« Quelle est, pour moi, la principale injustice dans notre pays ? C’est que celui qui travaille n’ait pas un véritable écart avec celui qui bénéficie des minima sociaux (…) Cette situation-là est pour moi le cancer de la société française ». Quand la Droite sociale s’énerve, elle envoie du petit bois. Cette intervention de Laurent Wauquiez, qui semble avoir jeté le trouble jusque dans les rangs de la majorité, n’est pas tant étonnante par la thématique développée, grand classique de la droite sarkozienne, que par la dureté du terme employé. L’assistanat, un cancer ? Je ne sais pas si des recensions existent sur la question, mais je ne me souviens que de peu d’occurrences de l’emploi d’un nom de maladie grave dans le débat politique, à part le fameux « sida mental » cher à Louis Pauwels. La dureté du propos surprend et attire l’attention. De deux choses l’une : soit il s’agit d’une erreur, d’une parole lâchée trop hâtivement, sans réfléchir ; soit il s’agit d’un coup délibéré et préparé en toute connaissance de cause. Créditant Laurent Wauquiez de suffisamment d’intelligence pour ne pas commettre une telle boulette malgré lui, reste donc la seconde option. Quels peuvent bien être les bénéfices espérés d’une telle violence verbale ?
Le premier bénéfice est probablement à chercher du côté de l’électorat que Nicolas Sarkozy cherche à capter en 2012. 2007 s’était gagné entre autres sur la « valeur travail » et, déjà, le refus déclaré de l’assistanat, quoi que ce terme puisse bien recouvrir d’ailleurs. La thématique, même si on peut le déplorer, s’est avérée porteuse du côté des travailleurs des classes populaires et moyennes, et probablement aussi de celui des retraités inquiets de la pérennité de leurs propres prestations sociales. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy doit retrouver le contact avec les premiers, et conserver à ses côtés les seconds, s’il entend concourir victorieusement à la prochaine présidentielle. Puisque son bilan ne plaide pas pour lui, il va forcément être conduit, durant sa campagne, à une surenchère verbale par rapport aux promesses déjà faites il y a 5 ans : on a déjà vu cette radicalisation à l’œuvre sur les questions de sécurité à partir de l’été dernier, on assiste probablement à la phase sociale de cette stratégie.
Le deuxième objectif, on peut l’imaginer, concerne plus ses adversaires de gauche. Si la question de l’assistanat est bien un point sensible pour l’électorat modeste, il est stratégiquement utile de mettre le PS et la gauche en porte-à-faux sur ce point. A cet égard, le « cancer de l’assistanat » est une sorte de chiffon rouge qui conduit la gauche à sur-réagir et donc, d’une certaine manière, à apparaître comme les défenseurs de l’assistanat. Répondre à Wauquiez que le vrai problème du pays, c’est le chômage, c’est factuellement juste, mais cela peut aussi donner le sentiment de nier un problème ressenti (à tort ou à raison, mais ce n’est pas la question) comme prégnant par bon nombre de Français. L’idéal serait d’apporter une réponse mesurée, en ne niant pas l’existence de situations problématiques mais en les replaçant dans un contexte d’ensemble. La violence des propos de Wauquiez ôte justement toute place à la nuance, et conduit ses adversaires, eux-mêmes, à dérailler et à se déporter sur un terrain glissant.
Le troisième objectif est sans doute relatif à des questions de maîtrise de « l’agenda », de définition des grandes thématiques du débat présidentiel. La situation calamiteuse de la fin de mandat de Nicolas Sarkozy devrait donner toute latitude à la gauche pour imposer ses problématiques. Or ses deux principales formations – PS et Europe Ecologie – sont pour l’heure paralysées dans des questions de candidatures, voire de direction interne, qui les empêchent de porter une parole claire et audible, et a fortiori de déterminer le cadre du débat politique. C’est donc le moment ou jamais pour l’Elysée de saisir le gouvernail, pour installer ses propres thématiques – et réduire la gauche à la défensive. Si la gauche était en ordre de bataille, elle pourrait construire une importante séquence médiatique et politique autour du bilan de l’UMP sur l’emploi, par exemple, et développer ses propositions en ce domaine. En l’état, le PS en vient à gâcher ce thème pour répondre à une attaque de l’UMP, et encore, en reprenant (et donc, en quelque sorte, en légitimant) le terme imposé par Wauquiez, celui de cancer !
La stratégie semble claire : elle a déjà servi, et servira sans doute encore, pendant les prochains mois. La gauche doit très vite réfléchir à la meilleure façon de répondre à ces provocations que l’on imagine très calculées, si elle ne veut pas perdre des points qui compteront cher dans la bataille qui commence.
Romain Pigenel
Les autres mots de la politique : à retrouver ici.
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4 Comments
Trés bien
vous indiquez “La gauche doit très vite réfléchir à la meilleure façon de répondre à ces provocations”
mais vous voulez parler de réponses de “la gauche” ou bien du PS (en effet, la période actuelle me semble peu propice à un “programme commun” et des “réponses communes” des différentes forces composant la gauche… non ?) ?
