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Martine Aubry et « l’homme de gauche »

Le grand chelem espéré il y a quelques semaines par Aubry, enfin à portée de mains ? On apprend que non à la lecture de Libé : «Bien sûr que non, insiste-t-elle. Non, il n’y aura pas de grand chelem.» La faute à qui, à Georges Frêche ! « Quand on ne s’exprime pas comme un homme de gauche, lorsqu’on bafoue les valeurs de la gauche, on n’est plus un homme de gauche.» Une victoire de Frêche ne sera pas à compter au total de la gauche. C’est dit.


Ces propos lapidaires viennent rejoindre ceux tenus par d’autres responsables socialistes, comme Arnaud Montebourg, qui expliquaient dans le cadre de la même affaire qu’il « valait mieux perdre une région que son honneur », ou appelaient à la destruction d’un “socialisme pourri”. Ils engagent une prise de position très problématique sur ce qu’est un « homme de gauche ».

Reprenons le problème dans le bon ordre. On vote, aux élections régionales, pour une liste de candidats qui vont ensuite « gouverner » en assemblée la région. Les listes d’un parti, la plupart du temps, reconduisent un certain nombre des conseillers sortants et s’appuient sur le bilan réussi du dernier exercice pour promouvoir leurs candidatures auprès des électeurs. Cela vaut pour les listes de candidats estampillées PS à ces régionales 2010.

Le deuxième tour dans le Languedoc-Roussillon oppose la liste de l’UMP à celle du FN et à celle de Georges Frêche. Cette dernière est majoritairement composée de candidats socialistes, investis dans le cadre du processus régulier du Parti socialiste à l’automne dernier. Parmi eux nombre de sortants, comme le président lui-même (qui n’appartient plus au PS en tant que tel depuis 3 ans, mais qui avait été normalement investi avant l’accrochage avec Laurent Fabius qui lui vaut aujourd’hui excommunication). Ils ont appliqué un programme qui n’a pas été dénoncé par le PS comme n’étant pas de gauche, et leur projet pour la prochaine mandature ne se situe pas à l’opposé des orientations du « contrat pour les régions » adopté nationalement par le PS. Ajoutons pour finir que quand Martine Aubry a appelé, en début de semaine, à faire « barrage à la droite » dans cette région, ce ne pouvait être qu’en votant pour une liste non de droite – celle de Frêche. Si la dirigeante d’un parti de gauche appelle à voter pour une liste pour barrer la droite, on a de bonnes chances de penser que la liste en question a (au minimum) des proximités avec la gauche.

Et pourtant, la première secrétaire persiste à affirmer que le Languedoc-Roussillon ne serait pas à compter, en cas de victoire générale dimanche soir, dans un « grand chelem » de la gauche. Outre le fait qu’elle écrase ce faisant toute une (probable) majorité au conseil régional sur la seule personne de son président et ses débordements personnels, elle sous-entend une bien curieuse définition de ce qui fait qu’un homme est – ou non – de gauche.

Première question : la politique menée par le Conseil Régional de Languedoc-Roussillon ne sera sans doute fondamentalement pas différente de celle menée durant le dernier mandat. Est-ce à dire que le Conseil version 2004-2010 n’était pas de gauche ? Conjointement, si d’autres régions mènent des politiques semblables à celles du Languedoc-Roussillon durant ce mandat, est-ce que cela voudra dire par extension que malgré le verdict des urnes, elles ne seront en fait pas de gauche ?

Deuxième question : qu’est-ce qui importe le plus pour décider si un homme est, ou non, de gauche ? Sa façon d’être, ses actes, les politiques effectivement menées ? Laurent Fabius, invectivé par Frêche, a (de la fin des années 90 à 2002) été un fervent défenseur de la baisse des impôts, avant de se reclasser à la supposée aile gauche du PS. Est-ce que cela ne mettait pas en question son statut d’homme de gauche ? Et pour ce qui est de Frêche, est-ce que des débordements verbaux pèsent infiniment plus que les politiques réalisées, au point que l’on se fonde uniquement sur ceux-ci pour l’expulser du cercle des gens de gauche ? Admettons, par ailleurs, que l’on découvre en examinant son bilan qu’il a œuvré contre le racisme et l’antisémitisme, en tant que maire de Montpellier puis président de Conseiller régional, qu’est-ce qui vaudrait plus, des mots ou ces actes ?

On ne peut pas balayer cette interrogation d’un rapide « les deux, mon général ». C’est une vraie question de morale politique, celle, justement, de la définition de l’éthique d’un responsable politique. C’est quoi, le bon homme politique ? Est-ce que son comportement personnel est aussi déterminant que ses réalisations publiques ? A la fin des années 90, Bill Clinton avait failli tomber sous les coups du puritanisme américain, pour lequel une relation extra-conjugale masquée est une bonne raison de destituer un président. Georges Frêche, de son côté, doit son aura sulfureuse à une série de débordements verbaux, tous marqués du sceau de l’ambigüité et qui relèvent plus d’une personnalité et d’un type de personnage politique – que l’on peut détester – que d’un racisme ou d’un antisémitisme saillants et avérés. Dire que ces éléments pèsent autant que l’efficacité politique (au service des administrés) dans la balance du jugement gauche/non-gauche ou dignité/indignité politique, c’est tomber dans un travers particulièrement dangereux, celui du moralisme. Qui suppose que les hommes et femmes politiques, pareils aux saint de jadis, doivent faire office d’exemples édifiants, y compris dans la partie de leur vie qui sort du strict exercice de leur fonction.

