Il y a des semaines avec et des semaines sans. La gauche, par l’entremise de ses deux principales formations, le PS et Europe Ecologie – Les Verts, vient incontestablement de passer quelques sales jours, même si je pense que les bénéfices à long terme peuvent largement en compenser les désagréments immédiats. Pour décrire ces mésaventures, j’ai souvent vu les mêmes mots revenir : « vieille politique ». Précisant cette lassitude, @isaway et Marc Vasseur publient sur leurs blogs respectifs un bilan critique de leur engagement au PS puis à EELV, qui sonne comme un réquisitoire contre la politique en parti.
Il n’est jamais agréable, quand on est soi-même un militant politique, de voir des camarades prendre le chemin de la sortie, surtout quand on connaît la difficulté à prendre la voie inverse. J’aurais envie de leur répondre que les incidents que nous venons de traverser relèvent des vicissitudes ordinaires de la vie partidaire, et que leur impact négatif est aussi une sorte d’hommage du vice à la vertu, de déception par contraste avec les espoirs soulevés d’une part par la grande réussite démocratique des primaires socialistes, et d’autre part par la personne d’Eva Joly. En même temps, je sais bien que pour l’une comme pour l’autre, c’est plus l’accumulation de désillusions qui joue, que telle ou telle sortie de route passagère.
Cette déception, ce rejet des partis sont courants à gauche. Ils peuvent se fonder sur des lacunes et des vices indiscutables, en matière de fonctionnement, de renouvellement, d’ouverture sur le reste de la société. Ces problèmes sont – au PS en tous cas – souvent formulés et conceptualisés à (très) haute voix dans la vie interne du parti, la « rénovation » étant un slogan qui fait toujours mouche en réunion de militants. Slogan suivi de réalisations plus concrètes – les primaires socialistes en sont par exemple le résultat. Extérieurement aux partis, l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux a également contribué à la fluidification et au décloisonnement des échanges entre militants, comme en témoigne par exemple ce blog.
Mais à côté de ces griefs organisationnels qui me semblent être malgré tout progressivement traités, je vois aussi une source plus subjective et plus puissante au désamour envers les partis. C’est le décalage, brutalement ressenti, entre les idéaux portés et affichés, et les pratiques internes. L’idéalisme militant voudrait que les partis qui parlent de changer le monde soient déjà, dans leur vie propre, une vitrine du nouveau monde qu’ils appellent de leurs vœux. L’idéalisme militant se heurte à un constat simple : les partis sont des organisations humaines et, en tant que tels, sont travaillés par des logiques et des tensions communes à toutes les organisations humaines. Ambitions. Arrangements. Passe-droits. Combines. Haines personnelles. Cliques et bandes. Oligarchies internes. Etc. L’organisation politique a ses spécificités : on y voit du bien et du mal en proportion différente que dans d’autres milieux, plus de dévouement bénévole, mais plus aussi de mélange malsain entre relations interpersonnelles, convictions et intérêts matériels. C’est ainsi. Et dans ce monde, small is not beautiful : bien souvent, les « nouvelles formes de militantisme », mouvements et groupuscules d’avant-garde en tous genres, se révèlent encore plus décevants que les autres. Parce que moins de règles, moins de cadre, moins de hiérarchie apparente, cela veut aussi dire plus de place à la loi du plus fort. Comme en Assemblée Générale, c’est celui qui gueule le plus fort qui l’emporte.
On peut bien travailler sans cesse à améliorer le fonctionnement des partis, il faut se faire une raison : ils n’échapperont jamais aux vices et aux vertus du reste de la société. Il n’y a pas d’avant-garde éclairée du prolétariat. Juste un rassemblement d’hommes et de femmes probablement un peu plus conscientisés, comme on dit, que la moyenne – ce qui n’est déjà pas si mal.
Pour changer le monde, il faut commencer par le prendre tel qu’il est, aurais-je envie de dire en bon réformiste que je suis. J’y ajouterai une observation. Trop souvent, la mauvaise monnaie militante chasse la bonne, car on n’est jamais déçu quand on n’a pas de grands idéaux. Quitter un parti par rejet d’individus ou de pratiques, c’est laisser le champ libre à ces individus, et à ces pratiques, et finalement manquer à ses idéaux. Le nombre fait la force, le malthusianisme renforce la médiocrité. Ne l’oublions pas, et sachons mâtiner l’idéalisme de pragmatisme. C’est ce que j’appelle l’optimisme.
