Passer la charrue. Creuser son sillon. Réaffirmer, marteler son identité. La continuité, l’enfoncement même, plutôt que la rupture. C’était tout le programme du long discours de Toulon, deuxième du nom, de Nicolas Sarkozy.
On dit parfois que la pédagogie, c’est la répétition. A ce compte-là, Nicolas Sarkozy a effectivement fait de la pédagogie, comme il l’avait annoncé avant ce qui tenait plus du meeting de campagne que d’un discours présidentiel. Présentant une sorte de best-of des fondamentaux du sarkozysme, avec en toile de fond un double message : ce monde est dangereux ; je suis le seul à pouvoir vous y guider sain et sauf, le seul à pouvoir « éclairer » le bon « chemin », comme dirait Jean-François Copé. « Je ne reviendrai jamais sur [mes] choix ». A la différence de mes adversaires.
Tous les fétiches du sarkozysme avaient donc répondu présent, et c’était même le sens de l’introduction du discours : de 2007 et 2008 à aujourd’hui, tout n’est que continuité et maîtrise, résultat de la volonté politique sarkozienne qui s’est inexorablement appliquée. « Je n’ai pas écouté ceux qui me conseillaient de ne rien dire ». Le chef Sarkozy a décidé, tranché. « En septembre 2008, ici, à Toulon, au cœur de la tourmente, j’ai tracé une perspective ». Tous les fétiches, les symboles peuvent alors être égrainés : le culte de la réforme (la crise appelle « à accélérer le rythme des réformes », « nous ne pouvons pas garder la même organisation de notre protection sociale que celle de l’après-guerre »). La valeur travail (il faut ramener « le balancier de l’économie vers le travail », « ceux qui travaillent et qui sont proportionnellement de moins en moins nombreux », « répondre à la crise par le travail, par l’effort », « les 35 ont été des fautes graves », « nous devons continuer d’encourager le travail et donc les heures supplémentaires ») – avec un « sur l’emploi on n’a pas tout essayé » en guise de coup de pied de l’âne à Mitterrand. La dénonciation des assistés (« une minorité qui voudrait profiter du système », « L’habitude qu’avait prise l’Etat d’être un guichet où l’on répondait oui »). L’immigration et l’identité nationale (« nous n’accepterons pas une immigration incontrôlée qui ruinerait notre protection sociale, perturberait notre façon de vivre, bousculerait nos valeurs »). Certes, Sarkozy est flou, il ne propose rien de vraiment précis (j’avais même pensé à intituler ce billet « Sarkozy dans le creux du vague »), mais ce n’est visiblement pas son souci du jour : il est venu faire de la politique, de l’idéologie, imposer une grille de lecture et des concepts.
Ceci est le marteau. Et puis il y a l’enclume, la toile de fond : la peur, la description d’un monde menaçant, plein de promesses si on accepte de suivre le capitaine Sarkozy, mais néanmoins menaçant et implacable. « Prenons le temps de regarder autour de nous dans quelle situation se trouvent les pays européens qui n’ont pas pris à temps la mesure de la crise ». « La tourmente ». « Une gigantesque machine à fabriquer de la dette ». « L’immense pyramide de dettes ». « Des catastrophes dont la France ne se remettrait pas ». « L’urgence » à laquelle il faut parer.
Face à tant de menaces, il n’y a tout simplement pas de choix. TINA. C’est une constante de ce discours, la négation de toute alternative, voire de la possibilité même de choisir : « La seule façon de conjurer cette peur c’est de dire la vérité ». « La vérité, c’est que ». « La réforme des retraites ne pouvait être plus être différée ». « Contester cette réalité, c’est mentir ». « Les crises nous indiquent la voie à suivre ». « Il y a une réalité que chacun doit comprendre, chacun doit accepter ». « L’Europe n’est plus un choix. Elle est une nécessité. ».
La résultante de cette équation politique est simple : s’il n’y a pas de choix, le débat n’a plus de sens, et le vote non plus, au bout du compte. Je parlais il y a quelques jours d’un président en fuite, sur ses responsabilités notamment : ici, c’est finalement l’élection même qui est esquivée.
Romain Pigenel
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3 Comments
On peut penser ce qu’on veut de Sarkozy, on ne peut nier que l’éclatement de l’euro – qui conduirait à la dislocation de l’Europe – ne fait pas peur à tout le monde, même à ceux qui sont pour la disparition de l’euro et le retour au franc, tant l’incertitude actuelle est grande.
Il n’y a qu’à écouter de que disent Montebourg ou Le Guen de l’Allemagne pour constater qu’il y en a qui sont déjà partis comme en 40.
Très bon billet. Il y a lui…et lui. Au delà, le gouffre et la mort caractérisée par le gauchisme.
Il a participé de plein-pied à l’avènement de l’ultralibéralisme depuis plus de 15 ans dans notre pays, mais non, il faut continuer et “accélérer” les réformes.
TU sais, toi, Romain, ce qu’il y a au-delà du gouffre et de la mort ? parce qu’il va finir par nous y envoyer tout droit, ce con.
Un monde meilleur ? Meilleur pour ceux qui profitaient déjà du précédent ?
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via @romain_pigenel A Toulon, Sarkozy a passé la charrue http://t.co/biGRHw0Z
[Variae] A Toulon, Sarkozy a passé la charrue http://t.co/PLYcvk9b
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Heures sup, identité nationale, peur … / A #Toulon, #Sarkozy a passé la charrue #variae http://t.co/d0AKE8Ic
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si vs êtes en retard comme moi +++http://t.co/ypjdJFiI via @Romain_Pigenel
[...] malins qui ont cru drôle, tels de vulgaires Patrick Besson singeant Eva Joly, de subtiliser le discours de notre Président à Toulon, et de le remplacer par une honteuse caricature dans laquelle il annonçait gaiment la soumission [...]
[...] qui font rien qu’à essayer de voler nos secrets industriels et délocaliser nos entreprises. Or comme l’a dit notre président à Toulon, « L’Europe ouverte à tous les vents, ça ne peut plus durer ». C’est donc [...]
[...] Il faut reconnaître aux sarkozystes le mérite de la cohérence : de même qu’ils n’ont exigé aucune réforme structurelle digne de ce nom de la part du secteur bancaire et financier en échange du soutien de l’Etat, ils ne proposent, aujourd’hui, aucune modification de leur projet politique en échange du soutien de la gauche et des socialistes. Bien au contraire, Nicolas Sarkozy a profité de son deuxième discours de Toulon pour repasser la charrue et réaffirmer ses dogmes personnels, comme je l’écrivais la semaine dernière. [...]
[...] C’était, du point de vue de la droite, un bon discours. Parce qu’il a proposé une vision et une explication de la crise. Une vision et une explication que je ne partage évidemment pas, et qui sont [...]
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