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Obama et les poissons rouges : comment le GIF a vaincu la vidéo

Consécration linguistique pour le GIF (Graphics Interchange Format), type de fichier d’image ou d’animation élu, en ce mois de novembre 2012, « mot de l’année » par le dictionnaire américain Oxford. Un temps considéré comme vestige honteux de la préhistoire d’Internet, il est revenu en grâce via les forums, la culture « LOL » et les mèmes, jusqu’à devenir un des formats les plus en vogue sur la toile. Autre consécration, son omniprésence, avec plus largement toutes les formes d’images, sur le tumblr de campagne de Barack Obama, à qui revient sans doute le privilège d’avoir introduit le mur de GIF en politique.

C’est une particularité de ce Tumblr, pivot de la campagne numérique du président américain sortant, qui m’a très tôt frappé : le parti-pris très net de privilégier les images – GIF donc, Instagrams, infographies … – contre les vidéos. Je n’ai pas de chiffres précis, mais une rapide visite sur ce site de campagne suffit à constater un ratio images/vidéos en écrasante faveur des premières. Ce n’est pas banal, car la tentation, dans le monde politique en particulier, est généralement de considérer la vidéo comme moyen le plus moderne et donc (hic jacet lepus) le plus efficace de communiquer ; on se souvient, par exemple, de la « Sarko TV » de l’élection 2007 en France. Et ceci alors même que les vidéos de propagande, en politique en tout cas, plafonnent en général à quelques milliers de vues.

 

Pourquoi cette prééminence des images chez Obama ? Pour s’adapter aux usages des jeunes, cible de ce Tumblr ? Explication circulaire … qui n’explique pas ce qu’un nombre croissant de professionnels d’Internet constatent, à savoir la viralité supérieure d’un format censément plus pauvre et moins moderne, l’image, par rapport à la vidéo ; ou en tout cas le caractère indispensable de l’image dans une stratégie en ligne. Je lisais ainsi récemment sous la plume de Virginie Berger, spécialiste de la communication numérique dans le monde de la musique, dans un billet à propos des bonnes pratiques sur Facebook : « Utilisez des photos. Les posts qui en plus intègrent une photo  ont une interaction de plus de 39% par rapport à ceux qui n’en utilisent pas. Soyez prudent avec les vidéos. Les vidéos reçoivent moins de likes, partages et commentaires que la moyenne ». Ou encore ailleurs au sujet de Twitter : « tweeting without ever including a picture is becoming increasingly difficult to avoid » (Social Media Today, 5 Reasons Why Your Business Needs Pictures When Tweeting ».

 

Quels sont les atouts de l’image – fixe ou animée – qui la distinguent de la vidéo ? Postulons qu’il existe deux grands types de médias, synchroniques et diachroniques. J’appelle médias synchroniques ceux dont on peut appréhender le contenu dans l’instant, d’un coup d’œil. Cela ne veut pas dire que l’on va épuiser tout leur sens en quelques secondes, mais que l’on peut très rapidement saisir de quoi il retourne. J’appelle a contrario médias diachroniques ceux qui nécessitent un temps long (à l’échelle du web, de quelques minutes par exemple) et incompressible pour être appréhendés. Une photo, une animation GIF, une dataviz, un raisonnement écrit entrent clairement dans la première catégorie ; une vidéo ou un texte fictionnel dans la seconde. Autant on peut en quelques secondes, par un regard « en diagonale », se faire une idée du contenu d’une infographie ou d’un raisonnement structuré, autant un texte non structuré, un enregistrement sonore ou une vidéo nécessitent une allocation de ressources attentionnelles non négligeable, et quelques minutes incompressibles à y consacrer (sauf à tenter de comprendre une vidéo en avance rapide).

 

Ce clivage est fondamental. Parce que l’Internet actuel est de plus en plus un réseau de l’instantané et du fractionné, où une notification chasse l’autre et où l’attention (déjà réduite de 40% en dix ans, à en croire des chiffres récemment publiés) est une ressource extrêmement sollicitée. Les réseaux sociaux conditionnent une navigation en ligne où l’on papillonne, glisse sur une multitude de contenus, sans avoir le temps (ni l’envie) de se plonger dans chacun d’entre eux. De manière significative, un lien peut ainsi être abondamment tweeté et retweeté … sans pour autant être cliqué, et donc réellement consulté (voir l’étude de Hubspot à ce sujet). Afficher une image insérée dans un tweet prend une fraction de seconde. Mais aurez-vous le temps et la volonté de dépenser 2 précieuses minutes pour regarder la vidéo du tweet suivant, sauf si elle porte une promesse réellement motivante (bande-annonce d’un film attendu, vidéo présentée comme particulièrement drôle …) ?

 

Argument connexe, les images sont des formats simples et plus robustes que les vidéos. Une image s’affiche simplement sur tout appareil, elle ne risque jamais, à la différence d’une vidéo, de « planter » pour un problème de lecteur Flash non mis à jour, ou parce que votre smartphone n’est pas compatible. En outre, cette simplicité permet et favorise détournements, reprises, modifications, toutes pratiques essentielles de l’actuelle culture web. Réaliser les mêmes opérations sur une vidéo nécessite une compétence technique (et là encore, une quantité de temps) bien supérieure.

 

La temporalité propre à l’Internet actuel favorise une attitude cognitive de « poisson rouge », où l’on consomme dans l’instant une grande quantité de contenus successifs, généralement vite oubliés et remplacés par d’autres contenus, noyés dans un flot de notifications issues de multiples applications et réseaux sociaux. La photo y trouve sa place sans effort, là où la vidéo nécessite au contraire plus d’efforts que de coutume pour être consommée. Cela ne veut bien entendu pas dire qu’elle est devenue un média de seconde zone (confere le succès inouï du Gangnam style), mais qu’elle a vocation à être utilisée de manière plus parcimonieuse et surtout plus qualitative, pour avoir une chance de percer dans la jungle des sollicitations attentionnelles.

