De Contagion, le nouveau Steven Soderbergh, il n’y a pas grand chose à dire. Thriller épidémiologique réussi, qui parvient à rendre angoissants une poignée de main ou un autre contact physique sur laquelle la caméra s’attarde, traquant la transmission d’un virus ravageur et ultra-contragieux qui provoque la mort rapide, par encéphalite, de ses victimes. Film efficace, donc, qui rate malgré tout la première place du podium par quelques détails agaçants, comme le personnage aussi inutile qu’improbable joué par Marion Cotillard (mais La Bienveillante vous en reparlera), ou celui du blogueur para-médical dont je vais ici dire quelques mots.
(Des)servi par un Jude Law au sommet de son cabotinage, le dénommé Alan Krumwiede (ça ne s’invente pas) a le douteux double privilège d’être à la fois, à ma connaissance, un des premiers personnages de film définis entièrement par son statut de blogueur-twitto, et le seul méchant de Contagion, à part bien sûr le virus. Wannabe journaliste, et peut-être pigiste (on le voit au début essayer de vendre la vidéo d’un des premiers morts du virus à une journaliste), il tient un blog médical très suivi (on parle à un moment de « millions » de visiteurs uniques) où il décortique les informations relatives au virus, en l’accusant tour à tour d’être une manipulation des laboratoires et du gouvernement, et de pouvoir être guéri par homéopathie, grâce au forsythia. Son influence est considérable : il est invité sur des plateaux de télévision pour apporter la contradiction au patron du CDC (l’Institut Pasteur américain) joué par Laurence « Matrix » Fishburne, et il est capable de générer une croyance (fausse) de masse en l’efficacité de son traitement homéopathique, ou encore de lever instantanément les dons nécessaires au règlement de son énorme caution, quand il est arrêté par la police. Tête-à-claques mi-conspirationniste, mi-âpre au gain, il ne se déplace jamais sans son enregistreur de poche pour attraper au vol des paroles inconsidérées des scientifiques qu’il traque. Et ne rechigne pas – double evil – à s’acoquiner avec des fonds de pension.
Il s’agit donc, vous l’aurez compris, d’un personnage hautement désagréable – et caricatural. Détail intéressant, toutes les mentions d’Internet et de ses pratiques (blog, donc, mais aussi réseaux sociaux) dans le film sont cantonnées à ce personnage, comme si le scénariste s’était dit : tiens, on a complètement oublié le web, il faut en parler pour ne pas être à la ramasse, rajoutons un personnage-web à l’histoire. De fait, grâce à Jude Law, les mots « Twitter » et « Facebook » sont prononcés une fois au moins. Mais pour un usage bien particulier : car tout ce qui touche de près ou de loin au web est forcément mauvais.
Dans une sorte de négatif des thèses conspirationnistes, dans Contagion, l’armée, l’État et les professionnels de santé disent toujours la vérité, quand c’est le blogueur-homéopathe qui ment et trompe ses lecteurs. Celui-ci utilise Twitter pour interpeller et déstabiliser les institutions médicales qui essaient de faire tant bien que mal leur job, et va dénicher sur Facebook un statut prouvant que le directeur du CDC, en rupture avec ses obligations éthiques et professionnelles, a alerté ses proches de la mise en quarantaine imminente de la ville de Chicago. Et c’est enfin par une vidéo Youtube d’une mort en direct dans un bus japonais que la peur arrive.
Le message et l’analogie sont donc aussi clairs que grossiers : parallèlement au virus biologique, il y a un autre virus qui s’attaque à l’humanité, celui de l’information mensongère, obscurantiste et … virale qui se répand sur Internet, pervertissant les esprits les plus faibles (on voit ainsi, dans une scène saisissante, une foule furieuse forcer les portes d’une pharmacie pour s’emparer de ses stocks de forsythia, écrasant littéralement les clients tombés au sol pour s’emparer du remède illusoire). Le web, c’est la barbarie.
Soderbergh, non sans détails absurdes (le terrible blogueur n’a même pas de smartphone, et son blog semble avoir les qualités esthétiques d’un page Geocities), nous sert donc une version à peine améliorée du sempiternel Internet tue, servi en nos terres par Patrick Sébastien, Jean-François Kahn ou plus récemment Patrick Cohen. Du statut de cinéaste culte à celui de moraliste flirtant dangereusement avec le ridicule et le ringard, il n’y parfois qu’un pas.
Romain Pigenel
9 Comments
Dans le genre “Internet tue”, il y a le fameux :
“en 10 ans, Internet a détricoté le travail fragile de 2 siècles” (Val)
http://www.lepost.fr/article/2008/07/23/1229035_les-couilles-de-val-sur-internet.html
)
A part ça Soderbergh, ça m’a jamais paru fantasmagorique (mais pas tout vu)
Un personnage positif de blogueur est donc encore à inventer. Dommage, Soderbergh que l’on a trouvé mieux inspiré avec des films ambitieux serait-il en train de prendre un coup de vieux et de se noyer dans l’enchainement des blockbusters ?
