On aura au moins appris une chose aujourd’hui : pendant les régionales, Laurent Fabius continue à se raser, et donc à penser à la prochaine présidentielle. Invité de Nicolas Demorand sur France Inter ce matin, il a glissé en fin d’interview une information tout sauf anodine : il n’y aura pas d’affrontement entre DSK, Martine Aubry et lui-même dans les primaires du Parti socialiste. On sait les dirigeants politiques plus prompts à annoncer leur candidature, ou à démentir les rumeurs de leur non-candidature, qu’à faire pareille annonce. Elle doit donc être d’autant plus prise au sérieux, et décryptée quant à ses implications.
Que signifie ce pacte de désistement mutuel ? Concrètement, que seul un des membres de la triplette gagnante du dernier congrès pourra aller briguer l’investiture socialiste pour la présidentielle. Plus concrètement encore, les possibilités de retour de DSK semblant très compliquées, si ce n’est pas le biais d’un deus ex machina que l’on sait fort improbable depuis l’épisode Jacques Delors en 1994, cela restreint le choix à Martine Aubry et Laurent Fabius. De deux choses l’une : soit Martine Aubry parvient à capitaliser sur sa fonction de premier secrétaire et un bon résultat aux régionales pour s’imposer naturellement, sondages à l’appui, comme la solution d’évidence pour la présidentielle ; soit elle est fragilisée à cause de ce même poste par une quelconque crise interne, et c’est alors Laurent Fabius qui peut espérer jaillir comme le diable de sa boîte, en dernier recours.
Traditionnelle cuisine d’appareil, nous dira-t-on. C’est tout le problème. Car on nous annonce depuis des mois que les Primaires (© Obama) vont révolutionner le premier parti de gauche, apporter un souffle d’air frais et de glorieuse incertitude dans ses processus interne de désignation (pour la présidentielle) et permettre l’émergence d’un Obama français (comprendre : un parfait outsider issus de la « base » qui s’impose à l’appareil grâce à son seul talent). Or ces propos tenus sur l’antenne de France Inter ce matin, même s’ils n’ont rien de scandaleux en soi, démontrent que l’état d’esprit des (ou de certains) dirigeants du PS n’est pas du tout au diapason de ce que suppose la réussite de telles primaires. Pour paraître suffisamment ouvertes et attirer, ou générer, une réelle ferveur populaire, elles doivent se faire suivant un principe de concurrence libre et non faussée. La confidence de Laurent Fabius, si l’on veut filer la métaphore économique, relève elle de l’accord de cartel, qui est – les vrais libéraux le savent bien – la meilleure façon de mimer la liberté tout en gardant fermement le contrôle en sous-main. Mais ce cartel des anciens ministres n’est pas la seule entaille à l’esprit des primaires. Quand d’autres – en l’occurrence François Hollande – proposent de leur côté de mettre en place un cens suffisamment élevé pour limiter le nombre de « candidats à la candidature » à une demi-dizaine, on peut poser la question de l’utilité de l’organisation de primaires au sens américain ou italien du terme. Elles visent l’engouement populaire – mais y aura-t-il vraiment foule pour aller rejouer un énième retour de la vengeance de la désignation de 2006 et du congrès de Reims ? Un mano a mano « Aubry/DSK/Fabius [rayer les mentions inutiles] et l’appareil » vs. Ségolène Royal, avec quelques outsiders se ralliant au bout du compte, en ronchonnant, à l’une ou à l’autre ? Un affrontement brutal rempli d’arrière-pensées et ré-ouvrant de vieilles plaies à quelques mois du scrutin décisif ?
Alors que les différences idéologiques sont devenues de plus en plus floues au sein d’un parti socialiste beaucoup plus homogène (politiquement s’entend) qu’il n’y paraît, il est clair que les clivages – et donc les vrais enjeux – sont plutôt entre le PS et ses voisins à gauche. Ce sont également ces clivages qui provoqueront des confrontations fratricides et stériles avant le premier tour des présidentielles. C’est eux qu’il faut affronter, et c’est précisément ce que permettrait une primaire de toute la gauche, où le choix se ferait non plus entre « gagnants » et « perdants » de Reims, mais entre, par exemple, Aubry, Cohn-Bendit, Royal et Mélenchon. Est-il encore temps de construire la dynamique unitaire sur laquelle pourrait se fonder une expérience aussi inédite ? Même si le train de l’unité a été raté aux européennes 2009 et dans la préparation des régionales 2010, on peut espérer qu’une large victoire de la gauche en mars prochain, avec la constitution d’exécutifs intégrant des élus de toutes tendances politiques, puisse servir de tremplin à une telle initiative. A défaut, si le PS est condamné à partir seul à la présidentielle, il faut se demander si l’organisation d’un congrès précoce (solution envisagée à mi-mots par Pierre Moscovici sur son blog), dont il serait entendu que le nouveau premier secrétaire en émergeant serait le candidat naturel à l’élection présidentielle, ne serait pas préférable. Admettons qu’un tel congrès soit organisé fin 2010 ou début 2011, cela laisserait ensuite une pleine année au premier secrétaire-candidat pour élaborer son programme, associer les Français, lancer une campagne d’adhésion et (ré)organiser le parti à sa convenance pour aborder l’élection dans les meilleures conditions.