 

Romain Pigenel

Les mots de la politique (31) : Marine Le Pen, le FN et le « plafond de verre »

« Nous avons brisé ce plafond de verre, nous faisons entrer 3 députés qui vont représenter chacun 1 million d’électeurs [à l'Assemblée Nationale] ». Ainsi s’est exprimée Marine Le Pen dimanche, au soir du second tour des élections législatives qui ont vu son parti retrouver une présence parlementaire. Dans ces mots une expression singulière : le « plafond de verre ». Ce n’est pas la première fois qu’on l’entend dans sa bouche : c’est même un classique du vocabulaire mariniste de ces derniers mois, au moins.

Le problème peut s’exprimer de différentes manières, mais il est ancien : celui de la représentation à l’Assemblée Nationale du Front National, régulièrement doté d’un nombre de députés tout sauf proportionnel à son nombre de voix. Deux causes sont régulièrement imputées à cet état de fait : le mode de scrutin, uninominal, qui favorise les grands partis à la différence de la proportionnelle, et le principe du « cordon sanitaire » ou du « front républicain », qui voyait jusqu’à cette année les partis « républicains » s’entre-désister et se soutenir systématiquement au deuxième tour pour « faire barrage » au FN. Cette double contrainte, constitutionnelle et politique, est dénoncée de longue date par le Front National. Mais sous une forme qui a évolué.

 

Car autant le terme de « plafond de verre » est ancré dans le langage de Marine Le Pen, autant il me semble étranger à celui de son père. Chez Jean-Marie Le Pen, la critique de cette situation passait par le langage complotiste et extrémiste (dénonciation, donc, d’un « complot » ou encore de méthodes « staliniennes » comme au soir du second tour de 2002). Il faisait également régulièrement référence à la « diabolisation » injuste frappant son parti. Ces termes ne disparaissent pas de la bouche de sa fille ; mais ils se complètent d’un concept – le plafond de verre – qui relève d’un horizon idéologique bien différent.

 

C’est peu dire que cette expression n’appartient pas au vocabulaire de l’extrême-droite : désignant les blocages invisibles empêchant certaines catégories de population (les femmes en particulier) de s’élever dans la hiérarchie d’une organisation ou d’une société, elle s’inscrit d’abord dans le cadre de la lutte contre les discriminations, et donc dans un champ de réflexion (féminisme, anti-racisme, progressisme …) qui est a priori strictement opposé au Front National et à ce qu’il représente. Un champ de réflexion qui s’intéresse à ce que l’on considère d’ordinaire comme le camp des victimes de l’injustice, et donc d’une certaine manière le camp du bien. Soit l’inverse de l’extrême-droite.

 

Quand Jean-Marie Le Pen en appelait à la « diabolisation » ou au « complot » pour dénoncer l’injustice subie par le FN, il cantonnait, sémantiquement et conceptuellement, son parti à un purgatoire infréquentable. Nier à tue-tête que son parti soit « diabolique », c’est accepter que le débat se pose sur ce seul terrain, et c’est donc d’une certaine manière accepter ladite diabolisation. En utilisant au contraire un concept renvoyant à la sociologie de gauche et à la lutte contre les discriminations, Marine Le Pen déplace le débat sur une nouvelle question : les électeurs FN sont-ils eux aussi une minorité discriminée, comme les femmes, les homosexuels ou les Français « d’origine étrangère » ?

 

Ce glissement de sens est d’autant plus intéressant qu’il rejoint un changement plus général au sein de la droite dure (de la droite dite populaire au FN à proprement parler). L’extrême-droite / droite extrême new look a observé ses ennemis et appris à retourner leur langage et leurs méthodes à son avantage. C’est ainsi qu’Eric Zemmour ne se plaint pas du trop grand nombre de Noirs ou d’Arabes, mais condamne la stigmatisation de « l’homme blanc » pour attaquer Christiane Taubira. C’est ainsi aussi que Claude Guéant, après sa sortie sur les civilisations qui « ne se valent pas », prend la posture de la victime contre Serge Letchimy. Une sorte de judo idéologique, dans la lignée de la vieille accusation de « racisme anti-blanc », qui brouille et inverse les repères habituels : le partisan de Marine Le Pen devient un individu discriminé parmi d’autres, et même plus à plaindre que ses camarades d’infortune femmes, « immigrés » ou homosexuels, car eux bénéficient du soutien des médias et de la bien-pensance !

 

Le travail de normalisation du Front National dépasse donc de loin la seule féminité blonde de Marine Le Pen et de sa nièce : il passe par un travail méticuleux sur les mots et les idées que l’on aurait tort de sous-estimer. Un travail qui appelle sans doute un aggiornamento de même ampleur du côté de ses adversaires idéologiques, qui risquent sinon de lui répondre, de plus en plus, dans le vide.

 

Romain Pigenel

 

Les autres mots de la politique sont ici.

La gauche pire que le FN : vous en rêviez, l’UMP l’a dit

En ces jours critiques qui voient la « digue » entre l’UMP et le FN se couvrir d’inquiétantes lézardes, on tend à se focaliser sur quelques personnalités très saillantes – élus ouvertement pro-FN, ou « ténors » type Nadine Morano – pour prendre le pouls du premier parti de droite. C’est un tort : en pareille situation, il est toujours plus intéressant, et révélateur, de s’intéresser aux faits et gestes des élus et responsables politiques moyens, représentatifs de la majorité de leurs pairs, pas particulièrement connus pour leurs excès.

 

Connaissez-vous Philippe Marini ? Costume-rayé-bleu-cravate-rouge très fillonesques, fines lunettes, cheveux blancs, l’air sérieux, interviewé sur Public Sénat car sénateur-maire et président de la commission des finances de l’auguste assemblée. Un homme sérieux, on vous dit, plus connu, sauf erreur de ma part, pour des interventions budgétaires que pour des scandales médiatiques ou sorties hasardeuses sur les civilisations qui ne se valent pas.

