Le boycott est décidément dans l’air du temps. Après les polémiques et arguties autour de celui des produits israéliens, c’est désormais l’année du Mexique qui est dans le viseur, pour punir la justice et le gouvernement mexicains de ne pas transiger sur le sort de Florence Cassez. Les parents de la jeune femme, comme MAM et Martine Aubry, ont défendu depuis quelques jours cette option pour répliquer à la décision de la Cour de cassation mexicaine. La principale intéressée, depuis sa geôle, a exprimé le souhait contraire, demandant qu’on utilise les festivités pour parler de son cas : elle a entièrement raison.
Je laisse de côté le fond de l’affaire, qui n’est à la vérité pas aisé à décrypter depuis la France. Tout le monde peut être d’accord sur le caractère inhumain et probablement exagéré d’une peine de 60 ans pour une culpabilité douteuse ; on sait gré au Ministère des Affaires étrangères de défendre, en outre, une compatriote dans la difficulté. Je remarque pour le reste que c’est l’indignation bien plus que la raison qui inspire les commentaires et les réactions ; on parle assez peu de la justice mexicaine, que l’on dit corrompue, et des raisons liées au contexte local qui pourraient expliquer sa sévérité (manipulation ou non ?), pas plus que l’on ne s’interroge sur la situation diplomatique voyant un pays faire pression sur la justice d’un autre pour protéger quelqu’un de coupable aux yeux de celle-ci. Florence Cassez (et c’est tant mieux pour elle) est rapidement devenue un objet émotionnel et médiatique, ce fin visage échevelé entraperçu derrière des barreaux, coupable d’avoir été amoureuse d’un voyou, perdue dans un lointain pays, aux mains des descendants du Sergent Garcia. Réminiscence de la captivité d’Ingrid Betancourt ? Sauf qu’ici l’identification joue à plein : Florence Cassez, c’est chacun de nous, c’est le séjour exotique à l’étranger qui tourne à Midnight Express. Gageons qu’elle deviendra aussi un des grands sujets humains/humanitaires de la présidentielle, si elle n’est pas libérée d’ici là : je suggère à ses parents, selon la coutume, d’écrire à tous les candidat(e)s pour leur demander ce qu’ils s’engagent à faire pour leur fille une fois élu(e). La boucle sera ainsi bouclée.
En attendant, c’est l’année du Mexique qui est en jeu. Ses organisateurs peuvent dans un premier temps remercier la polémique : sans elle, un très grand nombre de Français auraient sans doute fait couler le champagne le 31 décembre prochain sans se douter que l’année du Mexique serait en train de vivre ses dernières secondes. Son programme est sans surprise : des expositions spéciales, des rencontres, probablement une venue accrue de ressortissants Mexicains, intellectuels, artistes, tout au long de l’année. Si on laisse de côté la question de savoir si un appel au boycott de ces festivités est juste et proportionné, celui-ci serait-il au moins efficace ?
Il y a boycott et boycott. Le boycott pour la forme, qui a valeur de symbole d’indignation ; et le boycott qui fragilise réellement sa victime et influe donc sur sa conduite. En l’occurrence, on parle de boycotter non le Mexique, sa production économique, mais l’année du Mexique en France, ce qui est tout de même fort différent. Que l’on organise le refus d’utiliser le ciment Cemex ou de consommer la bière Corona aurait peut-être un impact économique s’il s’avère que la France en est un client important. Même dans ce cas, j’ai cependant quelques doutes sur les effets réels de cet impact : que des ouvriers mexicains soient mis au chômage technique ferait-il avancer la cause de Florence Cassez ? Mais on n’en est même pas là : ce qui est proposé avec forces gesticulations, c’est soit l’annulation des festivités en France, soit des mesures encore plus symboliques, comme l’évitement de celles-ci par les élus et divers officiels.
Disons-le franchement, ce serait inutile, voire contre-productif. Les seules victimes d’une telle annulation seraient les quelques Mexicains dont la venue était programmée, les publics qui auraient pu assister aux manifestations, les institutions françaises associées, et peut-être le Ministère du Tourisme mexicain, encore que je doute que les années officielles de tel ou tel pays aient un tel impact que leur annulation dissuade des millions de touristes potentiels. La décision ferait du bruit … en France principalement. Elle n’exercerait aucune pression gênante sur le Mexique et ne ferait que tendre les relations entre les deux pays.
Une comparaison me vient à l’esprit avec l’éternel dilemme des grèves lycéennes et étudiantes : faut-il bloquer les lycées ou universités occupés, c’est à dire condamner leur accès ? Les durs, les matadors répondent toujours oui. L’expérience prouve pourtant immanquablement le caractère aussi inefficace que nocif du blocage : il vide les établissements de grévistes et manifestants potentiels, braque les modérés, et empêche le mouvement de se développer. C’est une logique de repli malthusien, pas de montée en puissance. La situation est exactement la même pour Florence Cassez. Bloquer, ou plutôt annuler l’année du Mexique, c’est se priver d’un vecteur de communication, agacer les Mexicains concernés (et aucunement mêlés à l’affaire judiciaire), et condamner le sujet même du Mexique (et donc de Cassez) à l’étouffement médiatique. Il en sera tout autrement si on utilise les festivités et événements prévus pour parler du cas Cassez, et témoigner aux Mexicains venant en France de la mobilisation de l’opinion nationale autour d’elle. Plutôt que fermer le site web officiel de l’année, y ajouter un portrait (avec décompte des jours de réclusion, ne lésinons pas sur le bettancourisme) de la détenue française. Entamer chaque rencontre par un rappel de son sort. Essayer d’amorcer un courant de sympathie dans l’opinion mexicaine. Associer et faire grandir, plutôt que couper et éteindre.
Je plains la prisonnière et ses parents : la présidentielle approchant, les moulinets et les tentatives de récupération de son cas vont devenir légion. Raison de plus pour espérer une amélioration rapide de sa situation.
Romain Pigenel
2 Comments
Moi ce qui me dérange c’est la totale, je dis bien totale incompétence juridique de nos dirigeants.
En effet les connaisseurs du droit international et même quelques journalistes compétents (si, si ça existe) savent que le Mexique comme la France sont signataires et ont ratifié une convention sur les prisonniers étrangers. En somme d’après cette convention tout prisonnier condamné dans un pays peut demander à purger sa peine dans son pays d’origine.
Le plus étonnant dans cette affaire c’est que depuis le début ont a claironné avec l’idée de la manière forte et du dire plutôt que d’essayer de faire appliquer cette convention tout simplement et de jouer avec l’appui de la communauté internationale l’idée que la France elle respecte ses engagements contrairement au Mexique.
Non au lieu de cela le Président et sa cohorte ont pensé que l’on pouvait appliquer la même idée que durant l’affaire de l’Arche de Zoé. Déjà que cette affaire était une summum de la françafrique en imposant directement au président du Tchad d’obéir au nôtre, le Tchad n’est pas le Mexique.
Que l’on considère que cette condamnation soit inique ou non, que l’on pense que l’on doive défendre une ressortissante française ou non je change strictement rien. Au lieu de jouer le matamore et se refaire une santé médiatique sur le dos de la dite ressortissante on aurait mieux fait de faire jouer le droit ça aurait plus efficace surement et moins criminel et idiot.
Apparemment la convention ne s’applique pas dans ce cas, parce que la peine de 60 ans mexicaine n’a pas d’équivalent en France, et le transfèrement de Cassez serait donc équivalent à une remise de peine, de leur point de vue.
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