Les primaires à l’américaine ou à l’italienne sont un processus complexe et potentiellement explosif, qui ne vaut la peine d’être tenté que si tous ses acteurs jouent pleinement le jeu, et si elles permettent d’unifier derrière un candidat non pas un seul parti, mais tout un camp politique. Si elles ne sont que l’occasion d’un nouveau psychodrame socialisto-socialiste, alors autant leur faire prendre la forme idoine – celle d’un congrès interne, avec pourquoi pas une campagne d’adhésion au préalable, comme en 2006 – et se réserver le temps nécessaire, ensuite, pour effacer les divisions et construite l’unité autour du premier secrétaire. Cela éviterait, du reste, l’éventuel conflit d’intérêts entre un premier secrétaire et un candidat à la présidentielle de bords opposés.
Romain Pigenel
13 Comments
Je ne suis pas loin de penser comme vous…….wait and see!!!!!!!!!!
Romain, ton raisonnement final tient debout. Mais quid de l’effet d’une mobilisation d’un ou deux millions de gens lors de la primaire par rapport à 200 000 socialistes ? (je suis généreux).
Et sur le projet as tu lu le blog de Gégé Colomb : pour lui le projet est “ecrit par Moscovici”.
Nous voilà prévenu : un nouveau trio magique s’occupe de nous.
Depuis quand les Primaires doivent faire émerger un Obama français? Les Primaires peuvent le faire émerger mais ce n’est pas une obligation.
Est-il étonnant de voir Fabius, DSK et Aubry décider de continuer une alliance qui fonctionne tant du point de vue idéologique que pratique?
Enfin, leur alliance ne leur permettra pas d’interdire tout autre candidature.
P.S.: j’ai voté contre les primaires.
Bizarre le raisonnement ! comme le politburo va truquer les primaires, supprimons les et faisons désigner le candidat par le même politburo ! autrement comme les truqueurs vont truquer autant leur donner tout de suite le résultat de leur vol.
On pourrait aussi raisonner sur comment empecher Fabius de truquer et assurer de vraies primaires ouvertes !
Et ces histoires de psychodrames ne tiennent pas debout, puisqu’à la fin s’il n’y a pas de primaires il y a aura le psychodrame au 1er tour de 2012, puisque personne n’éliminera S Royal sauf les citoyens.
La logique conduirait à une organisation de primaires totalement ouvertes au 1er semestre 2011 au scrutin majoritaire uninominal à 2 tours (parallélisme des formes avec la présidentielle), suivie par un congrès à l’automne 2011 pour refaire une unité (au moins de façade) et lancer la campagne.
Pas d’amertume à avoir, mais une ferme volonté d’avancer.
Trop chiant pour un type comme moi, pas membre du parti. Et content de ne pas l’être…
vivement cet été que je puisse faire comme abadindon, mettre un peu mon cerveau en vacances.
@Dagrouik : je doute justement qu’une primaire trustée par des combines d’appareil et des alliances cent fois vues passionne les foules, qui risquent plutôt de ressentir une certaine lassitude mêlée de dégoût … mais c’est à voir
@Abadinte : toute la littérature pro-primaires explique que seul ce système peut et va faire émerger un outsider contre le système. Pour le reste non seulement cette triade capitoline ne va pas empêcher d’autres candidatures, mais elle va même sans doute remettre Royal en piste tellement la manoeuvre est grossière!
@Marcel quelles différences entre des primaires réservées au seul PS et un congrès ? Au moins le congrès fera moins de dégâts dans l’opinion.
Romain, c’est justement le but des primaires ouvertes, d’ouvrir le parti vers la société et mettre les débats sur l’agora. Le vainqueur gagne sur son projet et son charisme dans un choix citoyen.
C’est vrai que çà va bouleverser le fonctionnement du parti (surtout si cela s’étend à d’autres elections), mais il faut savoir ce que l’on veut, ou on rénove , ou on ne change rien et on se contente d’administer des communes et des régions.
Un congrès de magouilles fera beaucoup plus de dégats dans l’opinion.