On imagine Philippe Marini très concerné par l’entre-deux-tours des législatives, l’avenir de l’UMP et dans l’immédiat de ses députés. Très conscient de l’intérêt grandissant pour le FN des électeurs de droite, et des débats à la tête de son parti sur l’attitude à adopter à l’égard de la formation d’extrême-droite. Bref, un bon mètre-étalon des préoccupations moyennes de tout cadre ou militant UMP, actuellement. Interrogé, donc, par les journalistes de Public Sénat sur le cas de Roland Chassain – candidat de l’ex-parti présidentiel se désistant en faveur du FN pour le deuxième tour des législatives – il livre cet étonnant raisonnement en plusieurs étapes.

Premièrement : « il appartient [à Roland Chassain] d’apprécier l’état d’esprit de ses électeurs et le climat de sa circonscription ». Marini, « décentralisateur », refuse de le juger. Pendant ce temps, Jean-François Copé, chef jusqu’à preuve du contraire de l’UMP, a officiellement condamné les alliances de ce type (c’est le sens du ni-ni) et enclenché la procédure d’exclusion de Chassain. Y a-t-il encore une ligne politique unique et partagée à l’UMP ? Mystère. En attendant, la position de Marini est absolument explicite : l’attitude à avoir face au FN n’est pas ou plus une question de principe, mais d’observation du terrain, au coup par coup. En clair, la digue mentale a déjà cédé.

Deuxièmement : « s’il y a quelques députés en nombre très limité du FN, la République ne va pas être transformée ». Curieux raisonnement : d’un côté, on admet que les députés FN sont en mesure de « transformer » (en mal, on imagine) la République ; de l’autre, on tolère leur présence. Résumons : les Frontistes sont dangereux sans l’être tout en l’étant. Tout ceci est, on en conviendra, d’une extrême cohérence.

Troisièmement : « à l’inverse, si le Parti socialiste a tous les pouvoirs dans cette République, y compris le pouvoir constituant, nous serions en grave danger ». On touche ici au sublime, la conjonction de l’idée à mode à droite – le FN est quand même fréquentable – et d’un élément de langage éprouvé de l’UMP post-6 mai – si le PS gagne les législatives, il deviendra un parti totalitaire.

Analysons un peu cet intéressant syllogisme. Si le PS a « tous les pouvoirs » (collectivités territoriales, Sénat, Assemblée, Présidence), il mettra en œuvre une politique de … gauche. Ni plus ni moins. Si des députés FN sont élus, ils se feront les porte-paroles d’une politique d’extrême-droite.  Ce que nous dit donc très tranquillement Marini, c’est que dans l’absolu, la mise en œuvre d’une politique de gauche est un si grave danger que tout ce qui permet de l’endiguer est bon à prendre – même l’élection de députés capables, s’ils étaient plus nombreux, de mettre à bas la République.

Bref, que la gauche est potentiellement plus dangereuse que l’extrême-droite.

Cela rappelle un slogan déjà entendu dans l’Histoire – Better dead than red. Qu’en pensent Jean-François Copé et François Fillon ? Vont-ils exclure les UMPistes mettant en pratique cette théorie (Chassain) mais fermer les yeux sur ceux qui la prêchent (Marini) en toute franchise ?

Y a-t-il encore une ligne politique à l’UMP ?

Romain Pigenel

Prometheus, l’Avatar-isation de Ridley Scott

Un film ne se résume certes pas à ses premières images, mais elles donnent incontestablement le la pour les suivantes. A cet égard, Prometheus, le nouveau film de Ridley Scott met les pieds dans le plat. Le spectateur est confronté, au bout de quelques minutes seulement, à un long plan sur un extra-terrestre, humanoïde albinos de grande taille, et pour tout dire assez ridicule – ou du moins bien éloigné de l’ambiance et du ton de la saga Alien.

C’est toute l’ambiguïté de Prometheus, film racontant la mission d’exploration interplanétaire d’un groupe de scientifiques recherchant les origines de la vie sur Terre. D’abord présenté comme un préquel d’Alien, expliquant l’origine des créatures du même nom et peut-être de leurs créateurs, le nouveau film de Ridley Scott a ensuite, dans la dernière ligne droite avant sa sortie, été  « vendu » comme un objet indépendant de son glorieux prédécesseur, même si situé dans le même univers. En vérité, le long métrage se situe de bout en bout dans le clin d’œil systématique à Alien, depuis l’identité de la multinationale finançant le voyage scientifique jusqu’aux gimmicks scénaristiques (les créatures parasites qui jaillissent du ventre de leur victime, les combats en huis clos, les héros décimés au cours de l’histoire, à part un personnage féminin central, etc.), sans parler d’une référence conclusive encore plus claire (que je n’expliciterai pas pour ne pas gâcher la surprise à de futurs spectateurs). Quoi qu’en dise Ridley Scott, Prometheus ne peut donc qu’être jugé à l’aune du premier Alien et de ses suites – et c’est là que le bât blesse.

Car il y a une identité « Alien », film qui a lancé un genre, et contribué à façonner la science-fiction contemporaine, du cinéma aux jeux vidéo. Œuvre se situant du côté de ce que l’on appelle la « hard science » (science-fiction réaliste) plutôt que du « space opera » (science-fiction épique à la Star Wars, Star Trek, avec rayons lasers et empires galactiques à foison), Alien a défini un style sombre et angoissant, construit sur quelques fondamentaux : l’esthétique dérangeante et « biomécanique » du plasticien Hans Ruedi Giger ; le huis clos étouffant et sans issue (« dans l’espace, on ne vous entend pas crier ») ; la futilité de la vie humaine et de l’héroïsme, les personnages étant confrontés à un ennemi sans nom, sans pitié, sans communication possible, et sans projet autre que les tuer et (à partir d’Aliens) de se reproduire. Ces éléments composent la signature Alien, reproduite, avec des variations, par James Cameron, David Fincher et Jean-Pierre Jeunet dans les épisodes suivants de la série.