@Antenne : je l’avais ratée celle-là, elle est d’anthologie aussi …
@Djoulf : attention le film n’est pas mauvais, il est même plutôt réussi globalement ! Sauf Internet.
Hollywood est passé par là
Merci de m’avoir donné envie de ne pas aller le voir.
Et je suppose que le sort qu’il fait dézingue le reste du film, non ? s’il a encore des trucs à sauver ?
@MHPA : non, à part ça, c’est globalement un film efficace, avec quelques séquences vraiment très fortes.
Plutôt d’accord, en dehors de “Thriller épidémiologique réussi”. Je trouve que la dimension apocalyptique ne marche pas. Il ne suffit pas de renverser 3 poubelles pour faire croire que toute l’humanité panique ! Par ailleurs n’y a-t-il pas un trou de scénario : quand les autorités décident de retirer la recherche du vaccin au 1er scientifique, celui-çi n’accepte pas de détruire ses recherches et récupère ses fioles.. comme s’il allait réapparaitre plus tard, mais on n’entend plus jamais parler de lui jusqu’à la fin de film ?!
@Leila : oui, c’est blindé d’incohérences. A un moment tu es presque dans MadMax, le moment suivant les gens font gentiment la queue pour attendre leur vaccin …
Pour avoir vu le film, je ne suis pas vraiment d’accord avec l’analyse.
A titre liminaire, il faut d’abord souligner que ce film aborde beaucoup de thèmes qu’il n’a pas le temps de creuser (place des labos, inégalités, vacuité de la société de consommation, atteinte à l’environnement, fragilité de nos sociétés modernes etc…).
- Tout d’abord, ce film n’est pas manichéen. Il semble plutôt démontrer que tout le monde est dans le même pétrin. Bien sur, il y a quelques scientifiques ou américains moyens qui sont les gentils archétypaux, mais le blogueur n’est pas à proprement parler un “méchant”.
- Ensuite son comportement, bien que caricaturé, n’est il pas celui de certains blogueurs ou journalistes. Si je me souviens bien, pendant l’épidémie H1N1, la blogosphère a eu une place prédominante en colportant des rumeurs ou en permettant l’émergence d’un véritable débat critique qui n’existait que dans très peu de revues médicales ou spécialisées. En outre, le fait qu’un blogueur dénonce une faute commise par un dirigeant, est ce si étonnant ? (Brice Hortefeux et ses auvergnats, DSK et sa voiture, et pourtant on ne peut pas dire que la presse française soit particulièrement émancipée du pouvoir si on la compare à la presse anglo-saxonne).
- Par ailleurs, il me semble que ce blogueur permet d’ouvrir certaines portes critiques sur la place des laboratoires dans la médecine moderne. Ce n’est pas dans la bouche d’un patron de labo qu’on pourrait entendre ces propos plus qu’alternatifs.
- Enfin, comme nous avons pu le constater avec l’épidémie du H1N1, il y a une véritable défiance à l’égard de la parole officielle. Défiance qui peut trouver sa source en partie dans la blogosphère (l’importance de l’opinion de la blogosphère n’est sans doute qu’une conséquence de cette défiance, de cette contre démocratie pour reprendre le terme de Rosanvallon).
Ce personnage est donc sans doute caricatural, j’en conviens ; cependant, dans un film relativement court, il permet de soulever certains phénomènes de société, de porter une certaine critique contre l’industrie pharmaceutique et d’aborder le thème de la réception de la parole institutionnelle par la population en période de crise.
Une série aurait presque été nécessaire !
@Sylvebard (un cousin de Sylvebarbe ? )
“A titre liminaire, il faut d’abord souligner que ce film aborde beaucoup de thèmes qu’il n’a pas le temps de creuser (place des labos, inégalités, vacuité de la société de consommation, atteinte à l’environnement, fragilité de nos sociétés modernes etc…).”
Bien sûr, je ne fais qu’un focus sur un des points qui me semblaient intéressants dans le film.
“mais le blogueur n’est pas à proprement parler un “méchant”.”
A-t-il UN SEUL trait positif dans son rôle ?
” Ensuite son comportement, bien que caricaturé, n’est il pas celui de certains blogueurs ou journalistes”
Bien sûr : mais il y a un seul blogueur dans le film, et c’est lui … Aucun contrepoids, ce qui finit par faire une thèse sur les blogueurs en général.
“Par ailleurs, il me semble que ce blogueur permet d’ouvrir certaines portes critiques sur la place des laboratoires dans la médecine moderne. Ce n’est pas dans la bouche d’un patron de labo qu’on pourrait entendre ces propos plus qu’alternatifs.”
Sauf que cela n’apparaît pas de façon positive dans le film, dans mon souvenir.
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