer la recherche pour de nouvelles énergies. Mais NON aux éoliennes!
Un discours intelligent sur le nucléaire, ça ressemble à ça : http://fb.me/11c1KByeh
mais l’argument qui assimile une assertion au point godwin n’est-il pas lui-même une astuce rhétorique assimilable au point godwin ? la mise en abîme du débat…c’est beau la politique. p.s.: le problème du nucléaire est moins celui des incidents que celui des déchets.
Bonjour,
J’aime bien l’humour des gens qui habitent loin des centrales nucléaires…
En Provence, nous avons 3 centrales sur une zone de failles actives (remontée de la plaque africaine vers la plaque eurasienne). Dernier tremblement de terre début du 20e siècle.
En plus du problème des failles et des déchets, se pose (partout) celui des travaux d’entretien faits par une cascade de sous-traitants selon la méthode “du moins disant”, si vous voyez ce que je veux dire..
ERDF est en train d’installer des parcs photovoltaïques dans plusieurs endroits. C’est vrai, personne ne s’était aperçu qu’il y avait un fort taux d’ensoleillement en Provence propice au photo voltaïque, c’est un scoop, çà vient de sortir!
Je n’ai pas d’idées très arrêtées sur ce qu’on doit faire ou non après Fukushima, mais je ne vois vraiment ce que cet article apporte au débat, et son ton sarcastique est de très mauvais goût…
Je m’auto-accorde un point Fukushima (ni premium, ni epic : tout simple).
Je trouve phénoménal le déni du risque qui s’est répandu dans l’opinion française. Et le coup de la “différence technologique”, on ne me l’avait pas encore fait.
Quand la fréquence des accidents graves (avec fusion du coeur) s’avère 20 fois plus élevée, au niveau mondial, que ce que les nucléaristes avaient vendu, ça serait bien que le point Fukushima se généralise.
“On n’avance à grands pas que lorsqu’il y a des pépins. C’est triste à dire, mais c’est ainsi”, disait le DG de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) — http://tinyurl.com/5srzd7t . Mais encore faut-il qu’on prenne le pépin en compte, et non se contenter de l’attribuer à des particularités nippones, comme Tchernobyl à des particularités soviétiques ou Three Miles Island à des particularités américaines.
Pour l’anecdote, notre fameux EPR de-3ème-génération-de-l’avenir est d’une technologie absolument similaire à tout le parc construit dans les années 80… mais en deux fois plus gros, ce qui pose plein de problèmes. Pour faire croire au changement de génération, on a juste changé l’ordre des lettres : le REP, ce qui signifiait Réacteur à Eau Pressurisée dans l’ordre, est devenu EPR, ce qui signifie… euh… rien de sensé dans l’ordre, mais Réacteur à Eau Pressurisée dans le désordre…
Il y a longtemps que la question de la sortie du nucléaire est posée, en France précisément. Qui se souvient du 27 décembre 1999 ? Ce jour-là, la centrale du Blayais, à 60 kilomètres de Bordeaux, a été à un cheveu d’un scénario identique à sa cousine japonaise. Qui a lancé le cri d’alerte ? Bien peu de voix se sont élevées, à une période où Internet était encore relativement balbutiant en France, et où de toute façon il n’avait aucun impact sur l’immense majorité de nos concitoyens.
Le CO² pollue, le nucléaire tue.
Je me permets de reprendre et commenter vos points:
Premièrement: L’utilisation du mot/terme “Fukushima” ne sert en rien à terrasser son adversaire. Le silence médiatique est tel que la plupart des gens ne sait pas à quel point la situation est préoccupante s’il ne se renseigne pas spécifiquement.
Deuxièmement: Comme certains s’écoutent parler, vous vous regardez certainement écrire. Pour les gens pragmatiques, Fukushima montre une fois de plus, qu’un accident nucléaire peut échapper à tout contrôle, que la fréquence de survenue d’accident majeur est plus importante qu’on l’imaginait. Le faible coût de l’électricité nucléaire est déjà une tromperie aujourd’hui alors je vous laisse imaginer ce qu’il en serait si l’on devait améliorer la sécurité.
Troisièmement: Nous n’avons pas la même expérience. Je lis des propos bien plus mesurés et rationnels chez ceux qui veulent sortir du nucléaire que ceux qui veulent y rester.
Quatrièmement: Vision simpliste et manichéenne qui ne correspond à rien si ce ne sont vos fantasmes. Le lobby pro nucléaire existe bel et bien. Ne leur faites pas l’insulte d’être aveugles. Il existe également des personnes convaincues en toute bonne foi. Une espèce de conviction scientifico/cartésienne où l’atome serait indissociable du progrès de l’espèce humaine.
Les anti-nucléaires ne sont pas des hippies fumeurs de joints (enfin rien ne l’interdit, bien sûr, si ce n’est la législation en la matière).
Et entre les deux, il y aurait “VOUS” qui esquissez prudemment la question du “comment sortir du nucléaire?”… Si vous ne le savez pas encore, c’est que vous ne voulez pas le savoir. La documentation et les scénarios existent et sont accessibles. Et sachez qu’il n’est pas nécessaire d’être “Activiste écologique” pour être contre le nucléaire: le bon sens est suffisant.
Cinquièmement: Je serais curieux de connaître vos arguments sur les différences entre centrales japonaises et françaises qui pourraient faire imaginer que le risque serait moins important en France. De nombreuses centrales Françaises sont bien moins sûres que les centrales de Fukushima. En même temps nous avons effectivement moins de risque d’avoir un tsunami. Cela dit, si l’on combine le vieillissement des centrales, l’occurrence toujours plus importante d’événements climatiques à caractère exceptionnel et la logique économique de la sous-traitance, il n’y a certainement pas matière à fanfaronner sur la sécurité.
Sixièmement: Mouais… considérant qu’aller à Fukushima n’est certainement pas une démarche très répandue, ce point n’est qu’une attaque directe d’Eva Joly.
Si son voyage a été l’occasion de bâtir un dossier, de collecter des informations qu’il aurait été difficile d’obtenir autrement etc… Alors très bien. S’il s’agit simplement de l’émotionnel à bon compte, ce n’est effectivement pas nécessairement des plus intéressants mais en même temps, il semble que ce type d’exercice soit une figure imposée à tous les candidats… sous peine de désintérêt général …
Septièmement: Si vous entendez que cela sera l’occasion de rappeler que fukushima n’est pas un problème réglé (très loin de là) comme pourrait le laisser imaginer le silence quasi-total des médias, qui pourrait s’en plaindre à part vous? N’est-ce pas une bonne chose de montrer les conséquences possibles d’une catastrophe nucléaire? Que vous ou d’autres veuillent éventuellement défendre le nucléaire en jugeant le rapport risques/bénéfices, c’est leur droit. Mais masquer la réalité de la situation, n’est certainement pas défendable par quelqu’un de “rationnel”, n’est-ce pas?
Conclusion:
Votre article ressemble plus à un soutien à l’indécision de votre poulain qu’à un soutien crédible au bon sens et au débat rationnel sur le sujet.
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[...] la parole ? C’est qu’il le méprise. Il ne place pas les problématiques du petit au centre de son projet ? C’est qu’il n’a aucun égard pour les électeurs de celui-ci. Il [...]
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