La question du candidat est secondaire: sans programme (clair, compréhensible, et résumable en phrases simple _ qui prouvent que les questions ont été pensées) et sans un enthousiasme venu de la base, ils auront beau jouer à qui a le plus beau plumage, ça ne marchera pas!
Je ne comprends pas le sentiment anti-fabiusien qui perle derrière ce texte : il est de manière évidente le meilleur orateur à gauche et s’il parvient à s’imposer au PS, il sera le plus à même de le faire gagner. Les Français ne sont pas adeptes de candidats sortis de nulle part : ils veulent de l’expérience, de l’assurance, de l’expertise. Les Français sont fondamentalement des conservateurs, ne leur donnez pas un candidat “néo-progresso-révolutionao-écolosocialiste”, il ne sera pas élu.
Pardon mais les “3″ ont fait une motion commune dont les membres continuent à fonctionner ensemble. Fabius a toujours dit qu’il ne serait plus candidat, qu’il voulait prendre une place de “sage”.
Je ne vois pas la perfidie dans cette histoire; par ailleurs, la multiplicité des candidatures ne peut que balkanyser le parti, épuiser l’organisation etc.
La politique c’est aussi ça: faire des alliances et essayer de faire en sorte qu’elles soient solides. Je comprends que ce soit compliqué pour un drayiste
Je ne comprends pas le procès d’intention que tu fais.
J’ajoute que je ne suis pas pour des primaires, et, contrairement à Dagrouik, je ne pense pas que le processus puisse mobiliser au delà de ses 200 000 socialistes généreusement accordés, surtout si les “courants” et les “tenors” ont l’(air de partir divisés.
@Eric : rien à ajouter à ce que vous dites, des primaires réduites à un concours d’éloquence seront un simple gadget, sans doute nocif
@Alistair : on ne doit pas vivre sur la même planète …
@Mathilde P : sur la non-candidature de ton pote, les promesses, par définition, n’engagent que celles et ceux qui y croient Pour le reste je pense que les primaires effectivement ne fonctionneront que s’il y a un vrai enjeu, avec des candidatures diverses (idéologiquement et programmatiquement) et à armes égales. Si le seul but est de valider un choix d’appareil autant s’en passer !
@ superpado
tu me fais toujours pleurer de rire.
tu é trô.
@ Alistair
là, je n’ai plus de larmes pour pleurer !!!
10 Trackbacks/Pingbacks
Primaires PS & règlements de comptes, stop ou encore? http://tinyurl.com/yfwzuzj #2012
Amères primaires: On aura au moins appris une chose aujourd'hui : pendant les régionales, Laurent Fabius continue … http://bit.ly/9wqlug
Amères primaires http://tinyurl.com/yfwzuzj (via @Romain_Pigenel )
[...] n’a fait que rappeler des éléments qui sont tout sauf nouveaux ; qu’il existe une sorte d’accord de cartel entre DSK, Aubry et Fabius pour neutraliser les primaires PS ; que, comme ce dernier l’avait déjà suggéré en début [...]
[...] fait que rappeler des éléments qui sont tout sauf nouveaux ; qu’il existe une sorte d’accord de cartel entre DSK, Aubry et Fabius pour neutraliser les primaires PS ; que, comme ce dernier l’avait déjà [...]
[...] Variae (Romain Pigenel) : amères primaires [...]
[...] bout une relation « apaisée » avec son actuelle direction, au point de s’inviter dans un pacte/pack grand-guignolesque ; donner tous les gages de loyauté possibles à la première secrétaire ; tout [...]
[...] une autre de désigner ce que tout le monde savait et qui n’était pas proprement scandaleux, quoi qu’on puisse en penser politiquement : la stratégie commune de plusieurs candidats potentiels. C’est exactement l’inverse [...]
[...] Amères primaires Car on nous annonce depuis des mois que les Primaires (© Obama) vont révolutionner le premier parti de gauche , apporter un souffle d’air frais et de glorieuse incertitude dans ses processus interne de désignation (pour la présidentielle) et permettre l’émergence d’un Obama français (comprendre : un parfait outsider issus de la « base » qui s’impose à l’appareil grâce à son seul talent). Or ces propos tenus sur l’antenne de France Inter ce matin, même s’ils n’ont rien de scandaleux en soi, démontrent que l’état d’esprit des (ou de certains) dirigeants du PS n’est pas du tout au diapason de ce que suppose la réussite de telles primaires. [...]
[...] Invité de Nicolas Demorand sur France Inter ce matin, il a glissé en fin d’interview une information tout sauf anodine : il n’y aura pas d’affrontement entre DSK, Martine Aubry et lui-même dans les primaires du Parti socialiste. Amères primaires [...]
Post a Comment