C’est avec cet horizon d’attente que le spectateur fan de science-fiction, et fidèle des « Alien » successifs (encore une fois, tout est fait pour l’attirer), se cale dans son fauteuil de cinéma pour déguster Prometheus. Et autant le dire, il a de quoi être désarçonné. Car Ridley Scott semble osciller en permanence entre les codes distinctifs d’Alien, et des éléments relevant d’autres genres de science-fiction (voire du space opera). La gêne, en conséquence, est constante. Est-ce cette musique de fond envahissante et grandiloquente ? Est-ce l’entre-deux jamais tranché entre huis clos et exploration (les personnages sont confrontés à … plusieurs huis clos successifs, enfermés sans l’être tout en l’étant, la fuite n’étant jamais ultimement un problème) ? Est-ce ce fil rouge sur le thème de la scientifique qui décide, ou non, de « croire » à l’origine extra-terrestre de la vie terrestre (I want to believe, on est presque dans X Files) et qui à la fin tente de gagner la planète d’origine des Créateurs « pour avoir des réponses » ( !) ?

Curieux retournement. Il y a 30 ans, c’est James Cameron qui, avec Aliens, reprenait la saga lancée par Scott. Aujourd’hui, on a presque le sentiment inverse. Car il s’est passé entretemps un autre choc dans la science-fiction : la sortie d’Avatar, avec son gigantesque monde à explorer, ses humanoïdes géants, ses aventures à ciel ouvert et même sa Sigourney Weaver, emprunt pied-de-nez à Ridley Scott et au premier Alien. Il faut bien le dire, Prometheus a tout d’un film post-Avatar. Comment ne pas voir dans les albinos géants de Ridley Scott – apparaissant donc en ouverture de l’histoire, alors que l’alien « traditionnel » surgissait par surprise en cours de film – une sorte de réponse aux Na’vi de James Cameron, avec leur civilisation, leur langage hiéroglyphique, leurs objectifs étrangers à ceux des Humains ? Tout le problème est qu’on parle là d’univers fantastiques à peu près aussi compatibles que l’eau et l’huile, en termes de ressorts dramatiques comme de tonalité. Epopée écolo-geek contre lutte désespérée pour survivre. Et c’est bien le sentiment que donne Prometheus, film bancal, grandiose par moments mais beaucoup trop léger le reste du temps, balançant entre horreur spatiale et épopée fondatrice, hésitant sur la direction à prendre, jusque dans un scénario parfois lesté d’incohérences et de facilités. La suite – si suite il y a, mais les dernières images ne laissent pas beaucoup de place au doute – tranchera peut-être dans un sens. Il n’est pas sûr en revanche que les inconditionnels de Ridley Scott et de la « marque » Alien l’attendent avec autant d’engouement.

Romain Pigenel

Réseaux sociaux, la fin du Far West politique ?

Après la grande foire de l’élection présidentielle, le temps est semble-t-il revenu à la prudence et au contrôle pour l’usage des réseaux sociaux – et du plus explosif d’entre eux, Twitter – par les responsables politiques. Citons, pêle-mêle, la fermeture du compte de Salima Saa après le dérapage de trop sur Kader Arif, la recommandation du Président de la République à ses nouveaux ministres de surveiller leur expression digitale, ou encore la reprise en main par Roland Ries, maire de Strasbourg, de la communication en ligne de ses collaborateurs et élus. Cette tendance correspond sans doute à des facteurs conjoncturels – la fin du « temps de guerre » de la campagne, la nécessaire responsabilisation de l’ex-opposition arrivant au pouvoir – mais aussi à l’institutionnalisation d’une pratique désormais entrée dans les mœurs.

Facebook, puis Twitter avec environ deux ans de retard, se sont depuis 2007 imposés comme des acteurs incontournables du débat public. Leur montée en puissance dans le monde politique, décalée dans le temps, s’est faite selon un schéma habituel : d’abord l’arrivée d’élus-utilisateurs précoces ; puis, quelques mois plus tard, par effet de mode (et l’action de ces premiers ambassadeurs aidant), une vague d’ouverture de comptes, « pour voir », par un plus grand nombre d’élus moins technophiles ; puis encore la progressive généralisation de l’usage de ces réseaux, y compris dans la population militante, avant l’explosion correspondant à la présidentielle. On peut d’ailleurs remarquer que la (relative) ancienneté de Facebook l’a privé du rôle de réseau-star de 2012 ; c’est Twitter, plus récent et par essence plus réactif, qui l’a coiffé sur le poteau dans les médias et aux yeux du grand public.

 

La perception de ces outils au sein des partis politiques a suivi une évolution parallèle. D’abord, l’ignorance ; puis, l’amusement par rapport à certains élus reconnus comme « geeks » (sur Twitter notamment, NKM, Benoît Hamon, Cécile Duflot, Alain Lambert …) et regardés avec une curiosité sympathique par leurs pairs moins connectés ; enfin, la prise de conscience du potentiel de ces technologies par un plus grand nombre de responsables politiques, qui comptent bien en user pour se faire connaître.

 

Car ces réseaux émergents présentent une grande force pour les militants politiques ne bénéficiant pas d’un accès naturel aux médias : ils tendent à rendre plus horizontales les hiérarchies politiques, l’impact et l’audience d’un facebookeur ou tweeto tenant autant à la qualité et à la quantité de sa production qu’à son titre dans le monde physique. Alors que les partis sont de complexes structures régies par des pesanteurs et des effets de baronnie extrêmement lourds, les réseaux sociaux ont l’attrait d’une sorte de « Far West » où des fortunes médiatiques rapides pourraient se faire. Mieux encore, le retard de leur prise en compte par les partis garantit une certaine forme d’impunité aux militants présents dessus ; inutile, à première vue, d’y prendre toutes les précautions que l’on prendrait pour une prise de parole en bureau politique ou en réunion de section du PS ou de l’UMP.