12 Comments
Et pendant que vous vous portez au secours des partis politiques défaillants en adoptant le style du lévite, la fronde s’amplifie dans les régions où de “grands maires” publient des listes d’élus socialistes qui s’opposent à l’accord national passé entre EELV et le PS.
Quel gâchis !
La masse a déjà désespéré des partis politiques. Les votants autres que les courtisans des partis, votent à l’instantané,à l’instinct même.
Ce qui est désespérant après ce tableau qui a le mérite d’être nuancé, c’est que tout le système démocratique est basé sur les partis politiques. On a l’habitude de critiquer la faible représentativité des syndicats, mais on n’entend moins souvent parler de celle des partis.
Pourtant l’abstention, le vote blanc, le “vote protestataire” sont bien le signe d’une scission entre la représentation politique et les citoyens.
C’est pourquoi il serait intéressant d’instaurer en complément (en plus de la rénovation des fonctionnements des partis) d’autres formes de participation au débat démocratique. Les idées ne manquent pas : votation citoyenne, référendum, assemblées de type constituantes, tirage au sort… Sauf que : comment introduire (ne serait-ce que pour les expérimenter, à l’image du “a href=”http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2011-11-14/apres-le-g1000-qui-relevera-le-gant-876628.php”>G1000 ) d’autres méthodes que la démocratie représentative… si les partis politiques eux-mêmes ne s’y intéressent pas ?
Zut, visiblement, j’ai foiré l’html de mon lien vers le G1000 !
http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2011-11-14/apres-le-g1000-qui-relevera-le-gant-876628.php
Romain,
Tout d’abord je tiens à te remercier de relayer, finalement, mon coup de gueule.
Je ne parlerai pas au nom de Marc, si nos parcours se croisent souvent, et nos conclusions aussi, je ne me permettrais pas.
Oui tu as assez bien cerné mon problème, c’est une somme de désillusions, de déceptions. Et je suis assez d’accord avec toi, il faut prendre le monde tel qu’il est. C’est d’ailleurs pour essayer de le changer “de l’intérieur” que je suis entrée en militance.
Tout d’abord je tiens à te remercier de relayer, finalement, mon coup de gueule.
Je ne parlerai pas au nom de Marc, si nos parcours se croisent souvent, et nos conclusions aussi, je ne me permettrais pas.
Oui tu as assez bien cerné mon problème, c’est une somme de désillusions, de déceptions. Et je suis assez d’accord avec toi, il faut prendre le monde tel qu’il est. C’est d’ailleurs pour essayer de le changer “de l’intérieur” que je suis entrée en militance.
Au final ton raisonnement c’est « si les dégoutés s’en vont, ce sont les dégoutants qui restent »… c’est vrai, les « dégoutants » sont très forts, promesses de sièges voire de jobs, c’est difficile de lutter quand l’alimentaire prévaut… en gros je dirais que la militance demande de la « conciliance » avec les gros défauts (les petits ça va j’y arrive ) de ceux qui sont aux manettes à quelques niveaux que ce soit, et que des gens entiers (certains diront puristes, Saint-Just j’en passe et des meilleurs) ne peuvent pas y trouver leur compte. A moins que l’Humain soit ainsi fait, le pouvoir, quel qu’il soit, rend forcément malhonnête intellectuellement… Je fais la différence, ces gens là savent le Droit et restent toujours dans les bornes de la Loi, mais juste au bord, dans cette zone flou où l’éthique, la hauteur de vue, la rectitude prévalent aux grands Hommes quand la Loi voit ses limites. Mais je crains que nos Grands Hommes soient tous regroupés au Panthéon et que le moule soit cassé !
C’est idealiste de demander un minimum d’éthique, de rectitude et de hauteur de vue ? sans doute, alors je suis une idéaliste, si c’est un défaut, je le revendique, si c’est une qualité, je m’en contenterai !
Intéressant.
“un rassemblement d’hommes et de femmes probablement un peu plus conscientisés, comme on dit, que la moyenne” C’est vrai que c’est comme ça que ce voient les militants d’un parti.
Ancien et bref militant au PS, je partage plutôt ce qu’à écrit Edgar Morin:
“Le parti-moyen devient le parti-fin. Le militant devient incapable de comprendre les non-militants ou les militants d’autres causes. Il les voit d’autant plus aliénés et inconscients qu’il s’aliène lui-même dans son parti et qu’il perd conscience de la multidimensionnalité de la réalité humaine, sociale, culturelle, qu’il réduit de façon monotone à son schéma politique.”