@+
PS : vos analyses sont toujours intéressantes (même si je ne partage pas toujours votre avis… ;o))
Vous parlez de l’annonce de cette réforme en la réduisant à une stratégie électorale.
Ce n’est pas que ça.
Cette annonce nous ouvre les yeux sur le peu d’ambition de notre gouvernement pour les Français. Sur le respect qu’ils ont pour eux.
Au lieu d’encourager la véritable embauche, on réduit l’assistance.
Pour ne pas frustrer les salariés, on diminue le cumul des revenus sociaux de ceux qui ne trouvent pas de travail.
On oblige à un travail bénévole ceux qui entendent depuis des mois ou des années qu’on ne les embauche pas à cause de la crise.
Ils restent des assistés. Leur statut ne change pas. Ils bossent pour rien.
Ils fournissent de la main d’œuvre gratuite à ceux qui pourraient embaucher.
Comment encourager les employeurs à employer avec ça ?
Si on leur donne du boulot, qu’ils soient payés pour ça. Qu’ils aient un salaire et un contrat normal.
Sinon, c’est de l’esclavage, rien d’autre.
@l’autre Romain : merci !
@Nap : merci, effectivement je switche parfois sans m’en rendre compte entre “la gauche” et “le PS”, signe d’un désir mal refoulé d’union de la gauche Mais je garde l’espoir !
@Françoise : question compliquée, il y a du travail en France (même si pas assez) et il ne devrait normalement pas y avoir tant de chômeurs … On a un gros pb de formation et d’insertion professionnelle pour les publics “éloignés de l’emploi”, comme on dit pudiquement. Il faut mettre en place des formations éphémères et tournantes pour répondre aux besoins de main d’oeuvre surgissant régulièrement dans tel ou tel secteur … effectivement le gouvernement actuel ne fait absolument RIEN en ce sens. On marche sur la tête.
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[Variae] Wauquiez, cancérologie et stratégie http://tinyurl.com/3gpq659
RT @Romain_Pigenel: [Variae] Wauquiez, cancérologie et stratégie http://tinyurl.com/3gpq659
[...] fait d’arme : l’assistanat est un cancer dont il faut endiguer par un servage [...]
[...] dynamique », alors que l’ouvrier est dans « le repli » contre « les immigrés, les assistés, la perte des valeurs morales [lesquelles ?] et les désordres de la société contemporaine [...]
[...] est donc de reprendre ce terme, même dans l’espoir illusoire de se l’approprier. Accepter les mots de l’adversaire, comme l’a fait Martine Aubry, c’est leur (et donc lui) donner un peu plus de [...]
[...] de la polémique politicienne et de la tactique. C’est un coup classique de l’UMP, et que j’ai souvent analysé sur Variae : celui du pavé dans la mare. Le pavé dans la mare, déjà, permet d’attirer [...]
[...] l’agenda politique, en lançant (avec plus ou moins de succès, mais c’est un autre sujet) des débats fortement idéologiques et souvent coupés des problèmes immédiats des Français. Les [...]
[...] l’agenda politique, en lançant (avec plus ou moins de succès, mais c’est un autre sujet) des débats fortement idéologiques et souvent coupés des problèmes immédiats des Français. Les [...]
[...] travail sur son projet présidentiel, avec l’approbation de François Fillon. La méthode est désormais rodée : on nous explique que la proposition vient de la droite populaire, mais que l’Élysée [...]
[...] du Sarkozy « premier flic de France ». C’est aujourd’hui, après le « cancer de l’assistanat », la fraude sociale que l’on érige au rang de cause nationale – en oubliant au passage [...]
[...] côté une droite populaire dont le titre dit assez bien les ambitions, et de l’autre une « droite sociale » qui, sous la houlette de Laurent Wauquiez, entend pour sa part s’occuper des classes [...]
[...] Sans que l’on ait besoin de rien faire, un jouet tombe dans la cheminée. Le summum de l’assistanat, le cauchemar de la droite populaire. L’identification à gauche serait donc tentante. Mais [...]
[...] et donc des pas minables. Il existe un traitement encore plus efficace que les rayons pour ce cancer particulier : le travail forcé [...]
[...] Laurent Wauquiez [...]
[...] cancer de l’assistanat est contagieux, le saviez-vous ? Et un homme des classes moyennes tel que moi y est [...]
[...] forte selon sa gravité. Plus jamais vous ne passerez à côté d’une information sur l’assistanat de votre [...]
[...] par « le prix de l’essence et le coût du gardiennage pour [leur] véhicule », et « les assistés du métropolitain », qui « ignorent le stress induit par les risques de carjacking » et les [...]
[...] » par « le prix de l’essence et le coût du gardiennage pour [leur] véhicule », et « les assistés du métropolitain », qui « ignorent le stress induit par les risques de carjacking » et les « [...]
[...] finir avec la dérive droitière des années précédentes, en luttant courageusement contre « le cancer de l’assistanat ». Un combat que pourrait sans doute partager « la droite populaire », qui saluait il y a peu [...]
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