 

A cet égard, la séquence 2010-2012 a été un vrai âge d’or pour l’émancipation militante sur Facebook et Twitter, cette période correspondant à une ère de généralisation de ces réseaux, et donc de fort impact populaire (sur Facebook) et médiatique (sur Twitter), sans contrôle trop fort. A contrario, nous entrons vraisemblablement aujourd’hui dans une période de lissage et de reprise en main de la communication digitale par les structures politiques. C’est la rançon de la gloire de la séquence précédente : les réseaux sociaux ont fait la preuve de leur puissance, pour des réussites individuelles mais aussi pour générer des bad buzz (comme celui sur Christiane Taubira) ; du coup, les partis ont rattrapé leur retard de prise en compte de ce nouveau terrain d’expression, et vont naturellement tendre à y appliquer leurs hiérarchies et leurs politiques de communication plus générales. Concrètement, c’est sans doute la fin de la grande récréation facebooko-twitterienne. Et la perspective d’une normalisation progressive de la communication en ligne – jusqu’à la prochaine (r)évolution technologique.

 

Romain Pigenel

« Cabinets blancs » – et Libé importa « l’appeau à trolls » dans la presse écrite

Comment ne pas perdre, et (re)gagner, des lecteurs face à la concurrence du web et de la gratuité ? Une question que l’on imagine centrale dans les réflexions des patrons de presse et responsables de publications. Il y a quelques jours, Guy Birenbaum analysait sur son blog deux couvertures du Point et de l’Express comme des tentatives de récupérer, au profit de la presse écrite, les codes qui font les beaux jours d’Internet, en l’occurrence le LOL et l’information people. Avec sa une du jour sur les « Cabinets blancs » de la République, Libération peut se targuer de mettre une nouvelle pierre à cet édifice, en important le concept d’appeau à troll du web à la presse classique.

 

Même si cette définition fait débat chez les spécialistes de l’Internet mondial, l’appeau à troll peut être décrit comme un intitulé d’article, ou sujet de débat, soigneusement conçu pour attirer l’attention des trolls et les faire venir en grand nombre, avec un double espoir : (1) qu’ils se cognent dessus (2) que cela fasse beaucoup de bruit, pour faire venir encore d’autres trolls et badauds, plus nombreux. Si on ajoute à cela que (a) un troll est inépuisable (2) il a une forte capacité à transformer en trolls les badauds innocents qui tentent de discuter avec lui, on comprend que l’appeau à trolls peut être un outil d’une grande valeur pour gagner de l’audience, de l’attention, des tribunes de protestation en réaction, bref, (re)devenir central dans le débat public. « L’enquête » de Libération, pour sa part, présente toutes les caractéristiques d’un excellent appeau à trolls.

Elle met en avant un problème explosif dans un contexte qui l’est tout autant : celui du comptage des individus par couleur de peau. Après Eric Zemmour qui se plaignait la semaine dernière d’un prétendu ressentiment de Christiane Taubira contre les hommes blancs, Libération dénonce le trop-plein … d’hommes blancs dans les cabinets à la tête de l’Etat. On notera d’ailleurs un habile décalage entre le titre et le contenu de l’article : alors qu’il est dans le papier question autant de parité que de « diversité », le titre se focalise sur la seule couleur de peau, évidemment plus polémique et avec un troll appeal sans commune mesure.

Elle est à forte teneur en termes à haut potentiel de trollage. En quelques lignes : « SOS Racisme », « Terra Nova », la « caste » de « l’ENA » et des « grandes écoles ». Trois totems ayant une certaine  propension à hystériser ceux qui ne s’y reconnaissent pas, ce qui fait, en l’occurrence et par cumul, beaucoup de monde.

Elle entretient enfin une grande confusion sur les questions qu’elle aborde (ce qui est l’essence du troll). Il n’y a pas de questions qu’il faille interdire de poser par principe ; en revanche, la déontologie journalistique, si ce n’est l’éthique intellectuelle, exige de les formuler de manière à faire avancer la réflexion, plutôt que de l’obscurcir plus encore. L’enquête de Libération, volontairement ou involontairement, mélange tout et ne pose pas clairement les problèmes. Listons les questions utiles sur le sujet du jour : le Parlement doit-il être la parfaite projection ethnique de la société (Libé se plaint que seuls une dizaine de députés d’origine africaine ou maghrébine peuvent être élus en juin, ce qui ne serait pas « une représentation équitable ») ? Toute entreprise ou administration devrait-elle de même vérifier cette règle ? Un non-choix est-il une discrimination (autrement dit : avoir choisi majoritairement des Blancs, est-ce avoir discriminé les Noirs et les Arabes) ? La diversité ethnique recoupe-t-elle la diversité sociale ? Le problème est-il que les grandes écoles soient le principal vivier pour la tête de l’Etat, ou que les grandes écoles ne soient pas assez ouvertes, en amont, dans leur recrutement ? Etc. Malheureusement, à aucun moment ces questions sérieuses ne sont sériées et posées en tant que telles dans ce papier : on a droit, à la place, à un méli-mélo sensationnaliste où de méchants énarques blancs volent la place de jeunes des « quartiers populaires » qui ont des solutions que sont incapables d’imaginer les bourgeois du « centre-ville ».

Il ne me reste plus qu’à souhaiter de bonnes ventes à Libération, et de bons chiffres de fréquentation à son site.

Romain Pigenel

Clip des législatives : Sarkozy, ou le retour du refoulé à l’UMP

Mardi soir, j’ai regardé le clip de campagne de l’UMP pour les législatives. Je n’ai pas fait exprès : il m’est littéralement tombé dessus, à l’improviste, à la fin de la première interview télévisée de François Hollande. De facture classique pour ce genre d’exercice – donc raisonnablement médiocre – il n’avait pas de quoi, a priori, retenir l’attention. Sauf que.