@Marianne : une source, un lien ?
@Dominominus : et pourtant, les primaires socialistes ont attiré des millions de Français, soit plus que les militants de tous les partis réunis. Elles étaient bien et visiblement organisées par un parti politique, et même par deux.
@See Mee:
“C’est pourquoi il serait intéressant d’instaurer en complément (en plus de la rénovation des fonctionnements des partis) d’autres formes de participation au débat démocratique. Les idées ne manquent pas : votation citoyenne, référendum, assemblées de type constituantes, tirage au sort… Sauf que : comment introduire (ne serait-ce que pour les expérimenter, à l’image du “a href=”http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2011-11-14/apres-le-g1000-qui-relevera-le-gant-876628.php”>G1000 ) d’autres méthodes que la démocratie représentative… si les partis politiques eux-mêmes ne s’y intéressent pas ?”
Je suis d’accord avec toi, et d’ailleurs ce n’est pas contradictoire avec l’existence de partis : au contraire même, je pense que les partis politiques seraient les premiers à profiter d’une vie démocratique plus riche et plus diverse.
Quant à porter ces réformes … ce sont des idées qui ont souvent tourné au sein du PS (avec Ségolène déjà) mais il est évident qu’elles ne sont pas assez mises en avant. Tout restera à faire après l’élection – si nous la gagnons.
@Harry Haller :
““Le parti-moyen devient le parti-fin. Le militant devient incapable de comprendre les non-militants ou les militants d’autres causes. Il les voit d’autant plus aliénés et inconscients qu’il s’aliène lui-même dans son parti et qu’il perd conscience de la multidimensionnalité de la réalité humaine, sociale, culturelle, qu’il réduit de façon monotone à son schéma politique.””
Mais c’est vrai dans tous les groupes sociaux ! Et comme dans tous les groupes sociaux, il y a à la fois des “autistes” comme vous décrivez, et des gens complètement normaux. Évitons les stéréotypes.
@Isaway : merci de ta réponse !
Personnellement, j’ai souvent eu envie de tout jeter et d’arrêter là. Mais j’ai toujours fait un calcul simple, qui vaut ce qu’il vaut. Les partis ne naissent ni ne meurent tous les jours. Depuis l’apparition des Verts, rien de nouveau ne s’est vu, et les tentatives de mutations d’anciens partis (cf. le NPA) ne sont pas glorieuses, c’est le moins qu’on puisse dire … Donc d’une manière ou d’une autre, tout se passe toujours au même endroit, politiquement parlant. Sauf cataclysme, on ne créera pas d’alternative partidaire à gauche, et même si c’était le cas, serait-elle meilleure ? Alors mon choix est resté constant : être dans la machine, essayer, par petites touches, de la faire bouger dans le bon sens. Avec quels résultats ? Faibles sans doute, même à ma mesure. Mais de toute manière les choses se feront, avec ou sans moi. A ce compte-là un petit peu vaut mieux que rien du tout. Cela étant je comprends la lassitude personnelle et le sentiment que l’on perd son temps, à un moment.
Vos désirs sont des ordres !
Lu dans “Le Progrès” du samedi 19 novembre, titré :
“Plus de 80 élus lyonnais soutiennent la fronde du maire.
Politique. Gérard Collomb a fait publier une liste d’élus socialistes qui s’opposent à l’accord national passé entre les Verts et le PS.”
Suit un article tenant à peu près 1/3 de page du journal signé Michel Rivet-Paturel.
Moi aussi je change de parti. Je suis parti du PS mais je ne vais pas chez EELV.
Je ferai un billet dans quelques mois pour vous faire part de mon expérience
“Personnellement, j’ai souvent eu envie de tout jeter et d’arrêter là. Mais j’ai toujours fait un calcul simple, qui vaut ce qu’il vaut. Les partis ne naissent ni ne meurent tous les jours. Depuis l’apparition des Verts, rien de nouveau”
T’en fais pas Jeff, t’es pas tout seul…Je partage exactement le même raisonnement…
Très bon texte.
J’adhère notamment sur la volonté des militants de voir leur propre structure se poser en modèle et sur l’importance des règles pour la vie démocratique et l’exemplarité.
@Marianne : on passe de “les régions” à “Lyon”, ce n’est pas tout-à-fait la même chose
@nico93 : je te la souhaite bien bonne.
@Alain L : je ne peux pas dire que ça m’étonne
@nicolas : après, tout est affaire de compromis (pas compromission) entre l’idéal et le réalisable …
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