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Ali Soumaré, les banlieues et le syndrome V/V/V

Buzz à gogo, coups bas, révélations sordides et mensonges éhontés : il ne manquait plus qu’un retournement de situation spectaculaire à cette panoplie déjà bien étoffée pour que la campagne des régionales 2010 ressemble définitivement au feuilleton de l’été de TF1. C’est malheureusement ce qui est arrivé à mon colistier en Ile-de-France Ali Soumaré, victime d’une tentative de cabale médiatico-judiciaire par des élus UMP de son département. Retournement spectaculaire car avant même que la tentative de buzz ne prenne vraiment (la presse se montrant pour une fois d’une étonnante prudence), elle tournait à la fable de l’arroseur arrosé, les accusations les plus graves se révélant être fondées sur une méprise de personne. Coup de balancier en sens inverse, il n’en fallut pas plus pour que la presse acclame en héros celui qu’elle s’apprêtait peut-être à brûler.


Je tombai ainsi par hasard, mercredi matin, sur l’éditorial de Thomas Legrand sur France Inter (repris en substance ici), expliquant que cette affaire Soumaré allait permettre à la gauche d’enfin gagner les jeunes des cités, et qu’il était d’une certaine manière peu étonnant d’avoir un passé délictueux quand on vient des quartiers. Les jeunes des quartiers, « qui représentent une force, une vitalité incroyable, un potentiel créatif, un gisement d’avenir, toujours dénigré et caricaturé, traités de “délinquants”, justement. ». « La gauche en particulier sent bien qu’il y a là pour elle, les troupes et les cerveaux du futur », nous expliquait l’éditorialiste matinal.

Paroles généreuses, sans doute. Mais paroles stigmatisantes. Comment « s’intégrer » à la République, si ce n’est en bénéficiant enfin d’un regard normal du reste de la société ? Que ce soit en mal ou en bien, les quartiers sont systématiquement pointés du doigt et mis en spectacle, tour à tour regardés comme des zoos à bêtes curieuses et dangereuses, ou comme l’avenir de la France. Le lot des quartiers, semble-t-il, est d’être le fantasme de la République. Et trop souvent à leur sujet les mots de la gauche et de la droite se ressemblent comme l’avers et l’envers d’une même pièce ; quand la presse de gauche loue le « dynamisme » ou le « potentiel créatif », à l’instar de Thomas Legrand, la droite traque les enfants « hyperactifs » qui deviendront des adolescents délinquants. Un surcroit d’énergie, pour le meilleur ou pour le pire. Héros ou damnés de Marianne – mais enfants de la République parmi d’autres, ça, jamais. C’est ce que j’appelle le syndrome V/V/V, ou voyou/victime/vainqueur, alternative à laquelle se résume globalement la représentation des cités.

Les habitants des banlieues qui mènent ou aspirent à une vie normale, et essaient de s’en sortir comme les autres Français dans une période durcie par la crise, constituent sans aucun doute une majorité. Mais une majorité invisible, à laquelle les médias ne donnent pas, ou trop rarement, la parole. Aux discriminations que l’on connaît bien (économiques, sociales) et qu’ils subissent de plein fouet vient s’ajouter ce douteux privilège de ne jamais avoir droit à la banalité, ce précieux attribut des habitants des centre-villes. Quant à celles et ceux d’entre eux qui parviennent à occuper une position éminente, professionnelle ou médiatique, ils sont systématiquement et automatiquement condamnés à endosser le costume de représentant des jungles urbaines et des ghettos de la République, qu’ils le souhaitent ou non.

On ne peut que louer, encore une fois, la prudence des médias et le fait qu’ils se soient retenus de faire leurs choux gras des pseudo-révélations sur Ali Soumaré. Mais on aurait tout autant apprécié que leur défense consécutive se fonde sur le respect des principes, plus que sur une indulgence attendrie. Deux principes simples. D’abord considérer que le fait de « déconner » lorsque l’on est jeune ne veut pas dire, par une sinistre fatalité, que l’on deviendra forcément un caïd plus tard. Rappeler, ensuite, que des délits jugés (et a fortiori purgés par une peine) appartiennent définitivement au passé. Il suffisait de dire cela, par exemple avec une note d’humour comme l’a fait Vincent Peillon. Mais pourquoi vouloir tout ramener à ces zones « où a grandi et vécu A. Soumaré », où l’on ne peut grandir en restant « impeccable pendant toute sa jeunesse » ? Comme s’il fallait une excuse spéciale pour un individu spécial ? Ce qui vaut pour Ali Soumaré vaut pour tout candidat se retrouvant dans sa situation, et réciproquement. C’est tout, et cela suffit largement.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. Parmi elles, la propension à répondre aux discours de droite sur « les racailles », version contemporaine de la dénonciation des classes dangereuses, par un discours de gauche sur la fatalité et l’héroïsme des banlieues, version contemporaine du paternalisme de bon bourgeois. Il n’y a pas de plus bel hommage à faire à ceux que l’on respecte que de les considérer comme on se considère soi-même – ni plus, ni moins.