Classicisme éprouvé que cette mosaïque de Français, que l’on imagine soupesée au trébuchet, alternant jeunes, vieux, moins jeunes, moins vieux, blancs, moins blancs ; ânonnant sans conviction un texte mêlant de manière baroque promesses de la campagne présidentielle (la retraite le 1er du mois !), vieilles rengaines anti-socialistes (l’opposition n’a pas été claire sur la burqa !), défense de l’héritage sarkozyste (il faut sanctionner les récidivistes!) et quasi-réquisitoire contre le précédent mandat (non à la fraude aux allocations !). Une œuvre que l’on dirait soigneusement travaillée pour décrocher un bâillement poli. Sauf que.

Sauf que ce clip officiel a pour fil rouge des images dont la présence va crescendo : des images de foules compactes, agitant des centaines de drapeaux français. Des images dont on comprend vite qu’elles proviennent de meetings, et pas de n’importe quels meetings : ceux de Nicolas Sarkozy pour la campagne présidentielle. La caméra, joueuse, parcourt d’abord la foule avant de remonter vers la scène ; on distingue, ainsi, Villepinte, puis, en apothéose avec Jean-François Copé en voix off, le fameux rassemblement du vrai travail au Trocadéro ( à 2 minutes 20).

 

Quelle est la signification de ces flashs qui viennent entrecouper une production vidéo des plus banales ? Les mouvements de caméra créent un effet de teasing ; on s’attend, quand l’image se fixe enfin sur la scène, à voir apparaître Nicolas Sarkozy, on la scrute d’ailleurs, cette scène filmée de loin, pour y distinguer les petites silhouettes qui s’y agitent, et pour essayer de comprendre si l’une d’entre elles appartient au président sortant, sorti. Pourquoi cette construction ? Vise-t-elle, avec l’image de Copé surgissant tel un deus ex machina aux ultimes secondes de la vidéo, à laisser subliminalement entendre que c’est lui le successeur légitime de Sarkozy, lui le mieux placé pour porter les couleurs de la droite en 2017 ? Est-ce une ruse à replacer dans le contexte de la guerre des chefs qui oppose l’élu de Meaux à François Fillon ?

 

Si on laisse de côté pareilles subtiles interprétations, l’effet premier de ce montage nostalgique est tout autre. Il place la campagne de l’UMP pour les législatives sous le patronage invisible, mais ô combien envahissant, du chef disparu de la formation politique, un chef (officiellement) perdu pour la vie publique française, et bel et bien battu dans les urnes. Et on en vient à penser que les rodomontades des uns et des autres – il n’y aurait plus de « leader naturel » à l’UMP, il faudrait désormais se tourner vers l’avenir – ne sont justement que des paroles en l’air, se heurtant sans cesse à cette implacable réalité : que reste-t-il d’une formation construite autour d’un homme, quand cet homme disparaît ? Que reste-t-il de la droite sarkozyfiée, sans Sarkozy ? Ce Sarkozy qui semble d’autant plus s’imposer dans les faits, qu’on le refoule dans les discours ?

 

Les images de meetings insérées dans ce clip de campagne résument finalement très honnêtement la situation : des foules faisant face à une scène vide. Une droite bien présente – son score au deuxième tour n’a pas été déshonorant – mais sans tête. Courra-t-elle tel le canard souffrant du même mal ? Réponse en juin.

 

Romain Pigenel

Pourquoi Eric Zemmour peut remercier RTL

A en croire le tamtam médiatique, les auditeurs de RTL n’auront plus droit, à la rentrée de septembre, au prêche matinal d’Eric Zemmour. Une décision qui ne serait pas liée à la récente sortie de l’éditorialiste sur Christiane Taubira, mais à l’ensemble de son œuvre radiophonique : « Voilà plusieurs semaines que la décision de suspendre la chronique matinale du journaliste avait été prise, l’intéressé étant jugé clivant et partisan. ». Le détail de l’explication peut varier, le fond du problème reste le même et devrait conduire Eric Zemmour, s’il est honnête, à remercier chaleureusement, et publiquement, Radio-Luxembourg.

Car quelle est l’essence du zemmourisme ? Toute la notoriété et le succès du personnage, des talk shows sur la télévision publique aux chroniques écrite et radiodiffusées, tient à un cocktail à la recette clairement établie : (1) la dénonciation des excès d’un certain politiquement correct « progressiste » qui, comme toute idéologie, génère son lot d’absurdités et d’impasses ; (2) la promotion, à des heures de grandes écoutes et sur des médias à large audience, d’une pensée oscillant entre le réactionnaire, et le simplement beauf, sur les femmes, les étrangers ou les jeunes ; (3) la sublimation du tout par une prétention à la subversion, les idées relevant de (1) et (2) étant censées, par nature ou par principe, être en opposition ou en résistance à la pensée unique d’une caste médiatico-politique aussi omniprésente que coupée de la France réelle.

 

Le paradoxe du zemmourisme est que son succès mine ses fondements. C’est un secret de polichinelle : la prétendue pensée unique (comprendre : féministe, anti-raciste, internationaliste, sociale …), contre laquelle un Eric Zemmour, un Robert Ménard ou une Elisabeth Lévy jurent être en croisade, est de moins en moins unique, et de moins répandue. Un petit exercice facile : pourriez-vous citer un équivalent progressiste (en termes de présence médiatique et de popularité) d’Eric Zemmour ? Personnellement, je sèche. Les idées de sa famille de pensée, par ailleurs, ont considérablement progressé dans la classe politique, tenant par exemple lieu de nouvelle doxa à l’UMP sarkozyste, une fois les chimères de l’ouverture et du ramayadisme définitivement abandonnées par l’ancien locataire de Élysée. Quel est l’originalité ou l’insolence d’Eric Zemmour, quand ses thèses sont quotidiennement reprises, voire durcies, par Claude Guéant ou Guillaume Peltier ?