On notera au passage que ce moralisme, cette « terreur de la vertu », finit au bout du compte par générer ce qu’il cherchait à éviter : le mépris des électeurs. S’il faut plutôt « perdre une région [à la droite ?] que son honneur », cela signifie que l’on est prêt à abandonner plusieurs millions de Français à des politiques de droite que l’on condamne à juste titre par ailleurs. Ce qui n’est pas, me semble-t-il, la meilleure façon de mettre en œuvre les « valeurs de gauche » chères à Martine Aubry.

Romain Pigenel

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5 Comments

  1. Asse42 wrote:

    Excellent billet Romain. En langage fleuri on pourrait dire qu’on nous prend pour des cons ou qu’on essaye de faire passer des vessies pour des lanternes. Pitoyable.

    Vendredi, mars 19, 2010 at 23:08 | Permalink
  2. herongris wrote:

    Excellente analyse que je partage pleinement. Le plus important est bien évidemment la conclusion qui pose la question du respect des électeurs. J’ajouterais, à cette analyse, le fait que le processus “frauduleux” qui a conduit Aubry au poste qu’elle occupe la disqualifie du droit de donner des leçons de morale à qui que ce soit. Par ailleurs, il faut rappeler que jusqu’au 15 janvier Aubry appelait à voter pour Frêche et que c’est Fabius qui a tiré le premier le 20 décembre en déclarant à la télévision que si il était électeur en LR il ne voterait probablement pas pour la liste Frêche. ce dernier n’a fait que lui répondre, à sa façon, le 22 décembre. Et puis, il y a tout ce qui s’est passé avant et qui commence à transpirer. Si Frêche a utilisé l’expression “tronche pas très catholique” à propos de Fabius c’est qu’il avait de bonnes raisons pour le qualifier de la sorte.

    Samedi, mars 20, 2010 at 0:50 | Permalink
  3. abadinte wrote:

    Tu oublies la partie “je m’allie à l’OAS” puis la partie “les blancs sont des moins que rien en sport” “les noirs ne sont pas vraiment français” “je chante avec l’extrême droite Eric Raoult et Jacques Myard des chants coloniaux dans l’Assemblée Nationale”.

    Je pense que ces actes occultent toute l’action qui aurait pu mener par ailleurs.

    Samedi, mars 20, 2010 at 2:16 | Permalink
  4. artefact wrote:

    Bien vu.
    La déclaration d’Aubry au coeur d’une bataille frontale contre la droite est bien embetante.
    J’ajoute qu’à l’aune des valeurs de gauche, elle est aussi disqualifiée sur la solidarité après sa piteuse démonstration à l’égard de Julien Dray.

    Samedi, mars 20, 2010 at 4:59 | Permalink
  5. Planchais wrote:

    Comment les médias peuvent ils se moquer des électeurs, comment M.Aubry issue de la triche, de la fraude par bourrage des urnes, deviendrait elle présidentiable ? Les Français ne sont pas des imbéciles, ils ont comprit les tricheries, le vol de la victoire de Ségolène Royal au congrès de Reims… Ils savent aussi que si on essaie depuis trois ans de démolir Ségolène Royal, c’est bien qu’elle possède un autre système politique plus humain. Mais tous les médias nous manipulent, après DSK qui ne sera pas là pour les présidentielles, d’un fabius entâché du sang contaminé, de M.Aubry qui ne doit son posta grâce à la triche merci pour tous ces faux sondages ….

    Samedi, mars 20, 2010 at 21:15 | Permalink

6 Trackbacks/Pingbacks

  1. Romain Pigenel on Vendredi, mars 19, 2010 at 18:13

    Martine Aubry, Georges Frêche et "l'homme de gauche" http://tinyurl.com/yk76jyl #regionales2010

  2. JeandelaXR on Vendredi, mars 19, 2010 at 18:18

    RT @Romain_Pigenel: Martine Aubry, Georges Frêche et "l'homme de gauche" http://tinyurl.com/yk76jyl #regionales2010

  3. Laure Leforestier on Vendredi, mars 19, 2010 at 18:51

    les approximations de Martine… http://yoolink.to/6W7

  4. betapolitique.fr on Vendredi, mars 19, 2010 at 20:44

    Martine Aubry et « l'homme de gauche »: Le grand chelem espéré il y a quelques semaines par Aubry, enfin à portée … http://bit.ly/byqDZP

  5. luxembourg news on Vendredi, mars 19, 2010 at 20:44

    RT Martine Aubry et « l'homme de gauche » http://bit.ly/byqDZP

  6. [...] dernier acte politique de Frêche fut de parvenir à fédérer toute une région autour de lui pour résister à l’ingérence d’un appareil politique national et [...]

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