Romain Pigenel

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7 Comments

  1. Bien vu Romain.
    Ta conclusion est pleine de bon sens : les “banlieusards” ne demandent que la banalité, pas l’exception culturelle.

    Vendredi, février 26, 2010 at 22:02 | Permalink
  2. La banalité devient un luxe!

    Samedi, février 27, 2010 at 12:47 | Permalink
  3. deguisement wrote:

    Le PS ne pouvait pas connaître précisément le passé de Soumaré.

    Il y a 3 types de bulletins éditables par la justice. Seul le “B3″ est utilisable par un employeur, or il ne recense pas les délits qui n’ont pas 2 années de condamnation minimum.

    Soumaré n’a manifestement, si ce qu’il dit est vrai et qu’il n’a que 2 condamnations donc la 1ère et la 5ème, eu de peine de +2 ans.

    Ou alors, cela suppose de connaître les dates des jugements en question, car Lefebvre dit vrai sur la possibilité de les consulter, mais seulement en ayant les informations exactes…

    …C’est peut-être d’ailleurs pourquoi l’UMP s’est planté en disant 5 condamnations. S’il y a bien un homonyme, alors ils ont commis une erreur, involontaire ou volontaire…

    Dimanche, février 28, 2010 at 17:17 | Permalink
  4. Reversus wrote:

    D’accord avec ton texte mais je ne te rejoins pas sur la conclusion. Je sais pas si ça m’était en partie adressée ;-)

    Mais c’est vrai que j’ai utilisé en partie l’argument que tu dénonces.

    Pour moi, ce n’est pas faire offense à un homme que de tenir compte du contexte de départ. Un enfant du XVIeme aura toujours plus de chances de faire de grandes études qu’un jeune issu du 9-3. C’est une réalité que tu ne peux nier. Ensuite, on sous estime le facteur d’émulation dans ces quartiers. Comment adhérer au projet collectif, au projet que nous propose notre société, quand la donne de départ est aussi faussée ? Quand tout te pousse à te mettre aux bords du chemin ?

    L’héroïsme des banlieues ce n’est pas de la naïveté, c’est également une réalité.

    Ce n’est pas non plus du fatalisme mais il faut davantage de courage à ces jeunes pour parvenir à s’extirper des quartiers dans lesquels ils sont nés. Brel disait : « Lorsque l’on part aussi vaincu, c’est dur de sortir de l’enclave ». Il y a un peu de ça, dans ces banlieues désertées par les pouvoirs publics. A se demander, s’ils sont toujours des citoyens à part entière aux yeux de l’Etat ?

    Lors de tout procès ou plus largement dans toutes études, on chercher à analyser le contexte. Je pense donc qu’il méritait qu’on s’y attarde. Avec de juger A.Soumaré et « la banlieue » dans son intégralité, que ces moralistes en col blanc viennent vivre quelques jours à Clichy-Montfermeil.

    C’est tellement facile de s’ériger en pourfendeur de la délinquance quand la République a abandonné depuis longtemps ces enfants…

    Lundi, mars 1, 2010 at 11:40 | Permalink
  5. “Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose”

    Lundi, mars 1, 2010 at 16:36 | Permalink
  6. AntenneDuRelais wrote:

    Bon article…
    Il faudra juste expliquer c’est quoi l’humour de Peillon…
    Pour moi, Peillon, qui disait en parlant de Ségo “si elle avait été un homme j’en serais venu aux mains” est un violent, un délinquant, pas un humoriste…
    Menacer une femme en lui disant que si elle avait été un homme il lui aurait foutu son poing dans la bouche, c’est menacer verbalement, c’est commettre un délit…
    C’est grave qu’un élu au Parlement européen se comporte comme un voyou!

    Je ne vois pas où est l’humour de ce mek!!!

    Lundi, mars 1, 2010 at 17:17 | Permalink
  7. AntenneDuRelais wrote:

    censure censurez…
    après faites semblant de voter contre Hadopi…

    la gauche aubriste, la gauche du bourrage d’urnes, de la triche immonde, de la négation même de la démocratie, alliée avec la gauche de la trahison peilloniste, c’est tout ce dont justement Ali Soumaré n’a pas besoin!!!

    Lundi, mars 1, 2010 at 17:20 | Permalink

2 Trackbacks/Pingbacks

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  2. Variae › Une année sur Variae (2010) on Vendredi, décembre 31, 2010 at 21:01

    [...] de la « diversité » en politique reste complexe (Ali Soumaré ou le coup de la Gare du Nord, Les banlieues et le syndrome V/V/V ). Significatif coup d’envoi pour une année agitée, entre polémique sur la polygamie et [...]

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