 

En vérité, une sourde, sournoise menace planait depuis quelques mois au-dessus de la tête du binôme d’Eric Naulleau : celle de la banalisation. Cette banalisation qui, érodant le clinquant vernis sulfureux de Zemmour, allait finir par faire éclater au grand jour cette terrible réalité : que celui qui se rêve en penseur révolutionnaire n’est en définitive qu’un radoteur sans génie, tournant indéfiniment dans son bocal avec quelques idées convenues, bien loin du brio de la grande tradition française des provocateurs et anars de droite.

 

Et voilà – divine surprise ! – que la Rue Bayard sauve in extremis son mousquetaire du c’était mieux avant. En le liquidant après Salviac, je cite, pour son caractère « clivant et partisan », elle lui rend son lustre et sa prétention de marginalité, de subversion, qui, ces derniers temps, ne trompait plus personne. Les cris d’orfraie de la réacosphère, qui hurle déjà au stalinisme et à la purge, doivent remplir d’aise la future victime de la prochaine ligne éditoriale de RTL. Tout comme le malaise des militants de gauche qui se voient obligés de rappeler leur attachement à la liberté d’expression. Non, vraiment, si Eric Zemmour ne devait répondre que d’un mot à son employeur, ce ne pourrait être que celui-ci : MERCI.

 

Romain Pigenel

Après le point Godwin, Christine Lagarde invente le point Somalie

Les trucs et astuces de Tata Christine. Un coup de mou, l’impression de traverser une mauvaise passe, voire de vous retrouver dans une impasse ? Une petite tendance dépressive à l’auto-apitoiement ? Ne vous inquiétez pas : cela arrive aux meilleurs. Plutôt que d’en parler à votre médecin, appliquez la méthode Christine Lagarde : représentez-vous des « petits enfants dans un petit village nigérien, qui ont deux heures d’école par jour, se partagent une chaise à trois écoliers, et sont malgré tout heureux de pouvoir aller à l’école ». Si eux sont heureux dans ces conditions, comment pourriez-vous, vous, ne pas vous réjouir de votre sort d’Occidental pourri gâté ?

N’hésitez pas à me tenir au courant de la réussite sur votre esprit de cette technique d’auto-suggestion lagardienne, parce que figurez-vous que dans le même temps, elle la conseille aux Grecs, dans une fort intéressante interview au Gardian. « I think more of the little kids from a school in a little village in Niger who get teaching two hours a day, sharing one chair for three of them, and who are very keen to get an education. I have them in my mind all the time. Because I think they need even more help than the people in Athens. [...] As far as Athens is concerned, I also think about all those people who are trying to escape tax all the time. All these people in Greece who are trying to escape tax. […] I think of them equally. And I think they should also help themselves collectively by all paying their tax. Yeah. ». Yeah !

 

Lamentables enfants et petits-enfants de Zorba, qui, comme la cigale de la fable, viennent pleurnicher et mendier auprès de leurs voisins plus prudents, sans se rendre compte de combien ils sont privilégiés par rapport aux fourmis nigériennes ! Et dire qu’ils ont eu l’impudeur de se plaindre suite à cette interview de la patronne du FMI, exigeant des excuses et plus de considération. Si ça, ce n’est pas une preuve supplémentaire de leur criminelle irresponsabilité …

 

« Aide-toi – en payant tes impôts – et le FMI t’aidera. Et en attendant, pense aux Africains qui vont à peine à l’école ». Christine Lagarde vient d’inventer une nouvelle technique rhétorique – si ce n’est un sophisme : une sorte de « pente glissante » adaptée à la mondialisation. Sur la Terre mondialisée, on trouve toujours pire que soi. Cela s’applique même aux écoliers-nigériens-qui-partagent-une-chaise-à-trois, notons-le : auraient-ils l’audace de se plaindre, qu’on pourrait leur demander ce qu’ils pensent des petits Somaliens qui eux, meurent de faim. De même qu’il y a un point Godwin, de même que l’auteur de ces lignes avait théorisé un « point Fukushima », postulons l’hypothèse d’un « point Somalie » : celui que l’on atteint quand on ordonne à son interlocuteur de cesser toute revendication sociale ou économique, en se représentant des enfants du Tiers-Monde en train de mourir de faim. Comme pour les deux autres points, on peut raisonnablement décider, à ce moment d’une conversation, qu’il est inutile de la continuer, la teneur en mauvaise foi ultralibérale de l’atmosphère rendant celle-ci littéralement irrespirable.

 

On remarquera que le point Somalie ici atteint par Christine Lagarde est absolument canonique. Elle l’obtient en évoquant la Némésis ultime des conservateurs et libéraux, le fraudeur/délinquant : si la Grèce est au bord du K.O. (si ce n’est du chaos), c’est que les Grecs ont fraudé le fisc. Les Grecs, donc Monsieur Tout Le Monde ; et pas, par exemple, les riches armateurs protégeant leurs revenus, ou le clergé. Ah s’ils avaient respecté l’ordre et la valeur travail, ces pelés, ces galeux, comme il est évident qu’ils n’en seraient pas là ! Comme il y a un cancer de l’assistanat en France (©Wauquiez), il y a sans doute une peste de la fraude fiscale au pays de Platon, l’un comme l’autre étant responsable de tous les problèmes de leurs pays respectifs.

 

Si la méthode Lagarde ne suffit pas à chasser vos soucis, si l’évocation d’enfants squelettiques, mais avec un sourire lumineux, ne vous redonne pas du cœur à l’ouvrage, je vous propose la méthode Variae. Elle consiste, à chaque fois que l’on vous fera la leçon, à vous représenter de riches Terriens profitant du capital financier et culturel accumulé sur plusieurs générations, et multipliant les ruses pour baisser, le plus légalement du monde, leur contribution fiscale à la solidarité collective, et maximiser leurs profits. Vous obtiendrez ainsi un point Variae – mais rassurez-vous, il est annulé par tout point Somalie obtenu en votre présence.

