Et voilà : sacrifiant à ce qui semble désormais être une sorte de rite de passage chez les leaders socialistes, Martine Aubry a fait son Zénith, avec discours politiques et chansons à l’appui. L’événement, de par son ampleur et son insertion dans le dispositif d’opposition du PS, se devait d’être une réussite : il venait soutenir la parution d’une publication sur les libertés publiques, pierre d’angle de l’offensive contre Nicolas Sarkozy. Force est de constater que l’affluence modeste à l’événement, fortement relayée par les médias, constitue a contrario un caillou de plus dans la chaussure du premier parti de gauche. Quelles leçons tirer de ce résultat en demi-teinte ?
De la difficulté de ramer à contre-courant. On sait que Martine Aubry et les membres de son actuelle direction, en d’autres temps, avaient critiqué la conception de la politique consistant à naviguer à vue, en fonction des sondages. On lui sait gré de vouloir, au contraire, restaurer une pratique plus noble de cette même politique, visant à construire un agenda d’actions avec sa logique propre et à suivre des priorités rationnellement définies. Mais il y a certainement un juste milieu entre l’asservissement aux plus petits soubresauts de l’opinion, et le fait de passer outre les tendances de fond de celle-ci. Les dernières semaines ont été marquées par la peur de la crise économique et de ses conséquences sociales, comme en témoignait jeudi dernier encore le succès de la mobilisation interprofessionnelle. La montée du chômage et de la précarité, qui frappent directement ou indirectement tous les Français, est une angoisse obsédante pour la plupart d’entre eux. Comment imprégner l’opinion d’une nouvelle thématique, relativement abstraite dans sa dénomination (les libertés), alors que cette même opinion est tout entière concentrée sur un autre sujet, systématiquement rappelé dans les médias qui plus est ?
Les limites du militantisme passif. Christophe Borgel et François Lamy, dans leurs commentaires d’après-match, ont accusé l’état de délabrement des fédérations du PS, qui ne seraient plus en état de « mobiliser » les militants socialistes quand le besoin s’en fait sentir. Curieuse conception du militantisme, qui semble prendre le problème à l’envers : n’est-ce pas d’abord le manque de motivation des militants qui est questionnant ? A dire vrai, la réponse proposée par nos deux éminents camarades nous donne sans doute une piste. Peut-être les militants ne veulent-ils plus être sollicités passivement, « mobilisés », mais au contraire être intégrés de façon active dans le processus de construction du programme et de la stratégie du PS. C’est sans doute aussi la leçon qu’il faut tirer du taux d’abstention massif lors du scrutin pour la désignation de nos listes pour les européennes (scrutin où la seule latitude de choix laissée, pour mémoire, était de voter pour ou contre des listes pré-élaborées). La formule adoptée pour la campagne pour les libertés publiques semble de ce point de vue assez déficiente : son ouvrage de base est déjà publié (même si une publication plus propositionnelle devrait suivre), et la participation des militants semble pour le moment limitée à l’envoi de témoignages sur des atteintes aux libertés – ce qui met de facto hors-jeu les socialistes, sans doute nombreux, qui n’ont pas eu la « chance » d’être victimes d’une expulsion du territoire ou d’une fouille au corps abusive !
La leçon oubliée du paquet fiscal. Parmi les réussites du PS depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, on peut sans doute mettre en exergue la dénonciation réussie du « paquet fiscal », devenu depuis un terme miné, même pour la droite. Cette réussite reposait sur une recette simple : la répétition ad nauseam du rappel des « 15 milliards » de cadeaux faits « aux plus riches ». Dans un univers de saturation informationnelle, seule une information simple et suffisamment martelée a quelques chances de surnager, sans parler de s’imposer, dans le mælstrom médiatique. La communication du PS, depuis janvier, a tendance à oublier cette leçon simple : le contre-plan de relance socialiste a somme toute été relativement peu utilisé, et est définitivement poussé en retrait par la campagne sur les libertés publiques. Ces deux campagnes, par ailleurs, n’ont pas encore su trouver les mots d’ordre simples, les mesures frappantes susceptibles de marquer l’opinion, pêchant l’une et l’autre par une abondance de contenus et de thématiques qui nuisent à la clarté du message.
Il y a opportunisme et opportunisme. Un parti politique (à plus forte raison dans l’opposition) se doit d’être opportuniste, au sens neutre du terme : être capable de repérer et d’accrocher les signaux faibles des débats qui intéressent la population, et de rebondir dessus pour apporter des analyses et des propositions. Mais il y a un monde entre se saisir des opportunités ouvertes dans l’espace public, et se lancer dans une stratégie d’attrape-tout et d’amalgame, revenant à écraser sous un chapeau commun des choses aussi différentes que l’homophobie, la protection des sources de presse ou les sans-papiers. La dénonciation systématique et outrancière, dont a bien parlé Manuel Valls sur son blog, n’est pas ce qu’attendent les Français d’un parti ayant vocation à gouverner leur pays. Et surtout, cela ne convainc personne, à part peut-être les quelques pourcentages d’électorat contestataire habitués à voter NPA ou assimilé. A contrario, il aurait été plus avisé de se concentrer sur des points particuliers et de mener des opérations ciblées et percutantes – au hasard, sur la loi HADOPI ou la politique d’expulsion.
Un éléphant, ça se trompe énormément. Alors que notre première secrétaire évoquait il y a peu le cimetière des éléphants, c’est le PS tout entier qui donne le sentiment d’être un gros animal un peu pataud, essayant d’être dans la tendance, mais peinant à trouver la bonne direction. Des événements de format « Zénith » devraient être conçus comme le point d’orgue de mobilisations de long terme, et non comme des coups de poker un peu hasardeux pour le lancement de nouvelles thématiques. Il aurait sans doute été bien plus judicieux, en l’occurrence, de continuer à creuser le sillon du contre-plan de relance, en faisant de ce Zénith un grand rassemblement citoyen sur la crise, esquissant la nouvelle donne économique et sociale que permettrait de faire advenir une victoire des socialistes aux élections européennes.
Souhaitons que ce couac dominical reste un simple incident de parcours, et ne donne pas au Zénith des allures de Capitole …
Romain Pigenel
4 Comments
En cette veille d’élection démocratique, peu populaire et accessoirement européenne, faisons un point sur la véracité de la bipolarité politique et de ces chirurgies idéologiques qui décrédibilisent.
Pour notre étude cas, prenons par un exemple une entité de management de troupeau dépolitisé et de promotion sociale par trahison familiale.
Cette entreprise philanthrope est prisonnière de racines humanistes surfaites comme Mendès France et n’assumant pas ses penchants consuméristes pour l’économie de marché comme Mitterrand.
La suite ici :
http://souklaye.wordpress.com/2009/03/21/best-of-anticipation-le-parti-socialiste-sera-droite-ou-ne-sera-pas/
merci pour l’article …
de très bonnes remarques !
(LU AUSSI SUR LE POST.FR)
via une amie qui me l’a signalé ce midi !
cordialement
@ +
JL
Rite de passage n’existe pas, c’est un très très mauvais franglisme d’après l’anglais “rite of passage” qui se traduit par “rituel d’initiation”. Dans votre cas, je pense que vous vouliez dire quelque chose comme “passage obligé”.
Il me semble que “rite de passage”, pour “rituel d’initiation” effectivement, est bien validé dans le domaine des sciences sociales … même s’il s’agit peut-être d’une adaptation de l’anglais au départ. En tout cas je l’entendais bien au sens ethnologique et non pas simplement comme “passage obligé”.
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