 

Romain Pigenel

10 raisons pour l’UMP de se réjouir

Ça ne va pas très fort à l’UMP. La guerre de succession sarkozyste, entre Fillon et Copé (en attendant d’autres prétendants), fait rage et les insultes hypocrite », « bouffeur de merde ») volent bas. Nous pourrions, dans le camp d’en face, nous en satisfaire ; mais le militant de gauche est un authentique progressiste, qui fait passer le bien de son semblable avant toute autre considération. Variae, blog reconnu d’utilité publique, a donc décidé de faire le point sur les raisons qui pourraient, malgré tout, faire renaître un sourire plein d’espoir sur les visages de ses adversaires, mais néanmoins frères en humanité.

1) La nouvelle direction de l’UMP ne peut pas faire pire que ses prédécesseurs

Depuis 10 ans, la droite enchaîne les échecs. Expulsée des exécutifs régionaux en 2004 et 2010, éjectée des grandes villes en 2001 et 2008, dépouillée du Sénat en 2011, définitivement dépassée dans les conseils généraux la même année, l’UMP – et ses satellites – n’avait que la présidentielle et les législatives consécutives pour se consoler. Jusqu’à la victoire de François Hollande en mai 2012. Une fois les législatives 2012 perdues et l’inventaire du sarkozysme définitivement bouclé, la droite pourra repartir tranquillement, avec le cœur léger de ceux qui ont les poches vides.

 

2) On sent les prémisses d’un renouveau idéologique majeur à droite

C’est un signe qui ne trompe pas : les clubs fleurissent à l’ombre de l’arbre de l’UMP. Un véritable printemps des idées nouvelles, qui ne manquera pas de régénérer un camp trop longtemps sclérosé par la pensée unique sarkozyste. Avec la « droite forte », Guillaume Peltier espère fédérer « la nouvelle génération » que « Sarkozy a fait émerger ». Encore plus iconoclaste, Brice Hortefeux veut créer l’association des « amis de Nicolas Sarkozy ». Laurent Wauquiez, avec sa « droite sociale », entend en finir avec la dérive droitière des années précédentes, en luttant courageusement contre « le cancer de l’assistanat ». Un combat que pourrait sans doute partager « la droite populaire », qui saluait il y a peu le « retour » de Nicolas Sarkozy sur des thématiques telles que « l’assistanat ». Droite populaire dont le leader Thierry Mariani vient de bénéficier du soutien de Jean-Pierre Raffarin, lui-même figure de proue du club des « humanistes ». Comment un tel foisonnement, une telle frénésie de différenciation, ne pourrait-elle pas apporter une grande bouffée d’air frais à droite ?

 

3) Plus d’un an s’écoulera entre le congrès de l’UMP et les prochaines grandes élections

En 2008-2009, le PS avait eu la malchance d’enchainer son légendaire congrès de Reims avec des européennes, en conséquence très douloureuses. Au contraire, plus d’un an va s’écouler entre le congrès de l’UMP cet automne et les municipales de 2014. Une belle grosse douzaine de mois pour se réconcilier et panser ses plaies, après s’être mis minable durant un congrès sanglant. Si ce n’est pas un cadeau du destin !

 

4) Sarkozy ne va pas tarder à revenir mettre bon ordre dans son camp

François Fillon et Jean-François Copé n’ont pas attendu longtemps pour enterrer la figure tutélaire de leur camp (« il n’y a plus de leader naturel »). Il est vrai que Nicolas Sarkozy a clairement déclaré vouloir arrêter la vie politique. Comme Jospin avant lui … avant de tenter un comeback à l’été 2006. Roselyne Bachelot, elle, est catégorique – Sarkozy arrêter la politique, « même pas en rêve » – tandis que Claude Guéant tient à préciser que son ancien patron ne briguera plus de mandat … local. Bref, le retour de Sarkozy n’est sans doute qu’une question de mois, et avec lui la fin de la récréation et de la chienlit.

 

5) Tout le monde à droite appelle au rassemblement

Alain Juppé a été très clair : « J’appelle les uns et les autres au rassemblement ». Tout comme François Fillon : « J’entends parler de guerre, il n’y a pas de guerre ». Pas moins que Michèle Alliot-Marie : « Le problème aujourd’hui, c’est de gagner les législatives ». Pas plus que le sage Raffarin : « Le temps des ambitions personnelles n’est pas venu. Priorité au collectif ». Et que dire de Copé qui prône le rassemblement « matin, midi et soir » ? Bref : tout va bien. En quelle langue faut-il vous le dire, enfin ?

 

6) On ne peut plus se traiter d’escroc publiquement

Arnaud Montebourg vient d’en faire les frais. C’est une bonne nouvelle : un qualificatif peu flatteur de moins que les candidats à la succession de Nicolas Sarkozy pourront s’échanger par voie de presse.

 

7) Hervé Morin ne semble pas prêt à mettre en danger l’UMP

Un spectre hante l’UMP : l’organisation par Hervé Morin d’un puissant mouvement de centre droit, capable de concurrencer l’ex-parti présidentiel et de le vider de sa substance. Fort de ses 1% dans les sondages, le lider maximo du Nouveau Centre aurait déjà pu éliminer Nicolas Sarkozy au soir du 22 avril, nonobstant sa sagesse toute centriste, qui l’a conduit à retirer sa candidature en amont. Pour le moment, il semble toujours disposé à épargner l’UMP agonisante. Mais restons prudent : on ne sait jamais.

 

8.) Quelqu’un a des nouvelles de Jean-Louis Borloo ?

Voir le point précédent.

 

9) Selon le Monde, Jean-François Copé a déjà gagné

29 figures de l’UMP soutiennent Copé, contre 7 Fillon. Cela évitera bien des combats fratricides.

 

10) Selon i-Télé, François Fillon a déjà gagné

44% des Français soutiennent Fillon, contre 12 Copé. Cela évitera bien des combats fratricides.

Romain Pigenel